Depuis plusieurs années, le CIR mobilise une part considérable des moyens budgétaires de l’État, à hauteur de sept milliards d’euros environ, sans que son efficacité réelle fasse consensus. Dans sa tribune « Crédit d’impôt recherche : de l’arrosoir au ciblage stratégique », Philippe Latombe plaide pour un basculement structurel. Il s’agit, selon lui, de redistribuer les avantages au profit des entreprises les plus innovantes, d’imposer des contreparties aux grandes entreprises, et d’instaurer un CIR différencié « Digital » pour les technologies jugées critiques.
Philippe Latombe estime ainsi que 80 % du CIR profitent aujourd’hui à des entreprises de plus de 250 salariés, tandis que les quelque 15 500 PME innovantes ne récoltent que les miettes. Il dénonce des effets d’aubaine. En effet, certains groupes créent des centres de recherche en France uniquement pour bénéficier du CIR, puis relocalisent les retombées économiques à l’étranger.
Cette critique rejoint des constats plus larges sur l’effectivité du CIR. Ainsi, bien qu’il incite certaines dépenses de R&D, son rendement en termes d’emplois, de brevets ou de gains de productivité est jugé modéré, notamment pour les grandes entreprises qui auraient investi de toute façon. Le débat s’est intensifié dans le cadre du projet de loi de finances 2025, où des arbitrages ont déjà été pris pour resserrer l’assiette du CIR.
Réformes déjà engagées dans la loi de finances 2025
Le CIR ne sort ainsi pas totalement indemne des réformes budgétaires. Plusieurs mesures votées dans la loi de finances 2025 réduisent le périmètre des dépenses éligibles. Les frais liés aux brevets, la veille technologique et le statut « jeune docteur » sont notamment retirés du champ du CIR. Le taux forfaitaire de dépenses de fonctionnement, anciennement 43 %, est ramené à 40 %.
Malgré ces ajustements, les modalités d’emploi du CIR (réduction de l’impôt dû, créance remboursable en cas d’excédent, obligation déclarative) demeurent inchangées. Toutefois, la réforme vise clairement un recentrage vers les seules dépenses de R&D « pures » (salaires, amortissements, sous-traitance agréée), reléguant les dépenses de protection intellectuelle au second plan.
Ces modifications illustrent la tension entre objectif de maîtrise budgétaire et volonté de préserver un levier d’innovation. Le CIR représente aujourd’hui environ 20 % des dépenses fiscales destinées aux entreprises.
Les pistes de réforme
Face à ces constats, Philippe Latombe propose un rééquilibrage complet du dispositif. Il suggère que 80 % du CIR soient réservés aux entreprises de moins de 250 salariés, et seulement 20 % aux autres, rompant avec la répartition actuelle. Il va plus loin en préconisant une réduction du CIR pour toute entreprise versant des dividendes, proportionnellement à ces versements voire totalement dès le premier euro.
On observe aussi dans la tribune, la proposition de création d’un CIR Digital avec un taux bonifié à 40 % pour des secteurs définis chaque année par décret – IA, quantique, cybersécurité, blockchain, biotechnologies numériques. Pour contribuer à cette bonification, Philippe Latombe suggère de plafonner le CIR classique à 50 millions d’euros (au lieu de 100 millions) et de faire basculer les excès en prêts à taux zéro remboursables selon le succès du projet.
Par ailleurs, il propose un mécanisme de suramortissement « Achat Innovation France », permettant aux grandes entreprises qui acquièrent des solutions labellisées French Tech d’amortir fiscalement 140 à 160 % de l’investissement. Une clause antidélocalisation complète le dispositif, prévoyant le remboursement intégral du CIR si l’entreprise est vendue dans les dix ans, majoré à 150 % en cas d’acquéreur classé « gatekeeper » étranger au sens du DMA européen.
Enfin, pour faciliter l’accès, il propose un « CIR Express », décliné en une validation automatique jusqu’à 500 000 €, une réponse en 15 jours au-delà, et un contrôle a posteriori avec pénalités triplées en cas d’abus.
Limites, enjeux et incertitudes
Les propositions du député apportent une vision normative forte, mais posent plusieurs questions pratiques et politiques. D’abord, la fiabilité du ciblage technologique est délicate. Définir chaque année une liste de secteurs prioritaires risque en effet d’introduire de l’arbitraire, des effets de lobbying ou des erreurs de pari stratégique.
Ensuite, la contrainte budgétaire est réelle. Diminuer l’assiette du CIR ou plafonner ses effets suppose notamment de compenser ou d’augmenter d’autres formes d’aide à l’innovation, ce qui peut entrer en tension avec les engagements de réduction des dépenses publiques.
Enfin, les propositions de Philippe Latombe s’inscrivent dans un débat plus vaste sur l’efficacité des dispositifs fiscaux d’innovation. Certains observateurs estiment ainsi que l’efficience macroéconomique du CIR reste incertaine, faute d’études contre-factuelles robustes. De plus, il est parfois reproché au soutien fiscal de détourner les ressources de la recherche publique ou d’uniformiser les financements au détriment de projets plus risqués ou intersectoriels.
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