Interview

De la COP21 aux JOP de Paris 2024, Hype porte haut les couleurs de la mobilité hydrogène

Posté le 19 mars 2024
par Benoît CRÉPIN
dans Énergie

Lancée à Paris en 2015 à l’occasion de la COP21, Hype développe depuis lors une plateforme de mobilités zéro émission intégrant production, distribution et usage d’hydrogène vert, avec le taxi comme premier marché pertinent. Alors qu’elle opère ainsi, depuis plus de huit ans maintenant, la plus grande flotte de taxis à hydrogène au monde, l’entreprise compte poursuivre sur cette voie au niveau international, tout en accompagnant la transformation d’autres formes de mobilités vers le « zéro émission ».

Certes essentiel, le transport de personnes à la demande est aussi responsable d’une part non négligeable des émissions polluantes du secteur de la mobilité, et constitue ainsi une cible de choix de la transition vers des solutions moins émettrices, qu’elles soient électriques à batterie, à pile à combustible hydrogène, ou un mélange des deux… Hype l’a bien compris et a ainsi décidé de lancer il y huit ans son service de taxis Crit’Air 0. Elle s’est pour cela appuyée sur l’offre de véhicules à hydrogène développée par certains constructeurs du marché, mais s’est aussi lancée dans des projets d’innovation ambitieux. Une voie dans laquelle l’entreprise entend poursuivre ses efforts – grâce, notamment, à l’appui du pôle de compétitivité NextMove – parallèlement à l’internationalisation de ses services.

C’est ce que nous explique Mathieu Gardies, P.-D.G.-fondateur de Hype, qui a par ailleurs annoncé il y a peu, la signature d’un partenariat avec les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024. Un évènement dont elle espère faire, à l’image de la COP21, une nouvelle vitrine des vertus de la mobilité hydrogène, et de la nécessité d’une bascule irréversible vers le « zéro émission ».

Techniques de l’Ingénieur : Quand et comment Hype a-t-elle vu le jour ? Quel a été, depuis lors, le chemin que vous avez parcouru ?

Fondateur et actuel P.-D.G. de Hype, Mathieu Gardies a pour ambition d’accélérer le mouvement de transition vers des mobilités zéro émission. © Hype

Mathieu Gardies : Hype a été créée en 2009, avec l’objectif de trouver des solutions rapidement déployables pour décarboner les flottes « incontournables » : tous les véhicules voués à continuer à circuler dans les villes, car ils y jouent des fonctions clés. Au premier rang d’entre eux, on trouve les taxis, qui représentent l’exemple typique d’un usage utile, mais qui nécessite malgré tout un accompagnement vers des solutions non polluantes à l’échappement.

Nous avons fait le constat, dès le départ de l’aventure Hype, qu’il nous fallait agir à la fois sur les usages, mais aussi les infrastructures. En 2009, on se trouvait alors au stade du lancement des nouvelles générations de véhicules électriques à batteries. Nous avons suivi l’évolution de ce secteur, sans véritablement y voir une solution à nos objectifs. Hype n’a ainsi pas connu de démarrage véritablement effectif avant 2015. Cette année-là, des constructeurs asiatiques ont en effet mis sur le marché les premières séries de véhicules électriques à hydrogène. Ces véhicules sont ainsi devenus accessibles pour un usage professionnel comme le taxi, avec, en plus, de gros avantages fonctionnels pour cet usage : ils s’utilisent exactement comme des véhicules thermiques – tant sur le plan de la recharge que de l’autonomie – ce qui a permis de gommer tous les freins psychologiques à l’adoption de véhicules zéro émission par les chauffeurs de taxi.

Nous avons ainsi démarré en 2015 avec cinq premières voitures, à l’occasion de la COP21. Il s’agissait alors, à l’époque, de la plus importante flotte de véhicules hydrogène au monde !

Nous avons ensuite poursuivi notre chemin avec une croissance soutenue de cette flotte, grâce notamment à l’arrivée sur le marché de nouveaux constructeurs. La crise sanitaire puis la crise ukrainienne ont fortement amplifié la prise de conscience de l’importance d’investir dans la filière hydrogène dans son ensemble. Pour des raisons purement économiques, mais aussi géopolitiques et énergétiques.

Nous estimons ainsi que, fin 2024, il y aura à Paris plus de 1 500 véhicules hydrogène utilisés comme taxis, ce qui représentera une part déjà significative du marché du taxi parisien, constitué d’environ 20 000 véhicules au total. Nous avons pour cela réussi à convaincre d’autres acteurs, qui ont suivi une démarche comparable à la nôtre. Nous voyons ainsi se mettre en place une saine compétition entre acteurs de l’hydrogène. Nous voyons dès lors 2024 comme une année de « bascule », un moment où tous les grands donneurs d’ordres auront commencé à adopter une solution zéro émission pour le transport en taxi – qu’elle repose d’ailleurs sur l’hydrogène ou l’électrique à batterie. Outre notre propre flotte de véhicules hydrogène, l’application Hype est en effet ouverte à tous les véhicules zéro émission, quelle qu’en soit la technologie.

La plateforme de mobilités zéro émission développée par Hype intègre la production et la distribution d’hydrogène vert. ©Nicolas Fagot

En parallèle de tout cela, pour pouvoir déployer rapidement ces solutions hydrogène, nous construisons notre propre réseau de stations de production et distribution d’hydrogène vert pour les alimenter. Nous misons ainsi sur une approche intégrée, qui va jusqu’à l’utilisateur final des taxis, et qui débute, en amont, par la production d’hydrogène vert.

Nos stations sont en outre ouvertes à tout le monde, et vont ainsi également permettre d’accompagner l’émergence d’autres types de mobilité : bus, cars à hydrogène, par exemple, ce qui sera le cas dès cette année à Paris.

Quelles solutions concrètes avez-vous choisies pour assurer la production d’hydrogène vert que vous évoquez ?

Nous avons déjà des stations de distribution, qui sont ravitaillées en hydrogène vert par des partenaires comme Lhyfe. Nous allons aussi déployer au cours de cette année nos premiers électrolyseurs sur la région Île-de-France. Ils seront alimentés en électricité renouvelable par notre partenaire Enertrag.

De votre point de vue, des efforts de développement en faveur du véhicule électrique à hydrogène sont-ils toujours, à l’heure qu’il est, consentis par les constructeurs automobiles, malgré l’essor du véhicule à batterie ?

Tout à fait ! Même si cela reste marqué par des phases d’accélération entrecoupées de coups de frein, plusieurs constructeurs maintiennent leurs efforts sur l’hydrogène. Nous travaillons d’ailleurs main dans la main avec certains d’entre eux, le groupe Stellantis notamment, avec qui nous avons développé, sur la base d’un utilitaire du groupe, un mini-van à hydrogène, pour le transformer en taxi zéro émission, adapté en outre au transport de personnes à mobilité réduite. Nous l’avons lancé officiellement l’an dernier. Il s’agit d’ailleurs d’un véhicule « hybride » doté d’une batterie de taille raisonnable et d’un système de pile à combustible complémentaire.

Au-delà de ce projet, l’offre des constructeurs nous permet aujourd’hui de disposer de véhicules hydrogène sur tous les segments : de la berline jusqu’au SUV en passant, donc, par le mini-van.

Hype a développé avec Stellantis un mini-van hydrogène basé sur un modèle d’utilitaire du groupe. © Hype

Nous avons par ailleurs constaté une amélioration de la qualité de ces véhicules hydrogène au fil des générations, accompagnée d’une diminution des prix. Nous sommes confiants quant à l’évolution de ce marché : l’essor du véhicule à batterie va se poursuivre, sans pour autant éclipser l’hydrogène, qui reste de notre point de vue plus intéressant pour des usages tels que le taxi, mais aussi des applications dans la mobilité lourde, par exemple. Cela évitera d’avoir à déployer des bornes de recharge ultra-rapide en surnombre ou de surdimensionner les batteries de chaque véhicule, ce qui poserait de réels problèmes de passage à l’échelle.

Outre le véhicule électrique à pile à combustible, une autre technologie hydrogène émerge : celle du moteur à combustion interne. Quel est votre point de vue sur le développement de cette solution ?

À l’image du projet de mini-van électrique-hydrogène que nous avons pu mener, nous travaillons activement sur ce sujet de la combustion d’hydrogène avec des constructeurs. Nous souhaitons parvenir à développer rapidement une solution accessible au grand public au travers de cet usage taxi. Nous sommes en effet convaincus qu’il s’agit là d’une solution pertinente, qui va aider la filière à accélérer. Il faut, de notre point de vue, pousser toutes ces solutions susceptibles de contribuer à l’essor de l’hydrogène et au passage à l’échelle des mobilités zéro émission. À terme, elles formeront en effet un panel de solutions qui finiront naturellement par s’arbitrer entre elles, pour définir un optimum. Le moteur à combustion hydrogène est déjà une réalité dans le BTP. Or, nous partageons avec ce secteur un certain nombre de problématiques : diminution du bruit, réduction des émissions polluantes en environnement urbain… Nous comptons donc trouver des « briques » de solution qui pourront bénéficier à tous, avec l’appui essentiel, dans un premier temps, des acteurs du rétrofit, qui ont véritablement donné une impulsion à ce marché, avant même les constructeurs.

Vous avez par ailleurs annoncé fin janvier 2024 la signature d’un partenariat avec les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Quelles en sont les origines ?

Hype fournira ses services de transport à la demande zéro-émission pour répondre aux besoins des personnes accréditées aux Jeux de Paris 2024, en complément des autres solutions de transport proposées. © Hype

Depuis le lancement effectif de Hype en 2015 à l’occasion de la COP21, nous souhaitons accompagner les évènements susceptibles de faire bouger les choses. C’est le cas des JOP de Paris 2024, qui vont à nouveau permettre au public et au privé de se mettre en ordre de marche pour changer la donne. Nous avons donc tout fait pour que notre offre soit prête pour cet évènement, qui jouera pour nous le rôle de caisse de résonance et permettra, nous l’espérons, de convaincre un maximum de personnes des vertus de l’hydrogène, et plus globalement de la nécessité de passer au zéro émission.

D’autres acteurs de la filière sont partenaires de ces JO, qui ont d’ailleurs, dès le départ, fixé des ambitions très élevées sur le plan environnemental et de santé publique. Notre initiative, aux côtés de celles d’autres partenaires de ces olympiades, permettra de montrer qu’il ne s’agit pas que de paroles, mais bien d’actes concrets ! Nous espérons à nouveau que cela crée un effet de bascule, de cliquet, pour que les prochaines olympiades ne puissent plus faire machine arrière sur ces aspects environnementaux et sanitaires.

Quels sont vos autres projets, à moyen ou long terme ? Avec quel(s) soutien(s) comptez-vous les mener à bien ?

Nous avons notamment l’ambition de poursuivre notre déploiement à l’échelle internationale. Nous avons déjà annoncé que nous lancerions nos services dans quinze métropoles françaises et internationales d’ici fin 2025, dont sept ont déjà été annoncées l’an dernier. Cela va nous permettre de créer un véritable « corridor » de l’hydrogène qui pourra, à terme, également accompagner l’adoption de l’hydrogène par la filière poids lourds.

Pour cela, nous pouvons notamment compter sur le soutien de NextMove. De par les interactions qu’il permet de nourrir, ce pôle de compétitivité est pour nous un partenaire de premier plan.

Nous allons aussi poursuivre nos projets d’innovation. Sur ce plan, NextMove nous permet également d’être en lien avec des porteurs d’innovation parfois très amont, présents au sein de son réseau d’adhérents. Avec la Plateforme automobile (PFA), NextMove forme un écosystème des acteurs de la mobilité qui, comme celui des acteurs de l’énergie, est crucial pour nous.


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