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Isentroniq, la startup française qui veut démêler le nœud du quantique

Posté le 15 octobre 2025
par La rédaction
dans Informatique et Numérique

La start-up française Isentroniq vient d’annoncer une levée de fonds de 7,5 millions d’euros pour s’attaquer à l’un des verrous majeurs du quantique : le câblage cryogénique. Son objectif est de rendre possible l’industrialisation des ordinateurs quantiques à grande échelle.

L’informatique quantique, en particulier sur plateformes à qubits supraconducteurs, est souvent présentée comme la prochaine frontière de la puissance de calcul. Cependant, si la création d’un qubit isolé a été maîtrisée à plusieurs reprises, passer de quelques dizaines ou centaines de qubits à des systèmes embarquant des milliers voire des millions de qubits fiables requiert de surmonter d’énormes défis d’ingénierie. Parmi ces défis, le câblage cryogénique – c’est-à-dire les lignes de contrôle et de lecture qu’il faut descendre jusqu’aux qubits dans un réfrigérateur à dilution – constitue un goulot d’étranglement critique.

Chaque ligne de signal transporte non seulement les signaux de pilotage ou de mesure, mais introduit également des apports thermiques, occupe de la place et génère des contraintes d’intégration. Quand les températures au voisinage de 10 millikelvins doivent être maintenues, toute dissipation thermique est redoutable. En réalité, au-delà de quelques centaines de qubits, les systèmes existants atteignent leurs limites thermiques ou spatiales. Construire une machine à l’échelle du million de qubits avec les architectures de câblage actuelles entraînerait des coûts astronomiques et des infrastructures gigantesques.

Isentroniq positionne ce problème comme un « deadlock » structurel, considérant qu’en l’absence d’une refonte du câblage, les avancées sur les qubits ou l’électronique ne suffiront pas à atteindre la mise à l’échelle.

La solution d’Isentroniq : un câblage dense, quasiment sans chaleur

Pour s’attaquer à ce défi, Isentroniq propose une technologie d’interconnexion cryogénique optimisée sur les trois axes principaux que sont la chaleur, l’encombrement et le coût. Son ambition est de permettre une densité de câblage mille fois supérieure dans les réfrigérateurs à dilution existants, sans dépasser les budgets thermiques acceptables.

La startup adopte un modèle « fabless », c’est-à-dire qu’elle conçoit l’architecture du câblage, mais s’appuie sur des partenaires spécialisés pour la fabrication des composants. Cela vise à accélérer le temps de mise sur le marché et à limiter les investissements en capital initiaux.

Selon le blog de l’entreprise, en cas de réussite, le coût d’un système à un million de qubits pourrait tomber à environ 50 millions d’euros, un ordre de grandeur nettement inférieur aux estimations dans le contexte des architectures classiques de câblage.

Le positionnement d’Isentroniq est complémentaire aux acteurs des qubits ou du refroidissement : sa cible de clientèle inclut les fabricants de systèmes quantiques comme Alice & Bob, Google, IBM, AWS, IQM ou Rigetti, tous concernés par le même goulot de câblage.

Tour de table, ambitions financières et perspectives

Pour soutenir le développement de cette technologie ambitieuse, Isentroniq a réussi à lever 7,5 millions d’euros dans un tour de financement initié par Heartcore Capital, avec la participation d’OVNI Capital, Kima Ventures, iXcore, Better Angle, Epsilon VC. Le financement bénéficie également du soutien de Bpifrance et de l’Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du programme France 2030.

Ces fonds doivent permettre de bâtir une équipe pluridisciplinaire (physique quantique, ingénierie RF, mécanique, logiciel), d’établir des plateformes de tests cryogéniques et de démarrer les premiers prototypes intégrables à des lignes pilotes dès 2026, avant de passer à une version commerciale en quelques années.

Dans un entretien relayé par EE Times Europe, le cofondateur Paul Magnard note que la production pourrait démarrer dans les 18 mois, avec des intégrations pilotes possibles dès 12 mois.

Paul Magnard affirme qu’aujourd’hui le vrai verrou pour les qubits supraconducteurs n’est plus la physique des qubits, mais bien l’infrastructure de câblage. Son ambition est de transformer ce goulot en un accélérateur.

Du point de vue concurrentiel, bien qu’il existe des travaux sur des architectures de câblage avancées (par exemple le concept de « quantum socket » qui exploite la troisième dimension pour densifier les connexions), Isentroniq prétend être le seul à fournir une solution end-to-end vérifiée pour un usage quantique à grande échelle.

Si Isentroniq réussit à industrialiser sa technologie, elle pourrait débloquer une étape cruciale dans la transition de prototypes quantiques de laboratoire vers des systèmes quantiques opérationnels à grande échelle. Le financement, l’équipe, et les partenariats stratégiques qu’elle nouera seront déterminants dans les prochaines années.

Toutefois, des risques subsistent, tels que la performance réelle, la robustesse des lignes de câblage à basse température, l’intégration avec diverses architectures qubit et la montée en volume manufacturier poseront des défis techniques majeurs. La concurrence est également forte dans l’écosystème quantique où plusieurs acteurs travaillent sur les couches matérielles de support.

Enfin, même si le câblage est un verrou majeur, il n’efface pas les autres défis de l’informatique quantique (correction d’erreur, décohérence, contrôle électronique, logiciels quantiques). Cependant, en levant ce frein, Isentroniq pourrait rendre possible ce qui aujourd’hui semble hors de portée : des ordinateurs quantiques utiles à grande échelle.

Isentroniq a été fondée en 2025 par Paul Magnard, spécialiste des qubits supraconducteurs (PhD ETH Zurich, ancien architecte chez Alice & Bob) et Théodore Amar, ancien consultant chez Bain & Company et déjà entrepreneur à succès. Leur complémentarité science / exécution est un point clé de crédibilité pour mener un projet matériel aussi ambitieux.


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