Longtemps reléguée au second plan, la question des métaux critiques s’impose aujourd’hui au cœur des choix industriels et géopolitiques. La Commission européenne vient de dévoiler RESourceEU, un plan d’action destiné à sécuriser l’accès à ces ressources devenues indispensables aux technologies vertes, au numérique ou aux systèmes de défense. Son objectif : hisser l’Europe à un degré d’autonomie compatible avec ses ambitions climatiques et industrielles. Dans la continuité du Critical Raw Materials Act lancé en 2023, il vise à réduire de moitié certaines dépendances d’ici à 2029 en mobilisant des outils financiers, réglementaires et industriels.
Au cœur de ce dispositif figure le « Critical Raw Materials Centre », chargé de piloter les projets jugés stratégiques, de coordonner les financements publics et privés et d’accélérer leur mise en œuvre. Bruxelles prévoit de mobiliser environ 3 milliards d’euros sur un an pour soutenir des projets prioritaires, qu’il s’agisse de mines sur le sol européen, d’infrastructures de transformation ou de partenariats avec des pays producteurs. Parmi les projets cités figurent notamment l’extraction de lithium à Cinovec, en Tchéquie, ou le projet visant à extraire du molybdène au Groenland.
La stratégie européenne dépasse toutefois le cadre strictement interne. RESourceEU mise sur la multiplication de partenariats avec des pays partageant les mêmes valeurs, en s’appuyant sur quinze accords stratégiques déjà conclus et sur d’autres en préparation, notamment avec le Brésil. L’Union travaille également à des cadres d’investissement dédiés avec l’Ukraine, les Balkans occidentaux et son voisinage méridional. Parallèlement, elle soutient l’alliance du G7 sur les minéraux critiques visant à structurer des marchés fondés sur des normes communes.
La colonne vertébrale du plan repose sur trois piliers : diversification des fournisseurs, renforcement des capacités européennes de raffinage et de fabrication, et développement du recyclage. L’une des mesures les plus symboliques prévoit, dès 2026, l’interdiction d’exporter certains déchets stratégiques, notamment ceux provenant d’aimants permanents. Bruxelles estime que le recyclage pourrait couvrir jusqu’à 20 % des besoins européens en aimants permanents à moyen terme, contribuant à créer une véritable économie circulaire des métaux critiques.
Sécuriser les approvisionnements face aux tensions géopolitiques
Malgré cette volonté politique forte, bâtir en quelques années des filières complètes, de l’extraction à la fabrication, suppose des investissements massifs, une maîtrise technologique complexe et une acceptabilité sociale encore loin d’être acquise. Pour l’heure, l’UE ne produit qu’une part marginale de ses terres rares et joue un rôle très limité dans le raffinage mondial. Même soutenue par RESourceEU, la montée en puissance restera progressive en raison de contraintes environnementales, de lourdeurs administratives, de lenteur dans l’ouverture des mines et de besoins massifs en capitaux. À moyen et long terme, le plan pourrait toutefois permettre une autonomie suffisante pour éviter les ruptures d’approvisionnement et limiter les pressions géopolitiques.
À l’échelle française, le Fonds métaux critiques (FMC) géré par la société InfraVia devait lui aussi constituer un relais national de cette ambition européenne. Lancé en 2023 avec 500 millions d’euros publics et l’objectif de mobiliser jusqu’à 2 milliards, il visait à investir dans des projets miniers, de raffinage ou de recyclage. Mais plus de deux ans après, la collecte des fonds n’a pas atteint les niveaux espérés et aucun projet ne s’est encore concrétisé, notamment pour des raisons de rentabilité.
Face à des acteurs, notamment chinois, disposant de coûts bas et de chaînes intégrées, les projets européens peinent à atteindre l’équilibre économique. Les cours relativement faibles de certains métaux critiques, la volatilité des marchés et le ralentissement de certains débouchés, comme le véhicule électrique, accentuent les incertitudes.
Malgré tout, le FMC demeure un outil stratégique, susceptible d’attirer des investisseurs et de s’inscrire, à terme, dans l’écosystème créé par RESourceEU. L’autonomie minérale européenne ne se construira pas avec un plan ou un fonds, mais par l’addition de politiques publiques cohérentes, d’investissements sur le long terme, d’innovation et d’un équilibre assumé entre souveraineté industrielle et exigences environnementales.
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