On les appelle minéraux « critiques », « stratégiques », et parfois même les deux… Un groupe à part, parmi l’ensemble des ressources minérales que recèle la croûte terrestre, dont la « criticité » se révèle toutefois une caractéristique à géométrie variable. « Il n’existe pas de définition universellement acceptée de ce que signifie l’adjectif “critique” dans ce domaine, car la notion de criticité peut changer au fil du temps, selon les besoins de la société et la disponibilité de l’offre », notent en effet les autrices d’une fiche d’information publiée en 2023 par le Forum intergouvernemental sur les mines, les minéraux, les métaux et le développement durable (IGF). « La criticité est également spécifique à chaque pays et contexte, en particulier à l’égard des richesses minérales, à la relative importance des minéraux pour le développement industriel et économique, et à l’évaluation stratégique des risques liés à l’approvisionnement, compte tenu de leur volatilité », ajoutent-elles. Concentrons-nous donc sur le cas de l’Europe, et plus particulièrement encore, sur celui de la France de 2025…
Des dizaines de substances stratégiques en tension
En France, les « substances critiques et stratégiques pour l’économie » sont notamment scrutées à la loupe par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Sur la base de travaux visant à « fournir des éléments de détermination de l’exposition de la France aux risques pesant sur les approvisionnements », l’établissement public publie régulièrement, depuis 2010, des monographies détaillées, mais aussi, depuis 2015, des « fiches de criticité » synthétiques, réalisées sous la houlette du Comité pour les Métaux Stratégiques (COMES). Ceci, pour près d’une cinquantaine de substances.
Parmi elles, trente-six[1] présentent aujourd’hui un risque non négligeable de rupture d’approvisionnement, combiné à une importance stratégique pour l’industrie française. Citons notamment le lithium, le graphite naturel, et le cobalt, dont la demande devrait en effet se révéler, d’ici à 2050, « largement supérieure au niveau de production actuel », comme l’écrivent les auteurs d’une note publiée le 24 octobre dernier par la Direction générale du Trésor. En cause, notamment : leur utilisation massive pour la production de batteries pour véhicules électriques. Un exemple parmi tant d’autres de l’intensification des usages de minerais stratégiques liée à la transition énergétique.
À ces trois substances stratégiques s’ajoutent en effet des éléments tels que le silicium, incontournable pour la production de cellules photovoltaïques ; le cuivre, indispensable à certaines infrastructures électriques associées aux moyens de production d’énergies renouvelables ; ou encore les fameuses terres rares, utilisées notamment pour la fabrication d’aimants permanents à destination des éoliennes. Une famille de dix-sept éléments d’autant plus cruciaux que la transition énergétique n’est pas le seul facteur susceptible de faire grimper leur criticité : gourmande elle aussi en terres rares, la transition numérique[2] s’y emploie également…
Une production très concentrée
Or, un pays détient à lui seul environ 37 % des réserves mondiales[3], et assure ainsi aujourd’hui, au bas mot[4], 60 % de la production à l’échelle du Globe : la Chine. Au niveau européen, ce sont même tout bonnement 100 % des terres rares lourdes qui proviennent de l’Empire du Milieu. Ce qui ne va évidemment pas sans poser de problème en matière de souveraineté ; problème qui se conjugue en outre à des risques de flambée des prix, a fortiori dans le contexte géopolitique particulièrement tendu que nous connaissons.
Une conjoncture qui affecte d’ailleurs la criticité de bien d’autres substances que les seules terres rares, comme le note le Parlement européen dans un article publié en décembre 2023 : « La guerre de la Russie contre l’Ukraine et la politique commerciale et industrielle chinoise de plus en plus agressive font que le cobalt, le lithium et d’autres matières premières sont devenus un problème géopolitique ».
Ce constat a ainsi amené l’UE à élaborer une législation visant à renforcer l’autonomie stratégique de l’Europe. Parmi les objectifs fixés pour 2030 par cette nouvelle loi sur les matières premières critiques[5] – adoptée en mars 2024 par le Conseil de l’Union européenne – figure ainsi celui d’extraire, au sein même du territoire de l’UE, au moins 10 % des matières premières critiques qui y sont consommées. Une ambition européenne nouvelle, qui vient ainsi, au passage, confirmer le caractère opportun d’une initiative annoncée en France dès septembre 2023 : la mise à jour de l’Inventaire des Ressources Minérales (IRM) du sous-sol français.
Et si une part de notre souveraineté se cachait sous nos pieds… ?
Annoncé en septembre 2023 par le président Macron dans le cadre du conseil de Planification écologique, ce nouveau programme d’identification des ressources minérales françaises succède à un précédent inventaire mené par le BRGM au cours des années 70, et régulièrement mis à jour jusqu’au début des années 90[6]. « De nombreux éléments considérés aujourd’hui comme critiques et stratégiques (lithium, tantale, césium, gallium, germanium, hafnium…) n’ont pas été recherchés, et les capacités analytiques de l’époque ne permettaient pas une détection très fine des teneurs dans la roche », explique en effet le service géologique national dans un communiqué publié en février dernier. Lancé cette année pour une durée prévisionnelle de cinq ans, et financé à hauteur de 53 millions d’euros par l’ANR[7] dans le cadre de France 2030, ce travail d’actualisation des données vise ainsi à identifier les zones d’intérêt pour une cinquantaine d’éléments.
« Cinq chantiers territoriaux ont été identifiés et seront couverts par des campagnes d’acquisitions de données : l’ouest du Massif central, la zone Morvan-Brévenne, les Vosges, l’Occitanie-Cévennes-Cerdagne et le Sillon Nord de la Guyane. L’interprétation des résultats permettra d’identifier les zones les plus favorables à la présence de gisements profonds », précise le BRGM. Un travail d’autant plus important que les techniques d’acquisition de données ont, elles aussi, largement évolué au cours des dernières décennies.
« Les techniques d’auscultation géophysique aéroportée n’existaient pas à l’époque et n’ont pas permis d’explorer en profondeur le sous-sol national. Ce nouvel inventaire ouvre donc la voie à une couverture plus large et plus profonde des territoires étudiés et à une détection affinée des substances », explique l’établissement public. De quoi potentiellement mettre au jour des gisements « cachés sous couverture », jamais explorés dans le passé, ou des extensions en profondeur de gisements déjà connus… Le BRGM, ainsi, l’assure : « En favorisant une meilleure connaissance des ressources disponibles sur le sol national, cet inventaire contribuera à améliorer la sécurité et la souveraineté en matière d’approvisionnement en ressources minérales, aidant ainsi à renforcer la résilience de notre économie tout en soutenant sa réindustrialisation ».
[1] L’Europe a quant à elle établi une liste de 34 matières premières critiques, parmi lesquelles 17 matières premières stratégiques « dont la fourniture devrait augmenter de manière exponentielle, qui ont des exigences complexes en matière de production, et qui sont donc confrontées à un risque plus élevé de problèmes d’approvisionnement ». Source.
[2] Sans parler des usages dans le secteur médical, du spatial, de la défense, etc.
[3] Estimation USGS 2021.
[4] 60, 70 voire 86 % selon les sources.
[5] Ou Critical Raw Materials Act (CRMA).
[6] Le BRGM a également publié en 2021 un atlas des substances minières critiques et stratégiques répertoriées dans le sous-sol métropolitain
[7] Agence nationale de la Recherche.
Cet article se trouve dans le dossier :
L’enjeu stratégique des matériaux made in France
- Minéraux critiques : quels enjeux, et quelles perspectives pour l’Europe et la France ?
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