Ce terme CCUS désigne l’ensemble des procédés permettant de capturer le CO₂ émis par les installations industrielles, de le transporter, puis de le réutiliser dans des applications chimiques ou énergétiques, ou encore de le stocker durablement dans le sous-sol. Loin d’être une innovation émergente, le CCUS repose en partie sur des technologies existantes depuis plusieurs décennies, aujourd’hui réinventées et améliorées pour répondre aux défis énergétiques et climatiques du moment. Encore perçu comme coûteux et complexe, il va devenir pourtant incontournable pour les secteurs à fortes émissions, tels que la cimenterie, la métallurgie ou la production d’énergie.
Fabien Michel, Fondateur de la société d’ingénierie et de conseil Voltigital et spécialiste du CCUS, a expliqué aux techniques de l’Ingénieur en quoi le CCUS offre à l’industrie des solutions pour décarboner leurs activités, en complément des stratégies déjà établies pour réduire leurs émissions.
Techniques de l’Ingénieur : Qu’entend-on exactement par CCUS ?
Fabien Michel : Le CCUS – pour Carbon Capture, Utilization and Storage – désigne l’ensemble des technologies permettant de capturer, transporter, utiliser ou stocker le CO₂ émis par les activités industrielles. En pratique, on capte un CO₂ souvent dilué dans les fumées de combustion pour l’enrichir jusqu’à un taux proche de 99 %. Cette étape est énergivore et elle nécessite de purifier les gaz et d’éliminer des composés traces comme l’eau ou l’oxygène. Certaines sources, comme la méthanisation ou les distilleries, produisent déjà un CO₂ concentré et plus simple à valoriser. L’enjeu technologique est donc d’optimiser la capture pour en réduire les coûts et la consommation énergétique et favoriser sa diffusion à grande échelle.
Où se situent les principaux défis dans cette chaîne de valeur ?
La chaîne de valeur du CO₂ comporte plusieurs maillons : la capture, la compression ou liquéfaction, le transport, puis l’utilisation ou le stockage. Chacun présente ses propres verrous. Le transport, par exemple, peut s’effectuer par canalisation ou par camion, selon les volumes et les infrastructures existantes.
L’usage du CO₂, lui, peut être marchand – dans les serres, l’agroalimentaire ou la métallurgie par exemple – ou plus innovant, comme la production de carburants de synthèse, les e-fuels, ou la minéralisation, qui permet de piéger le CO₂ dans des matériaux. Ces technologies combinent souvent usage et stockage : traiter du béton recyclé au CO₂, par exemple, permet à la fois de séquestrer du carbone et d’améliorer la qualité du matériau.
Ces technologies sont-elles réellement matures ?
Contrairement à une idée répandue, beaucoup ne datent pas d’hier. Les procédés de capture au moyen d’amines, ou de cryogénie, existent depuis des décennies. Ce qui change aujourd’hui, c’est leur optimisation qui est nécessaire pour permettre un déploiement à grande échelle : il faut consommer moins d’énergie, adapter les procédés aux contextes industriels variés et réduire les coûts.
Certaines technologies sont donc matures et d’autres sont émergentes. Dans tous les cas, il faut les optimiser pour les nouveaux usages. C’est un peu comme l’électromobilité : la voiture électrique existe depuis le début du XXᵉ siècle, mais il a fallu un siècle pour qu’elle devienne viable. Pour le CCUS, nous vivons en quelque sorte la même phase d’adaptation.
Quelles sont les installations pionnières les plus représentatives aujourd’hui ?
En France, plusieurs projets d’ampleur ont été mis en œuvre ou annoncés. Très récemment, Veolia a par exemple annoncé un projet de capture de CO₂ sur un incinérateur au Mans, et Lab (groupe PAPREC) en déploie un autre à Pontivy.
Ici, les technologies utilisées restent classiques – lavage aux amines – mais elles ouvrent la voie à la décarbonation de plus de 120 incinérateurs qui devront intégrer le système européen d’échange de quotas carbone, et peut-être dès 2028. D’autres initiatives illustrent la diversité des approches : le projet DMX testé chez ArcelorMittal à Dunkerque vise par exemple à réduire la consommation énergétique de la capture. La start-up Revcoo, en France, développe une technologie cryogénique d’un nouveau genre et ne consommant pas de chaleur. Des projets de minéralisation in situ, comme en Islande avec Carbfix, transforment quant à eux le CO₂ dissous dans l’eau en carbonates stables injectés dans les roches.
Quels sont les grands projets structurants pour la logistique du CO₂ ?
La question du transport est cruciale. Sans réseau, impossible de massifier l’utilisation et la séquestration.
En France, NATRAN porte le projet GOCO₂ (Grand Ouest CO₂) : un futur réseau reliant plusieurs sites industriels de production de chaux et de ciment, jusqu’au port de Saint-Nazaire, d’où le CO₂ pourra être utilisé pour la production de e-fuel ou expédié vers des stockages géologiques massifs, en particulier en mer du Nord.
D’autres projets, à Dunkerque ou dans le Sud-Ouest visent également à créer de véritables autoroutes du carbone. Ces infrastructures mettront une dizaine d’années à voir le jour, mais elles seront structurantes : elles permettront aussi à de plus petits émetteurs de se raccorder et d’entrer dans la boucle. Sans ces réseaux, les industriels ne pourront pas se décarboner. Ils ne peuvent pas, seuls, construire leur logistique de CO₂.
Quelles innovations se distinguent dans la valorisation du CO₂ ?
Plusieurs voies prometteuses se dessinent. D’un côté, l’électro-réduction du CO₂, qui permet de produire des molécules utiles à forte valeur ajoutée comme l’éthylène ou l’éthanol à partir d’électricité et de CO₂ : c’est la voie explorée par les startups françaises e-ethylène, Dioxycle ou Carbonéo.
De l’autre, la minéralisation, qui est le cœur de notre activité CARBOROK (marque de VOLTIGITAL), et qui consiste à faire réagir le CO₂ avec des matériaux comme le béton recyclé pour réduire sa porosité et améliorer ses performances. Cette approche combine usage et stockage : on recarbonate les matériaux tout en diminuant leur empreinte carbone. Avec le soutien de GRDF, de la Région et du Ministère (dans le cadre du programme France 2030) CARBOROK déploie actuellement un pilote de minéralisation sur la plateforme de Colas à Chauvé en Loire Atlantique, pour tester un nouveau concept de réacteur à l’échelle pré-industrielle.
Le coût reste un frein majeur. Peut-on vraiment rendre le CCUS compétitif ?
Aujourd’hui, capturer et séquestrer une tonne de CO₂ peut coûter entre 80 et 250 euros, alors que la tonne de CO₂ sur le marché européen des quotas se situe autour de 80 euros. L’arbitrage économique est donc évident : beaucoup préfèrent payer pour l’instant la taxe plutôt que d’investir. Mais d’une part il est prévu que le prix du quota CO2 augmente dans le futur et par ailleurs les coûts peuvent chuter grâce à l’innovation. Par exemple, remplacer la combustion classique par l’oxy-combustion permet d’obtenir des fumées beaucoup plus concentrées en CO₂, donc plus simples et moins coûteuses à traiter.
Quelle place le CCUS peut-il occuper dans la stratégie climatique ?
Malheureusement, on ne décarbonera pas uniquement par la sobriété ou l’efficacité énergétique. Le CCUS fait partie des solutions de “deuxième vague”, à mettre en œuvre une fois les leviers classiques engagés. Il permet de traiter les émissions résiduelles, dites « difficiles-à-réduire », celles qu’on ne peut pas éviter dans la sidérurgie, le ciment, la verrerie ou les déchets pour ne citer que ces activités.
Ces technologies du CCUS ouvrent aussi la voie à des émissions négatives, en captant du CO₂ biogénique ou atmosphérique pour le séquestrer durablement. C’est le principe des projets BECCS (Bio-Energy Carbon Capture and Storage) ou des Direct Air Capture (DAC). Dans ce cas, on peut réduire la concentration de CO2 de l’atmosphère et non pas juste freiner son augmentation.
Certains accusent le CCUS d’être du techno-solutionnisme. Que leur répondez-vous ?
C’est un procès d’intention injuste. Le CCUS ne prétend pas remplacer la réduction des émissions, mais il la complète.
Notre monde industriel est construit depuis 150 ans sur la combustion d’énergie fossiles. On ne changera pas cela en un claquement de doigts, en particulier à l’international. Ces technologies ne sont pas un alibi, mais un outil indispensable pour atteindre le net zéro. D’ailleurs, les cimentiers l’ont bien compris : sans captage du carbone, leur production restera trop émettrice pour être commercialisable à long terme.
Mais le CCUS n’est pas non plus la solution à tous les problèmes : il présente des enjeux techniques, des surcoûts, des transformations industrielles.
On peut retenir que le CCUS a une efficacité et un coût élevé. Si d’autres actions permettent de prévenir les émissions de CO2 (efficacité, sobriété), il faut les mettre en œuvre. Quand ce n’est pas possible, il faudra capturer.
Quelles sont les perspectives pour la filière française ?
La France dispose d’atouts considérables : un tissu industriel dense, des chercheurs actifs et des zones géologiques favorables au stockage. Mais pour accélérer, il faut des infrastructures communes, un cadre réglementaire clair et une valorisation économique du CO₂ capté. Il faut que le CCUS sorte de la catégorie des projets expérimentaux pour devenir un outil industriel. Enfin, il faut un consensus clair à l’échelle de la société. Le CCUS est un outil très puissant pour décarboner nos activités, à utiliser en combinaison avec d’autres approches. Quand il y a un consensus scientifique clair, utilisons toute notre énergie à décarboner, sans opposer les solutions.
Propos recueillis par Pierre Thouverez
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