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Romain Postoyan : « Simplifier la variabilité des mécanismes grâce à l’automatique »

Posté le 21 août 2025
par Romain POSTOYAN
dans Informatique et Numérique

La complexité des systèmes appelle au développement de nouveaux outils méthodologiques devant offrir fiabilité et robustesse aux interconnexions en réseau, en dépit de nombreuses variables, notamment humaines. Construire des stratégies de contrôle à partir des données est donc le défi à relever aujourd’hui par l’automatisation et la simplification dans des domaines jusqu’alors peu étudiés en raison de la grande variabilité de leurs mécanismes. Romain Postoyan, conseiller Automatique et auteur pour Techniques de l’Ingénieur, évoque ici ce champ de recherches aux limites sans cesse repoussées.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours et ce qui vous a amené à travailler dans le domaine de l’automatique ?

J’ai découvert l’automatique en classes préparatoires, mais c’est véritablement lors de mes études d’ingénieur à l’ENSEEIHT que j’ai eu un coup de cœur pour le domaine. Le déclic fut le cours d’automatique linéaire fondée sur la représentation d’état de Maurice Fadel. La « révélation » fut le lien fort mis en avant entre algèbre linéaire et automatique. C’est ce lien, dans un sens plus large, entre mathématiques appliquées et applications, qui me fascine encore aujourd’hui. J’ai ensuite découvert l’étendue des champs d’application de l’automatique, cette diversité ne cesse de m’étonner encore aujourd’hui. Afin d’approfondir cette voie, j’ai poursuivi mes études par un master recherche en théorie du contrôle à l’université de Coventry (Royaume-Uni), puis une thèse soutenue en 2009 à l’université Paris-Sud (aujourd’hui université Paris-Saclay) au L2S (UMR CNRS 8506, CentraleSupélec). Après un séjour postdoctoral à l’université de Melbourne, j’ai ensuite rejoint le CNRS en 2011 au CRAN (UMR 7039, Université de Lorraine) en tant que chercheur où je poursuis mes recherches depuis.

Quels sont les défis majeurs auxquels l’automatique est confrontée aujourd’hui, notamment dans l’industrie 4.0 et les systèmes cyberphysiques ?

L’un des grands défis, à mes yeux, réside dans la complexité croissante des systèmes auxquels nous sommes confrontés notamment dans l’industrie 4.0 et les systèmes cyberphysiques. Par complexité, j’entends à la fois le nombre élevé de variables, l’interconnexion en réseau de ces systèmes, l’hétérogénéité de leurs dynamiques qu’elles soient continues, discrètes ou exhibant plusieurs échelles de temps ou encore leur forte variabilité due à l’interaction avec des humains par exemple. Ces caractéristiques appellent le développement de nouveaux outils méthodologiques pour le contrôle et l’estimation, un champ de recherche particulièrement actif depuis plus d’une décennie.

L’IA et le machine learning prennent de plus en plus de place : quelle est leur complémentarité avec les approches classiques de l’automatique ?

L’automatique repose historiquement sur la démarche suivante : modéliser un système à partir des lois de la physique ou des données disponibles, puis, à partir de ce modèle, concevoir des lois de commande ou d’estimation. L’IA vient, si ce n’est bouleverser du moins questionner ce paradigme. Il est désormais en effet possible de construire directement des stratégies de contrôle à partir des données, et ce pour des systèmes complexes, sans passer par une modélisation explicite. L’enjeu est majeur, car cela pourrait d’une part automatiser et donc simplifier la synthèse de contrôleurs mais également ouvrir la voie au développement de stratégies de contrôle pour des domaines jusqu’alors peu étudiés de par la grande variabilité des mécanismes mis en jeu comme cela peut être le cas en neurosciences par exemple.

L’intelligence artificielle a donc beaucoup à offrir à l’automatique, mais l’inverse est tout aussi vrai. Des enjeux majeurs, tels que la robustesse et la fiabilité des algorithmes d’apprentissage par renforcement, restent aujourd’hui largement ouverts. Ces questions touchent au cœur de métier de l’automatique qui dispose de tout un savoir-faire pour garantir des propriétés de stabilité, de robustesse et d’invariance des systèmes autonomes. Le « tout données » montre également ses limites. Ce qui se dessine aujourd’hui, c’est un véritable dialogue entre les approches fondées sur la connaissance physique et l’exploitation des données. Dans ce contexte, l’automatique a plus que sa place par son ancrage en termes d’analyse et d’exploitation des propriétés structurelles des systèmes. Cela pourrait ouvrir la voie à de nouveaux algorithmes d’IA plus sûrs et plus efficaces en termes de ressources de calcul. Je mentionne ici deux points pour lesquels l’automatique peut contribuer conjointement au développement de l’IA mais il en existe de nombreux autres tels que l’identification des systèmes, l’estimation d’état, l’analyse des algorithmes, etc.

Comment l’automatique contribue-t-elle à l’amélioration de l’efficacité énergétique et à la transition écologique ?

Tout d’abord en proposant des stratégies de contrôle qui réduisent la consommation énergétique des systèmes tout en assurant leur bon fonctionnement. Cette question est au cœur de la commande dite optimale, une des thématiques historiques de l’automatique. Par ailleurs, l’automatique repose traditionnellement comme nous l’avons vu sur l’exploitation d’un système et de ses propriétés, ce qui peut permettre de grandement diminuer les ressources de calcul nécessaires pour mettre en place une loi de commande par opposition aux approches d’IA telle que l’apprentissage par renforcement reposant sur une quantité importante de données. Dernier point, les automaticiens s’intéressent non seulement à la dépense énergétique du système à piloter mais aussi à celle des lois de commande. En effet, un algorithme de contrôle consomme des ressources de calcul et de communication qui ont un coût énergétique. De nouveaux paradigmes ont ainsi vu le jour ces dernières années à l’instar de la commande événementielle et neuromorphique afin de proposer de nouveaux algorithmes de contrôle des ressources de calcul et de communication des contrôleurs économes en ressources.

Pouvez-vous partager des exemples concrets d’applications récentes où les techniques d’automatique ont eu un impact significatif ?

Le premier exemple qui me vient en tête est celui des drones. Lorsque j’étais étudiant, je ne dirais pas que le pilotage automatique de drones était une chimère, mais il restait l’apanage de quelques rares équipes de recherche. Aujourd’hui, ces engins sont devenus accessibles au grand public, à tous les prix. Ce développement spectaculaire n’aurait jamais été possible sans les avancées en automatique, en particulier en commande et estimation non linéaires.

Dans quels secteurs voyez-vous les avancées les plus prometteuses en automatique (automobile, aérospatiale, robotique, santé, etc.) ?

Je pense que la santé est l’un des domaines où l’automatique a le plus à offrir. Qu’il s’agisse de chirurgie robotisée ou de la régulation de troubles physiologiques comme le diabète, la maladie de Parkinson ou l’épilepsie, les applications sont déjà nombreuses. Les mécanismes de régulation sont en effet omniprésents dans notre corps, et beaucoup de pathologies peuvent être comprises comme des dysfonctionnements de ces processus. L’automatique est la science de la régulation et a donc sur le principe énormément à apporter à ces défis. Nous ne disposons pas encore aujourd’hui de tous les outils nécessaires, mais de nombreuses équipes de recherche à travers le monde s’y attellent. Je suis ainsi persuadé qu’elle jouera un rôle croissant dans l’élaboration de traitements innovants, à l’interface entre technologie, biologie et médecine.

Quelles sont les compétences clés à maîtriser aujourd’hui pour un ingénieur en automatique ?

Il est essentiel d’avoir de solides bases en mathématiques pour comprendre les algorithmes que l’on manipule et les principes qui les sous-tendent. La curiosité scientifique est également précieuse, car les domaines d’application de l’automatique sont vastes et en constante évolution. Enfin, la capacité à simuler numériquement des systèmes dynamiques, et donc à savoir coder, est indispensable pour passer de la théorie à la mise en œuvre.

Quel conseil donneriez-vous aux étudiants qui souhaitent se spécialiser en automatique ?

Je leur conseillerais d’abord de ne pas s’arrêter au nom du domaine, qui peut parfois sembler un peu daté. Personnellement, je préfère parler de théorie du contrôle. Plus sérieusement, je leur dirais que c’est un champ d’une richesse remarquable, à la fois par la diversité des outils théoriques qu’il mobilise et par l’étendue de ses applications, bien au-delà de ce qui est généralement présenté dans les cursus classiques. Cela peut sembler exagéré, mais quel que soit votre centre d’intérêt (robotique, aéronautique, spatial, mais aussi biologie, chimie, neurosciences, économie ou psychologie), vous y trouverez des problématiques en lien avec l’automatique. C’est un domaine profondément transversal, à la croisée des sciences.

Comment voyez-vous l’évolution de l’automatique dans les prochaines années ?

Je suis convaincu que l’automatique verra son importance croître avec l’essor technologique que nous connaissons. En revanche, le domaine souffre encore d’un manque de visibilité, qui constitue à mes yeux un risque majeur. L’automatique est partout autour de nous, mais souvent méconnue, y compris dans les milieux où elle est pourtant essentielle. L’un des défis majeurs pour notre communauté est donc de mieux faire connaître le domaine, afin de susciter un intérêt accru aussi bien auprès des étudiants que des industriels ou des décideurs publics. Certains pays y parviennent très bien : je pense notamment aux Pays-Bas, où les industries de pointe investissent massivement dans l’automatique et le nombre d’étudiants poursuivant un cursus en automatique croît significativement. C’est un exemple inspirant.

Y a-t-il des verrous scientifiques ou technologiques qui limitent encore certaines applications ?

Comme évoqué précédemment, la complexité des dynamiques en jeu constitue souvent un obstacle majeur, qui appelle au développement de nouvelles approches, notamment fondées sur l’exploitation des données. Ce qui fait la force de l’automatique, cependant, c’est son ancrage dans les propriétés structurelles des systèmes. L’un des grands défis actuels est donc de concilier ces connaissances structurelles avec les données disponibles. Ces dernières années, des travaux passionnants ont émergé dans cette direction, laissant entrevoir des avancées prometteuses dans un avenir proche.

Comment la collaboration entre recherche académique et industrie peut-elle accélérer le développement de nouvelles solutions en automatique ?

On oppose souvent, à tort selon moi, recherche académique et recherche industrielle. Pour ma part, j’ai énormément appris de mes collaborations avec le monde industriel. Elles ont non seulement enrichi ma compréhension d’enjeux concrets, mais ont aussi fait émerger des questions théoriques que je n’aurais probablement jamais rencontrées autrement. Ces partenariats sont, à mes yeux, une véritable chance pour les deux parties.

Propos recueillis par Maya Huguenin 

 

Contribution de Romain Postoyan à Techniques de l’Ingénieur

Romain Postoyan collabore avec les Techniques de l’Ingénieur en tant qu’auteur spécialisé dans le domaine de l’automatique.

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