Décryptage

Gaz de schiste : pour ou contre ?

Posté le 11 mai 2011
par La rédaction
dans Environnement

Le 11 mai, les députés ont adopté la proposition de loi UMP qui interdit la technique de la fracturation hydraulique. En attendant la rééxamination, par le Sénat, du projet de loi visant à interdire l’extraction des gaz et huiles de schiste, Instantanés Techniques revient sur le tollé que suscite l'exploitation du nouvel « or noir ». José Bové, Eric Zemmour, André Picot… Les opinions pro et contre-gaz de schiste s’affrontent. Extraits.

POUR

Max Falque est consultant, spécialiste des problèmes d’environnement, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Il dirige le centre d’analyse économique de l’Université Paul-Cézanne à Aix-en-Provence, le groupe d’Étude Droits de Propriété et Environnement (GEDPE), et l’International Center for Research on Environmental Issues (ICREI).

« Les informations les plus récentes laissent à penser qu’il s’agit  d’une énorme nouvelle source d’énergie, comme si on avait découvert une ou plusieurs Arabie Saoudite, mais présente sur tous les continents et donc susceptible de bouleverser la géopolitique énergétique. Les enjeux sont tels qu’il vaut mieux voir les choses en face : ne pas s’opposer systématiquement et considérer le gaz de schiste non comme un inconvénient mais comme une chance

Nous risquons en France de nous trouver dans une situation comparable à celle des OGM. Astérix résiste désespérément en s’interdisant une avancée technologique et économique… tout en important des aliments OGM en provenance du monde entier. C’est la double peine, fruit empoisonné du « principe de précaution » malheureusement introduit dans notre constitution au même titre que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Pour autant, il faut raison garder : on ne connaît pas encore la rentabilité du gaz de schiste car la technologie est très récente ni la réalité des impacts environnementaux. Cependant, aux États-Unis, les sociétés qui les exploitent, sans aucune subvention, gagnent beaucoup d’argent et la multiplication des permis de recherche en France constitue des indications.

La procédure de l’étude d’impact sur l’environnement est précisément au service de la rationalité de la décision.

[…]

La levée de boucliers en France est d’ordre esthétique, environnementale, et économique. Les personnes qui résident dans les zones d’exploitation, auront tout à perdre. En droit français, les ayant droits et notamment les propriétaires n’ont aucun droit sur les ressources du sous-sol. Autrement dit,un agriculteur sera exproprié au prix du terrain agricole mais n’aura pas d’intéressement à l’exploitation d’une ressource dont il n’est pas propriétaire, en fonction du Code minier de 1810. La « Common Law » au contraire  qui régit les pays de droit anglo-saxon, prévoit que le propriétaire possède le sous-sol jusqu’au centre de la terre, et sur la colonne d’air, jusqu’au ciel… à l’exception notable de la navigation aérienne (et cela a du faire l’objet d’arrêts de la Cour Suprême aux États-Unis) ! Le respect du droit de propriété permet aussi au propriétaire de s’opposer à toute exploration au titre de ses préférences pour l’environnement.

S’il y avait une indemnisation qui reste à définir – Claude Allègre propose un intéressement à hauteur de 5 % sur le chiffre réalisé pour les propriétaires de terrains – il est évident que le niveau d’opposition baisserait d’intensité comme on peut le constater en Pennsylvanie.

www.atlantico.fr, 13 avril 2011

CONTRE

Nicolas Hulot, candidat à l’élection présidentielle 2012 et aux primaires de l’écologie, et fondateur de la Fondation Nicolas Hulot.

« Les gaz de schiste ne peuvent résoudre la crise énergétique et représentent une fuite en avant dangereuse pour l’environnement et les équilibres climatiques.

L’exploitation des gaz de schiste fait peser sur de vastes territoires des risques environnementaux et sanitaires : utilisation de grandes quantités d’eau, pollutions causées par les produits chimiques utilisés, nuisances liées aux multiples puits nécessaires et aux passages incessants de camions. Par ailleurs, les gaz de schiste, comme les pétroles non conventionnels, aggravent la crise climatique car leur exploitation émet davantage de gaz à effet de serre que celle des énergies fossiles conventionnelles.

Loin de nous amener vers une plus grande indépendance énergétique, les gaz de schiste seront un frein pour aller vers les solutions viables et durables que sont la sobriété, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Pour réduire notre dépendance et assurer l’avenir, la priorité doit être donnée à l’isolation des bâtiments, au développement des transports collectifs et alternatifs, à de nouvelles formes d’urbanisation qui rapprochent les lieux de travail des lieux de vie.

Nous devons dès maintenant entamer la transition vers des sociétés plus sobres et plus équitables, améliorer l’efficacité énergétique, réduire nos consommations d’énergie fossile et abandonner l’idée de recourir aux gaz de schiste qui constituent une voie du passé. »

www.2012hulot.fr

POUR

Eric Zemmour, journaliste politique, chroniqueur et écrivain.

« La France rejoue donc l’affaire des OGM. Le principe de précaution tourne au refus de la Science. […] C’est l’idée même du progrès qui est rejetée, la Science ostracisée. On ne se dit pas qu’elle peut encore améliorer ses méthodes, trouver un moyen ingénieux de pomper sans polluer. On préfère lui couper les ailes avant même qu’elle ne prenne son envol. Pourtant, la France fut jadis ce pays de la Raison, qui adulait Pasteur et Marie Curie, et avait inventé la mongolfière, l’avion, et l’automobile. Mais c’était il y a fort longtemps. »

« Z comme Zemmour », chronique quotidienne sur RTL, dans la matinale de Vincent Parizot.

CONTRE

André Picot est président de l’association ATC (Association Toxicologie Chimie), directeur de recherches honoraires CNRS, et expert français honoraire auprès de l’Union européenne pour les produits chimiques en milieu de travail.

« Dans les eaux usées rejetées lors de la fracturation, apparaissent de nombreux sels hydrosolubles, entraînés lors de la lixivation des différentes couches géologiques traversées lors de la remontée des fluides. Beaucoup de ces éléments sont toxiques pour l’Homme, dont certains très toxiques (As, Ba, Cd, Pb,…)…

La majorité des composés chimiques repérés dans les fluides de fracturation hydraulique d’exploration et d’exploitation des huiles et gaz de schistes ou hydrocarbures de roche-mère, sont pour l’essentiel des xénobiotiques, dont plusieurs sont très toxiques. Il est évident que ces éléments naturels qui enrichissent l’eau de sortie des puits de fracturation, sont autant de polluants, qui vont perturber les stations d’épuration, classiquement saturées dans ces zones d’extraction.

Comble de difficultés, ces eaux rejetées, peuvent aussi concentrer des éléments radioactifs comme le radium 222, qu’il est pratiquement impossible d’éliminer.

Tous ces risques toxiques à plus ou moins long terme, ne doivent pas faire oublier les éventuels risques d’explosions et d’incendies, liés à la présence dans l’eau de sortie de gaz en particulier du méthane extrêmement volatil et très inflammable.

Il semble parfaitement acquis que les dangers écologiques, sont bien plus considérables que les retombées économiques, pourtant très rentables pour les pétroliers et accessoirement pour les populations locales. »

 

Extraits du premier rapport toxicochimique français sur la composition des produits utilisés lors de la fracturation hydraulique sur les sites de forage, envoyé le 3 mai 2011 à François Fillon, Nathalie Kosciusko-Morizet, Eric Besson et 14 députés.

POUR

Claude Allègre, géochimiste, écrivain, et ministre de l’Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie de 1997 à 2000.

« Interdire l’exploitation des gaz de schiste serait incompréhensible car on se priverait d’importantes ressources énergétiques. Je serais plutôt partisan d’une réglementation comme l’ont fait les Américains, qui viennent de voter une loi de protection de l’environnement.

Les principaux opposants au gaz de schiste rappellent qu’au début des accidents se sont produits aux États-Unis, mais ils étaient le fait de petites sociétés qui n’offraient pas toutes les garanties de sécurité. Les mêmes dénoncent également une consommation excessive d’eau. Il y a enfin des problèmes liés à l’utilisation de produits chimiques : il faut donc faire attention aux rejets d’eaux. Il faudrait également changer le code Napoléon, dont dépend le droit minier. Prévoir que le propriétaire du sol et les collectivités territoriales soient bénéficiaires si on trouve quelque chose dans leur sous-sol. Cela changerait leur perception : aujourd’hui, ils n’ont aucun intérêt à promouvoir cette ressource énergétique. »

Valeurs Actuelles, 21 avril 2011

CONTRE

José Bové, député Europe Écologie-Les Verts

« Contrairement aux discours que les compagnies ont essayé de distiller, la fracturation hydraulique fait partie de l’exploration. C’est cela le véritable danger pour les nappes phréatiques et pour l’environnement. Si l’on commence à accepter les explorations, ça veut dire qu’on va obligatoirement vers l’exploitation sans aucune possibilité de marche-arrière.

Les produits chimiques qui sont introduits lors de cette fracturation peuvent ensuite se retrouver dans les nappes phréatiques ou l’eau de surface. Aujourd’hui, personne ne connaît la teneur des 600 produits utilisés lors de ce processus, puisque les compagnies refusent de divulguer la liste de ces produits, tant au niveau national qu’au niveau européen.

Les technologies « propres » n’existent pas. Seule la firme américaine de Dick Cheney détient l’ensemble des brevets pour l’extraction, et il n’y a qu’une seule technique qui existe. Il est évident que Total ment quand elle affirme disposer de techniques propres. Ils essaient de gagner du temps, mais c’est de la poudre aux yeux. Le lobbying est en marche. Il va falloir que les parlementaires fassent un choix. Vont-ils aller jusqu’à interdire la technique de fracturation horizontale ? Nous allons voir dans les jours ou les semaines qui viennent. »

Le Nouvel Observateur, 15 avril 2011

POUR

Isabelle Moretti est géologue et chef de projet des gaz non conventionnels à l’Institut français du pétrole (IFP-Energies Nouvelles).

« Globalement, je pense que n’importe quelle richesse dans le sous-sol est une bonne nouvelle. L’exploitation des gaz de schiste n’est pas forcément polluante, il faut simplement bien travailler, il faut qu’il y ait des réglementations. Il y a déjà beaucoup de réglementations qui sont mises en place, qu’elles soient appliquées, qu’on s’assure que c’est une production non-polluante.

Nous avons une dette, des impôts, un régime social qui est en baisse. Toute richesse dans le sol français est une bonne nouvelle. On peut produire « propre » n’importe quelle richesse actuellement. Une grande partie de l’eau qu’on injecte est repompée derrière, et peut être traitée comme n’importe quelle eau industrielle. Au niveau du paysage, c’est vrai qu’au moment où l’on construit le puits, on va occuper l’équivalent d’un terrain de foot, pour les camions, les aires de forage, etc. Ensuite, si la loi dit « remédiation », on replante des arbres et quatre ans après, c’est comme avant.

Ce qu’il faut voir, c’est qu’aux États-Unis, les gens étant propriétaires de leur sous-sol, ils s’enrichissent sur les puits. Remédier ne les intéressent absolument pas. Ils prennent l’argent et ils vont à la plage. Leur champ reste abîmé. Il n’y a aucune nécessité que ce soit comme cela. On peut replanter derrière, comme n’importe quelle activité. »

Reporterre.net, 2 février 2011

POUR

Jean-Louis Schilansky est président de l’Union française des industries pétrolières.

 

« Aux États-Unis et au Canada, on est bien après le stade de l’exploration, on est en plein dans celui de la production. C’est-à-dire que ces deux pays produisent en quantité très importante notamment du gaz de schiste. Ce n’est pas du tout la même situation en France, où on n’a même pas encore commencé à explorer et à forer pour voir s’il y avait vraiment une ressource. En France, nous en sommes à un stade très préalable alors qu’aux États-Unis, on en est au stade industriel.

Ceci dit, le premier enjeu est un enjeu d’amélioration de l’indépendance énergétique parce que si on trouve de nouvelles ressources d’hydrocarbures, que ce soit du gaz ou du pétrole, ça évitera d’en importer et nous voyons avec les événements en Libye, combien cela peut être important.

Le second enjeu est un enjeu de développement économique, dans la mesure où ces hydrocarbures qui ont un prix relativement élevé ont une valeur pour l’économie du pays.

[…]

On comprend qu’il y ait des préoccupations environnementales. La question posée est précisément une question de développement durable, c’est-à-dire celle d’une tension entre l’économique et l’environnemental. C’est cette tension qu’il faut explorer d’une part pour savoir quel est exactement le risque environnemental, dont on sent qu’il est très exagéré, et d’autre part pour évaluer l’enjeu économique. Ça, on ne le saura que quand on aura réussi à forer et à voir s’il y a effectivement une ressource. Donc , on est vraiment dans un sujet de développement durable au sens où il s’agit de concilier, ou tout du moins de trouver un équilibre, entre l’économique et l’environnemental.

[…]

Sur les cycles de vie CO2 il faut voir, parfois on peut faire dire aux cycles de vie CO2 un petit peu ce qu’on veut leur faire dire. Il faut donc pouvoir comparer. Quand on a lancé les biocarburants, on n’avait pas évalué le cycle de vie et pourtant on disait qu’ils étaient bio. Donc, il faut mesurer l’impact gaz à effet de serre. Cela dit, je ne vois pas bien en particulier pour les gaz, comment il pourrait y avoir un cycle de vie proche de celui du charbon.
En revanche, c’est vrai pour l’eau, mais là, la technologie avance. Les quantités d’eau pouvant être recyclées augmentent, du moins les technologies pour faire plus de recyclage progressent. La situation n’est pas figée, on espère qu’on trouvera des solutions qui permettront de recycler une très très grande quantité de l’eau nécessaire.

[…]

Il est vrai qu’au moment des permis d’exploration, il y a jusqu’à présent assez peu de consultation publique dans le processus d‘exploration. Peut-être faut-il améliorer cette partie là de façon à ce que les populations soient plus rassurées. Il faut trouver les moyens de montrer ce qui se passe, de montrer qu’on prend des précautions. Mais ce qui me préoccupe, c’est qu’on a tendance à vouloir interdire l’exploration avant même de l’avoir analysée en profondeur. Une mission a été nommée par la ministre de l’écologie et le ministre de l’industrie, ça c’est une bonne chose car il faut que l’on mette les choses au clair, qu’on voit effectivement quels sont les enjeux économiques et quels sont les risques éventuels. »

 

Le journal du développement durable, 1er mars 2011

 

C.H.