Interview

Sherpa s’intéresse au devoir de vigilance de la transition énergétique

Posté le 3 novembre 2020
par Matthieu Combe
dans Entreprises et marchés

Sherpa dévoile une nouvelle étude sur le devoir de vigilance lié aux chaînes d’approvisionnement en minerais de neuf entreprises françaises impliquées dans la transition énergétique. Entretien.

La transition énergétique demande beaucoup de minerais pour le déploiement de la mobilité électrique et des énergies renouvelables. La Banque mondiale recense 17 minerais nécessaires à ces technologies comme le lithium ou le cobalt ou encore le néodyme. Mais, l’extraction et l’approvisionnement de ces minerais peuvent engendrer des atteintes graves à l’environnement et aux droits humains. Dans son suivi des minerais de transition, le Business and Human Rights Resource Centre dénombre ainsi 167 cas d’atteintes aux droits humains et à l’environnement pour les 37 plus importantes entreprises impliquées dans l’extraction et l’utilisation de minerais dans le cadre de transition énergétique.

Depuis 2017, la loi sur le devoir de vigilance oblige les grandes entreprises françaises de plus de 5 000 salariés en France ou 10 000 dans le monde à publier et mettre en œuvre un plan de vigilance. Ce dernier doit identifier et prévenir les risques que leurs activités font peser sur les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, les droits humains et l’environnement. Sherpa a donc cherché à vérifier si les plans de vigilance publiés par neuf entreprises françaises soumises à la loi sur le devoir de vigilance contiennent des mesures de vigilance propres à identifier ces risques et à prévenir ces atteintes. Jean François, juriste chez Sherpa, explique ces résultats.

Techniques de l’ingénieur : Votre nouvelle étude porte sur les minerais de la transition énergétique. Les plans de vigilance des neuf entreprises étudiées sont-ils suffisants ?

Jean François, juriste chez Sherpa.

Jean François :Notre nouvelle étude analyse en détail les plans de vigilance de neuf sociétés que nous avions précédemment identifiées comme soumises à la loi sur le devoir de vigilance : EDF, Engie, Total, Bolloré, PSA, Renault, Eramet, Imerys et Nexans. Résultat : les mesures contenues dans leurs plans de vigilance ne répondent pas aux obligations de la loi et demeurent largement insuffisantes par rapport à ce qui devrait être publié et mis en œuvre. Les risques liés à ces minerais n’apparaissant que rarement dans ces plans. En outre, les mesures présentées rentrent tellement peu dans les détails et sont tellement détachées des activités des sociétés que leurs plans pourraient être interchangés. Les entreprises partagent des exemples de mesures qu’elles mettent en œuvre depuis très longtemps, comme des audits ou des certifications, mais qui n’ont jamais suffi à éviter des atteintes à l’environnement ou aux droits humains. Il y a un recours à l’existant que l’on déplore et qui ne répond pas aux objectifs de la loi qui appelaient à des mesures nouvelles et efficaces.

Lorsqu’une entreprise formalise un plan de vigilance, il renvoie le plus souvent à d’autres documents et en particulier à la déclaration de performance extra-financière (DPEF) alors que le Code de commerce dit exactement l’inverse. Le plan de vigilance est un document de référence qu’il faudrait citer dans les différentes obligations de reporting. Dans la pratique, les sociétés ne donnent que des informations très générales et limitées dans leurs plan de vigilance et elles renvoient vers la DPEF pour plus de précisions.

Quelles devraient être les bonnes pratiques à déployer ?

Il faudrait que les sociétés concernées cartographient les risques qui sont vraiment liés à leur chaîne d’approvisionnement. Cela implique dans un premier temps de les connaître. Dans l’idéal, il faudrait que les risques soient identifiés en fonction des pays d’origine des matières premières ou des pays où certains produits sont fabriqués. Les risques sont bien souvent liés à des atteintes directement à l’environnement en cas d’extraction de minerais ou de risques d’atteintes au droit du travail. Il faudrait ensuite définir des procédures d’évaluation de la chaîne de valeur, des actions d’atténuation et de prévention, des mécanismes d’alerte et des dispositifs de suivi de la mise en œuvre effective et efficace des mesures.

Par ailleurs, nous avons voulu savoir si les sociétés avaient anticipé le nouveau règlement européen pour encadrer les importations de 4 minerais – étain, tantale, tungstène et or – provenant de zones de conflit ou à haut risque. Adopté en 2017, il entrera en vigueur en janvier 2021. Il s’applique aux entreprises selon certains seuils d’importation, mais les entreprises ne donnent pas accès à ces informations. PSA est la seule société à avoir indiqué qu’elle serait concernée par ce nouveau règlement. Nous sommes, là encore, loin du compte.

Pourquoi avoir fait le choix de se focaliser sur la chaîne d’approvisionnement des minerais pour la transition énergétique ?

La question de la transition énergétique est capitale, mais elle doit se faire dans des conditions qui ne portent pas atteinte à l’environnement et aux droits humains. Parmi les neuf entreprises retenues, nous avons à la fois des entreprises qui extraient des minerais, des entreprises qui en utilisent pour fabriquer des composants et des entreprises qui utilisent des composants finaux, en particulier des batteries ou des panneaux solaires. En se penchant sur cette chaîne d’approvisionnement, cela nous permettait donc de couvrir l’intégralité de la chaîne de valeur.

Nous ne voulons toutefois pas avoir un message anti-transition. La transition énergétique est un moyen nécessaire pour réduire les émissions de carbone et atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Simplement, il y a beaucoup de greenwashing opéré autour de cela. Notre message est clair : soutenons la transition énergétique mais soyons vigilants sur l’extraction des minerais.


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