Interview

« Il faut passer d’un recyclage de masse à un recyclage de valeur »

Posté le 3 septembre 2025
par Pierre Thouverez
dans Énergie

Le déploiement d’une filière efficace et pérenne de recyclage des panneaux photovoltaïques en fin de vie est un enjeu fondamental pour circulariser l’économie du photovoltaïque.

Alors que la France s’apprête à gérer des volumes croissants de panneaux photovoltaïques en fin de vie, l’éco-organisme Soren, agréé par les pouvoirs publics pour la collecte et le recyclage, doit accompagner les acteurs de la filière pour que cette dernière augmente ses capacités de collecte, améliore la valorisation des matériaux… tout en militant pour une évolution réglementaire ambitieuse, qui permettra de valoriser la qualité du recyclage des panneaux en fin de vie.

En 2024, ce sont 9477 tonnes de panneaux solaires qui ont été collectées. Ce chiffre atteignait 366 tonnes en 2015. Surtout, ces 9477 tonnes représentent une augmentation de 80 % par rapport aux chiffres de 2023 (5207 tonnes).

Nicolas Defrenne, directeur général de Soren, a expliqué à Techniques de l’Ingénieur la réalité chiffrée autour de la recyclabilité et du recyclage effectif des panneaux photovoltaïques en fin de vie, et sur les grands enjeux à venir, entre impératifs industriels, environnementaux et souveraineté technologique.

Techniques de l’Ingénieur : Une forte montée en charge du recyclage est attendue dans les dix prochaines années. Comment l’anticipez-vous ?

Nicolas Defrenne : La croissance à venir est inédite. En 2023, on a mis sur le marché près de 400 000 tonnes de panneaux photovoltaïques. Mais seules 10 000 tonnes ont été effectivement collectées en fin de vie la même année. Cette différence est liée à la durée de vie des panneaux, qui avoisine les 25 à 30 ans : le gros des volumes arrivera entre 2030 et 2040. Notre mission consiste à anticiper cette vague pour ne pas être pris de court. Concrètement, nous lançons un nouveau cycle d’appels d’offres pour augmenter les capacités de traitement, tant en volume qu’en diversité technologique. Il faut aussi prévoir plus de foncier pour le stockage temporaire et accompagner les industriels qui développent ces solutions. Cette planification est indispensable pour que le système tienne dans la durée.

Le taux de collecte français progresse, mais reste inférieur à ce qu’on pourrait attendre. Où en est-on aujourd’hui ?

Nous progressons, c’est certain. En 2024, le taux de collecte atteint environ 77 %, ce qui nous rapproche de l’objectif européen fixé à 85 %. C’est un score remarquable à l’échelle européenne : la France est aujourd’hui leader sur ce sujet, quand d’autres pays comme l’Allemagne sont à des niveaux bien inférieurs. Toutefois, il faut rester lucide. Une partie des panneaux échappe encore au système : certains sont stockés chez les usagers, d’autres revendus sur le marché de l’occasion, parfois à l’étranger. La traçabilité n’est pas encore totale, et c’est un axe sur lequel nous devons progresser, notamment en renforçant le contrôle de la filière et en améliorant l’information des professionnels.

Le taux de recyclage est aujourd’hui d’environ 94 %. Est-ce que cela reflète vraiment une valorisation efficace des matériaux ?

C’est une question essentielle. En masse, on atteint un taux de valorisation de l’ordre de 92 à 94 %. Cela signifie qu’on parvient à récupérer l’essentiel des matériaux présents dans un panneau. Mais cette performance repose en grande partie sur le verre et l’aluminium, qui représentent à eux seuls 85 % du poids total. Le problème, c’est que ce ne sont pas ces matériaux qui ont le plus de valeur économique ou stratégique. Les métaux critiques, comme le silicium, le cuivre ou l’argent, ne représentent qu’une infime part du poids – par exemple, 0,08 % pour l’argent – mais comptent pour environ 40 % de la valeur matière. Aujourd’hui, ces matériaux sont encore difficilement accessibles avec les procédés classiques. C’est pourquoi nous travaillons avec des acteurs spécialisés qui développent des technologies de délamination par exemple, permettant d’extraire proprement ces fractions précieuses. C’est là que se situe le réel enjeu du recyclage de valeur.

Aujourd’hui les recycleurs revalorisent les matériaux comme le silicium ou l’argent en dehors de la filière solaire. La valorisation « en boucle fermée » est-elle un objectif ?

Ce serait séduisant, mais ce n’est pas notre priorité actuelle. Aujourd’hui, la production de panneaux en Europe reste très limitée. Les matériaux récupérés trouvent donc leurs débouchés dans d’autres secteurs industriels. L’essentiel pour nous est qu’ils soient réutilisés de manière utile, peu importe la filière. Si demain des gigafactories photovoltaïques se développent en Europe, la boucle pourra se refermer. Mais pour l’instant, notre rôle est avant tout de contribuer à la réduction de la pression sur les ressources primaires, en fournissant des matériaux recyclés de qualité, compatibles avec d’autres usages industriels.

Le système repose aujourd’hui sur l’éco-contribution. Est-il robuste face aux aléas du marché ?

Oui, car ce système est basé sur un principe de responsabilité élargie du producteur : on prélève une éco-contribution au moment de la mise sur le marché des panneaux qui finance la collecte et le traitement de ceux qui arrivent en fin de vie, ce qui permet de constituer un fonds destiné à financer leur traitement en fin de vie. C’est un modèle à la fois par répartition et par capitalisation, qui garantit une certaine stabilité, même en cas de ralentissement ponctuel des ventes. Le contexte français n’est pas très favorable en ce moment, avec des incertitudes réglementaires et économiques, mais la dynamique mondiale reste très forte. L’électrification, la décarbonation et l’autonomie énergétique passent inévitablement par le solaire. On peut donc dire que notre modèle est solide sur le long terme.

Quelles évolutions réglementaires sont attendues à l’échelle européenne ?

Les évolutions à venir seront déterminantes. Le règlement européen sur les batteries impose déjà des taux de recyclage très spécifiques pour certains matériaux. Il est probable que la prochaine directive DEEE, attendue d’ici 2027, s’en inspire. On s’attend à ce que des objectifs précis soient fixés pour la récupération du silicium, de l’argent, du cuivre, de l’aluminium… Ce serait une avancée majeure, car cela inciterait les filières à investir dans des procédés plus fins et plus performants. Chez Soren, nous nous préparons déjà à cette évolution.

Comment articulez-vous performance environnementale, souveraineté industrielle et équilibre économique ?

Le recyclage de masse permet de respecter nos obligations réglementaires. Mais pour que le système soit économiquement soutenable et qu’il contribue à la souveraineté industrielle de l’Europe, il faut aller plus loin : capter les métaux critiques. Prenons l’argent, par exemple : le photovoltaïque consomme à lui seul près de 14 % de l’argent mondial. Mais les progrès sont là. En 2010, un panneau contenait 60 mg d’argent par watt-crête ; aujourd’hui, on est autour de 13 à 14 mg. Cela signifie que le même gramme d’argent recyclé peut désormais permettre la fabrication de quatre panneaux au lieu d’un. C’est ce type de boucle vertueuse qu’on veut favoriser, pour combiner efficacité environnementale, compétitivité économique et indépendance stratégique.

Comment les citoyens perçoivent-ils ces enjeux de recyclage ?

Le solaire bénéficie d’une image très positive auprès du public. C’est une énergie « propre », et les gens attendent qu’elle le soit jusqu’au bout, y compris dans sa gestion en fin de vie. Il y a donc une pression sociétale forte, mais saine, pour que le recyclage soit exemplaire. Cela renforce notre légitimité à développer un modèle exigeant, qui dépasse les simples obligations réglementaires. Et c’est d’autant plus pertinent que c’est aussi économiquement rentable : plus on récupère de matériaux de valeur, plus le recyclage devient viable. L’économie circulaire, ici, est autant un choix stratégique qu’un impératif environnemental.

Quelles sont vos grandes priorités pour l’horizon 2030 ?

Notre ambition est claire : faire émerger une véritable filière de recyclage à haute valeur ajoutée pour les panneaux solaires. Cela passe par une amélioration continue de la collecte, par le développement du réemploi lorsque c’est pertinent, par le soutien à l’innovation technologique, et par une collaboration étroite avec les producteurs pour intégrer l’écoconception dès la fabrication. Enfin, nous devons anticiper les futures exigences réglementaires pour rester en avance. Ce n’est qu’à ce prix que le solaire pourra tenir ses promesses environnementales et industrielles à long terme.

Propos recueillis par Pierre Thouverez


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