Si le cerveau conserve encore une grande part de mystère, la recherche nous permet peu à peu de découvrir les secrets de son fonctionnement. Prendre en compte ces connaissances pourraient nous ouvrir de nouvelles portes, afin d’apprendre plus efficacement, comprendre et gérer nos émotions, améliorer notre communication… Autant de compétences qui peuvent être utiles dans le monde professionnel.
Charles Hernoux a fait du cerveau son objet d’étude. Après deux Masters en neurosciences et en management des innovations, il a réalisé une thèse sur la perception de la douleur en fonction de la conscience corporelle, en utilisant la réalité virtuelle. Il a ensuite quitté le monde académique pour lancer son entreprise Neuralix, avec laquelle il développe un dispositif permettant d’apprendre pendant le sommeil. Fort de ses apprentissages, le docteur en neurosciences intervient également en entreprises et anime des conférences pour donner des outils concrets aux managers afin d’adapter leurs pratiques et l’environnement de travail aux besoins des collaborateurs.
Techniques de l’Ingénieur : Pourquoi le monde des entreprises s’intéresse désormais aux neurosciences ?
Charles Hernoux : Pendant longtemps, le management a été une affaire de technique, où les travailleurs devaient s’adapter à certaines cadences et où tout était optimisé pour atteindre une certaine performance. Aujourd’hui, l’humain commence à devenir une donnée essentielle et c’est une très bonne chose. Les salariés ont envie d’être épanouis dans leur travail, d’être en raccord avec leurs propres convictions, et n’hésitent pas à quitter leur emploi s’ils ne se sentent pas écoutés, ce qui cause des difficultés de recrutement. Le management évolue, il devient nécessaire de replacer l’humain au centre de l’intérêt. C’est là qu’interviennent les neurosciences. Mieux connaître le fonctionnement de notre cerveau et nos besoins permet de créer un environnement plus adapté. Les neurosciences vont ainsi fournir des outils pour mieux se comprendre et ainsi mieux comprendre ses collaborateurs.
Dans quels domaines les neurosciences peuvent nous aider ?
Cela peut concerner divers sujets : comment réussir à motiver les équipes de façon intelligente ? Comment donner du sens au travail pour avoir des salariés plus investis ? Comment mieux prendre des décisions ? Humaniser, c’est aussi prendre en considération les émotions sans les nier, d’où l’importance de les comprendre. Les neurosciences nous renseignent aussi sur la gestion du stress, la communication, l’apprentissage, la mémorisation, la créativité… Le neuromanagement est alors performant puisqu’il va donner des pistes de réflexion et des outils pour optimiser ces différents points.
Prenons des exemples précis. Comment peut-on améliorer la prise de décision ?
Souvent, on a l’impression d’être très rationnel quand on prend une décision. On pèse le pour et le contre, et on choisit la meilleure option. Or, comme a pu le démontrer le professeur en neurosciences Antonio Damasio, toute décision est influencée par nos émotions. Et c’est extrêmement important de le prendre en compte. Si par exemple, on reçoit un candidat pour un entretien d’embauche, il est fort probable que notre avis sur cette personne diffère si on a reçu une excellente nouvelle juste avant l’entretien, ou si on vient d’avoir un accrochage sur la route. Pourtant, ça sera la même personne en face de nous, avec les mêmes compétences. Donc, dans une situation similaire mais avec un contexte différent, on va prendre deux décisions totalement opposées. Avoir des connaissances en neurosciences permet de disposer des bons outils pour faire abstraction de tous les biais qui influencent notre prise de décision.
L’idée ici n’est pas de mettre de côté nos émotions, mais plutôt de les comprendre, de les identifier et de savoir agir en conséquence. Ainsi, si on s’aperçoit qu’on est très joyeux, ou au contraire très en colère avant un entretien d’embauche ou un rendez-vous, on peut soit essayer de se calmer seul, soit décider de s’accompagner d’autres collègues. De manière générale, l’intelligence collective permet de supprimer les biais, d’où l’importance de prendre des décisions à plusieurs, avec des profils très différents.
Qu’est-ce que les neurosciences nous enseignent sur la gestion du stress ?
Les travaux en neurosciences démontrent qu’il y a là encore une forte implication des émotions. Elles ont beaucoup été mises de côté dans le monde du travail, or elles sont le centre de tout ! Déjà, il va s’agir de savoir identifier son stress et ses causes. Ensuite, il existe de nombreuses méthodes pour apprendre à gérer son stress et qui dépendent de chacun. Parmi elles, on peut citer la cohérence cardiaque, la méditation, la musique, la lecture… D’ailleurs, le fait de lire est l’une des méthodes les plus efficaces !
Du côté de l’entreprise, une solution simple et efficace pourrait être de créer une pièce dédiée, avec pourquoi pas un casque audio pour écouter de la musique ou des programmes courts de méditation, quelques livres… Ainsi, les personnes se sentant stressées pourraient s’accorder une pause d’une dizaine de minutes pour se calmer. Ce temps serait d’ailleurs bénéfique aussi pour l’entreprise car une personne stressée ne pourra pas travailler efficacement.
Comment peut-on booster notre créativité ou celle de nos équipes ?
Divers facteurs jouent sur la créativité. Tout d’abord, on a pu remarquer que les visioconférences bridaient la créativité. Pareil pour la surcharge cognitive, le stress et la fatigue. En revanche, d’autres facteurs la facilitent : certaines couleurs peuvent la stimuler par exemple. On peut alors décider de créer un environnement enrichi de ces couleurs, mettre certains sons, organiser des ateliers de groupe etc.
Comment implémenter ces connaissances et outils au sein de l’entreprise ?
Cela passe déjà par une petite formation en neurosciences, puis par une phase d’écoute pour identifier les problèmes et besoins, autant auprès des managers que des collaborateurs. La littérature scientifique nous informe sur ce qui fonctionne sur le cerveau mais ensuite, il faut se renseigner et voir comment l’appliquer au mieux dans le quotidien de l’entreprise. Il faut aussi une réelle volonté de changer les choses et d’humaniser le fonctionnement.
Il existe des outils très simples pour commencer. Par exemple, on entend de plus en plus parler de la météo des émotions. Le matin, un tour de table rapide permet d’évaluer comment chacun se sent. Cela nous permet déjà de réussir à identifier nos propres émotions, ce qui est une première étape. Ensuite, si une personne ne se sent pas bien, le manager pourra aller la voir, lui proposer de parler si elle le souhaite, ou adapter ensuite la journée avec des temps de pause par exemple. C’est une marque de considération importante, qui permet aussi aux collaborateurs de se sentir plus impliqués. Donc cet outil, qui peut presque paraître idiot, fonctionne très bien.
Parallèlement à ces formations, votre start-up Neuralix travaille sur un dispositif innovant permettant d’apprendre et de gagner en compétences durant le sommeil. De quoi s’agit-il exactement ?
Durant ma thèse, j’ai découvert le pouvoir incroyable du sommeil sur l’apprentissage. Nous sommes donc en train de créer un dispositif électronique sous forme de masque de nuit qui va stimuler l’apprentissage durant le sommeil. Lorsqu’une personne travaille un geste technique ou un apprentissage durant la journée, comme une nouvelle langue ou un morceau de piano, on va envoyer une odeur afin que le cerveau l’associe au nouveau geste. Puis, durant la nuit, le masque équipé de capteurs et un algorithme d’intelligence artificielle permettront d’analyser le sommeil en temps réel, et d’envoyer des stimulations odorantes à des moments clés du sommeil. Ces odeurs vont ainsi réactiver les apprentissages de la journée pour les retravailler et les intégrer.
Quelle est la cible de ce dispositif ?
Il y a deux cibles majeures. Une non-médicale qui va concerner les sportifs et les artistes, qui ont besoin de travailler des gestes techniques. Ainsi, en dormant, on utilise le potentiel de leur cerveau en les refaisant travailler, mais sans effets secondaires, ni fatigue supplémentaire. Je suis d’ailleurs en relation avec des équipes de football qui pourraient être intéressées par ce dispositif. La deuxième cible est cette fois purement médicale. Le dispositif pourrait permettre de lutter contre les addictions, ou d’optimiser la rééducation motrice par exemple.
Où en est l’avancée du projet ?
Pour l’instant, nous sommes en phase de R&D. Nous avons terminé de travailler sur notre algorithme d’intelligence artificielle pour détecter les moments clés du sommeil et les résultats sont très prometteurs. Maintenant, nous pouvons lancer les tests utilisateurs auprès de la cible non-médicale afin d’améliorer l’ergonomie du masque, vérifier l’efficacité et à terme lancer la commercialisation ! Le côté médical se fait en parallèle mais va prendre plus de temps car il s’agit d’un dispositif médical qui demande donc des essais cliniques plus longs. Depuis une trentaine d’années, il y a beaucoup de recherches sur ce sujet, et il reste encore plein de mécanismes de notre cerveau à comprendre, c’est un sujet vraiment passionnant !
Propos recueillis par Alexandra Vépierre
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