Décryptage

Dans l’espace aussi le «tout électrique» fait son chemin

Posté le 30 mai 2018
par Sophie Hoguin
dans Innovations sectorielles

Parmi les alternatives aux carburants chimiques, les solutions de propulsions dites électriques connaissent un essor sans précédent autant pour de très petites poussées, permettant d’ajuster l’orientation d’un satellite, que pour assurer le voyage de sondes ou de véhicules interplanétaires.

Utilisées depuis plus de 20 ans, les technologies de propulsion électrique ont fait des progrès en matière d’autonomie, de miniaturisation, de performances qui les destinent à des projets toujours plus grands. La première sonde équipée d’un tel système de propulsion était Deep Space 1 en 1998. D’autres sondes marquantes ont suivi : Dawn, Smart 1 et Hayabusa. Permettant non seulement aux Américains mais aussi aux Européens et aux Japonais de maîtriser cette technologie issue de la recherche russe des années 1960. Le principe de fonctionnement de cette propulsion électrique est de créer un plasma (gaz de particules électriquement chargées) puis de l’accélérer via des champs électriques ou magnétiques. L’accélération des ions entraîne une réaction de sens opposé qui constitue la propulsion. Juste avant la sortie, les ions récupèrent leurs électrons afin de recréer la neutralité électrique tant du véhicule que du carburant éjecté. Aujourd’hui le carburant le plus couramment utilisé est le xénon. Pour effectuer l’ionisation, il faut tout de même disposer d’énergie électrique. Elle est pour l’instant obtenue via des panneaux solaires mais des systèmes à base de réactions nucléaires sont envisagées comme alternative : soit avec des générateurs thermoélectriques – l’alimentation en chaleur est assurée par la désintégration d’un isotope radioactif, soit avec des réacteurs nucléaires à fission.

Deux technologies majoritaires

On distingue couramment deux options technologiques principales dans la propulsion électrique. D’une part les moteurs ioniques à grilles et d’autre part les moteurs à effet Hall. Dans le premier cas, le champ électrique est créé par deux grilles polarisées. Dans le second, la poussée est plus importante et le champ électrique est issu à la fois d’un champ magnétique induit par deux bobines placées au centre et à l’extérieur d’une cavité cylindrique et d’une différence de potentiel entre une anode et une cathode. L’option ionique à grille est très économe en carburant mais la poussée y est inférieure et plus longue à être amorcée. Elle est donc plutôt préférée pour les longues missions interplanétaires. D’autres variantes sont à l’étude, dont la plus puissante est le propulseur magnétoplasmadynamique (MPD). Il vise à supprimer les collisions entre électrons, atomes et ions qui sont générées dans un moteur à effet Hall du fait de la forme circulaire du courant en créant un courant aligné avec le champ électrique. Le fonctionnement est basé sur la combinaison de deux champs (électrique et magnétique) pour fournir une force de Lorentz axiale. Ce propulseur possède plusieurs avantages : la poussée peut être ajustée par la variation du courant électrique ou la quantité de gaz injecté et les poussées sont 100 fois plus importantes qu’un moteur ionique de base. Les inconvénients ? Il nécessite des courants électriques de plusieurs centaines de kilowatts et doit donc faire appel à une source nucléaire et il érode les éléments du moteur comme les électrodes beaucoup trop vite.

Toujours plus grand !

L’un des projets les plus avancés en matière de propulsion MPD est celui de la société Ad Astra Rocket en contrat avec la Nasa  dans le cadre du programme NextSTEP (Next Space Technologies for Exploration Partnerships) pour le développement d’un propulseur MPD baptisé VASIMR VX200. En 2017, l’étape des 10h de fonctionnement à 100kW a été validée. Les tests de 2018 doivent valider un fonctionnement de 100h continues.

Mais des records de poussées ont aussi été enregistrés pour un propulseur à effet Hall. Le propulseur X3 étudié par une équipe de l’Université du Michigan en partenariat avec Aerojet Rocketdyne pour le compte de la Nasa (là aussi dans le cadre du programme Next), a réussi ses essais en 2017 avec 10h à 100kW pour une poussée de l’ordre de 5,5 Newtons. Cette année sera aussi pour ce moteur l’année du test des 100h. Reste que les moteurs actuellement utilisés sont encore modestes même si déjà bien plus performants que celui de la sonde Dawn ou Smart 1. Ainsi, le nouveau moteur ionique d’Aerojet Rocketdyne’s qui était prêt pour les tests en vol et qui devait équiper la mission DART (Double Asteroid Redirection Test) en 2021 de la Nasa – annulée fin 2017 – présente pour l’instant une puissance maximale de 7kW.

Toujours plus petits !

Si d’un côté on recherche des poussées toujours plus grandes, on recherche aussi à rendre cette technologie vraiment plus compacte et encore plus économe pour pouvoir équiper des satellites de très petites tailles : du Cubesat aux microsatellites en passant par les nanosatellites.

Cela passe par des évolutions comme celle proposée par le laboratoire Icare du CNRS avec un propulseur de Hall « sans parois » : les ions sont produits et accélérés hors du réacteur afin d’éviter le contact entre plasma et parois du moteur pour éviter l’usure des composants. Une technologie qui permettrait aussi d’alimenter le moteur en électricité en courant continu directement depuis les panneaux solaires sans dispositif de conversion du courant. Les recherches s’orientent aussi vers d’autres carburants que le xénon et sur des nanotechnologies.

Ainsi, de son côté, la société américaine Accion Systems a dévoilé un moteur basé sur une puce de propulsion de la taille d’une pièce de moins de 2cm munie d’une centaine de micropropulseurs. Assemblées en tuile, 36 puces forment le TILE (Tiled Ionic Liquid Electrospray) qui peut servir de base de propulsion pour des micro-satellites (200kg max). Le carburant est un sel liquide non toxique qui n’a pas besoin d’être stocké dans des chambres pressurisées et qui évite de nombreux autres éléments comme une grande chambre d’ionisation ou des cathodes externes. L’alimentation se fait directement via une batterie alimentée par les panneaux solaires du satellite. A l’été 2017, Accion Systems a trouvé un partenaire dans le fabricant de plateformes satellitaires York Space Systems pour pouvoir fournir dès qu’il est prêt son moteur lors de missions spatiales réelles. « Et pourquoi pas dans 15 ans, faire du TILE le support à véhicule voyageant vers Mars… » se prend à rêver Natalya Bailey, PDG et co-fondatrice d’Accion Systems.

Une puce de propulsion conçue par Accion Systems, plus petite qu’une pièce de 25cts de dollar, elle contient des centaines de micropropulseurs qui émettent des flux d’ions. Le système du moteur TILE s’appuie sur 36 de ces puces. Crédit @Accion Systems du TILE

Toutes ces avancées montrent que, si en matière de propulsion ionique, les propulseurs de Hall sont encore majoritaires aujourd’hui, les progrès de la micropropulsion pourraient bien marquer l’avènement d’une nouvelle ère spatiale où sondes d’explorations et satellites seraient beaucoup plus petits mais beaucoup plus nombreux, moins chers à la fabrication, plus facilement remplaçables et voleraient en flotte.

Sophie Hoguin


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