Le 19e Prix Jeunes Talents France 2025 L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science récompense 34 nouvelles « étoiles montantes »
Créé en 2007, le Prix Jeunes Talents France L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science récompense chaque année, à un moment clé de leur carrière, des doctorantes et post-doctorantes qui incarnent aux yeux du jury « l’excellence scientifique française », et qui portent, en outre, des projets de recherche visant à construire « un avenir plus juste et durable ». Cette année, 34 de ces jeunes chercheuses ont été sélectionnées parmi près de 700 candidates, par un jury composé d’une trentaine de membres de l’Académie des sciences, avec à sa tête la célèbre astrophysicienne française Françoise Combes, présidente de l’Académie des sciences, elle-même récompensée du prix international 2021 L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science.
« Les femmes représentent la moitié de l’humanité, mais demeurent trop peu nombreuses aux postes de responsabilité dans la recherche. [De nombreux] freins écartent injustement des talents dont la science aurait besoin. Les Prix Jeunes Talents France L’Oréal-UNESCO Pour Les Femmes et la Science, en partenariat avec l’Académie des sciences, sont autant de leviers pour rééquilibrer les chances et permettre à la culture scientifique de s’enrichir de tout le potentiel de cette moitié de l’humanité », se réjouit Françoise Combes. L’astrophysicienne qui voit dans les lauréates de cette 19e édition, de nouvelles « étoiles montantes de la science »…
Attirée dès son plus jeune âge par la recherche scientifique, Marion Guérin a construit tout son parcours autour de la volonté de devenir chercheuse. Combinée au souhait d’aider à soigner les gens, cette ambition l’a ainsi menée vers une carrière de chercheuse en immunologie appliquée à la cancérologie. Après un doctorat à l’Institut Cochin, Marion Guérin poursuit aujourd’hui son parcours en post-doctorat au sein d’une unité mixte de l’Institut Pasteur et de l’Inserm, où elle cherche notamment à comprendre les mécanismes immunitaires qui permettront, demain, d’optimiser la réponse des patients atteints de cancer aux traitements par immunothérapie. Chercheuse et mère de famille épanouie, elle n’en demeure pas moins consciente du chemin qui reste à parcourir pour améliorer la représentation des femmes en science.
Techniques de l’Ingénieur : Comment en êtes-vous venue à vous intéresser au sujet de l’immunologie appliquée à la cancérologie ? Quelles ont été les principales étapes de votre parcours ?
Marion Guérin : La première étape clé remonte à mon enfance : toute petite, vers l’âge de 7 ans, j’ai été marquée par la découverte, sur mon écran de télé, du Téléthon. J’ai été frappée par plusieurs aspects : l’existence des maladies génétiques, les recherches menées dans ce domaine, et l’apparition progressive de traitements. C’est à ce moment que je me suis dit que je voulais faire de la recherche, et aider à soigner des gens. J’ai donc construit mon parcours dans cette optique.
En ce qui concerne l’immunologie en particulier, une étape marquante pour moi a été mon cours de terminale sur le sujet. Cela ne concernait qu’un seul chapitre, centré sur l’immunologie et le VIH, mais j’ai trouvé cela absolument passionnant ! Je me suis donc dirigée vers une licence, puis un master en immunologie. J’ai eu la possibilité de suivre plusieurs UE[1] optionnelles axées autour des liens entre l’immunologie et d’autres domaines, dont la cancérologie. Me diriger vers cet aspect en particulier m’a alors semblé évident : les cancers représentent l’une des causes majeures de mortalité dans le monde ; nous connaissons malheureusement tous autour de nous quelqu’un qui a ou a eu un cancer… Il m’a donc semblé particulièrement pertinent d’associer immunologie et cancérologie, d’autant que pendant mes études, de 2010 à 2016, le sujet des immunothérapies était en plein essor, avec beaucoup d’espoirs pour soigner les cancers. J’ai donc poursuivi mon parcours dans cette voie, en doctorat, puis en post-doctorat, que je poursuis actuellement.
Sur quoi vos travaux de doctorat ont-ils justement porté ? Quel axe explorez-vous plus particulièrement dans le cadre de votre travail actuel de post-doctorat ?
Dans le cadre de la lutte contre les cancers, les immunothérapies constituent un moyen de restimuler les cellules de notre système immunitaire. Elles sont aujourd’hui devenues l’un des traitements majeurs dans ce domaine, mais les échecs sont encore nombreux, malheureusement… Au cours de ma thèse, j’ai donc cherché à mieux comprendre quelles sont les cellules immunitaires qui peuvent être impliquées dans ces mécanismes, mais aussi, et surtout, comment elles doivent s’organiser dans le temps et dans l’espace au sein même d’une tumeur pour pouvoir avoir une action efficace contre les cancers. L’étude du compartiment tumoral est une approche explorée par l’immense majorité des publications sur le sujet. C’est en revanche moins le cas en ce qui concerne l’orchestration de la réponse immunitaire au sein de la tumeur…
Dans le cadre du travail de post-doctorat que je mène actuellement, j’ai voulu aller plus loin, en m’intéressant cette fois au ganglion lymphatique drainant. Il s’agit du site initiateur d’une réponse immunitaire, notamment en cas d’infection. Je me suis donc dit qu’il s’agissait peut-être là d’un point clé pour régénérer une réponse immunitaire face à un cancer… C’est donc ce qui m’a amenée à m’intéresser, pendant ce post-doctorat que je poursuis actuellement, à la question de la réponse immunitaire anti-tumorale au sein des ganglions. Il s’agit d’un aspect relativement nouveau, auquel les chercheurs s’intéressent depuis quelques années seulement.
Qu’avez-vous d’ores et déjà pu découvrir à ce sujet ?
Aux côtés d’autres travaux menés dans ce domaine, mes recherches montrent que le fait de retirer les ganglions – ce qui est très souvent fait en pratique clinique – n’est sans doute pas toujours la bonne solution et qu’il faudrait peut-être même, au contraire, préserver ces ganglions dans la majorité des cas. Cela ouvre aussi des perspectives quant au timing du traitement : en cas de retrait prévu des ganglions, peut-être faudrait-il alors commencer par une immunothérapie, avant de procéder à la chirurgie. Tout cela remet en question les pratiques actuelles.
J’ai découvert un certain nombre de mécanismes clés se déroulant au sein des ganglions, que j’aimerais désormais pouvoir mettre à profit pour améliorer les traitements. J’ai notamment identifié un type de cytokine – ces molécules chargées d’établir un dialogue entre cellules – qui joue un rôle clé dans la réponse au traitement par immunothérapie.
Avez-vous le sentiment que votre genre a eu, à un moment ou un autre de votre parcours, une quelconque influence ?
Le biais de genre est encore très présent : en France, la part de femmes dans le secteur de la recherche se situe aux alentours de 30 %, et reste en-dessous de la moyenne européenne. Il reste donc beaucoup de choses à faire dans ce domaine.
Cela varie selon les cas, mais plusieurs obstacles peuvent encore entraver le parcours des chercheuses. J’ai eu la chance de pouvoir évoluer, en thèse comme en post-doctorat, dans des environnements où la distinction hommes-femmes n’était pas présente, avec les mêmes possibilités d’évolution de carrière pour tout le monde. Je dis « chance », mais cela devrait être la norme… !
Je suis maman, et cela ne m’a pas posé de problème durant mon parcours. Pour autant, je sais que la maternité est quelque chose qui peut faire peur : nos contrats sont souvent précaires, et la crainte de perdre son poste est légitime. Les craintes peuvent aussi être liées à l’évaluation de notre production, de nos publications qui peuvent être ralenties par le congé maternité. Je pense néanmoins que quand on est déterminé, tout est possible : il est possible de s’organiser, et de s’entourer pour y arriver. La liberté énorme que l’on a en tant que chercheurs le permet. Rien n’est impossible, il faut simplement le vouloir et ne pas avoir peur.
Le prix Nobel de médecine a été décerné cette année à trois chercheurs américains, parmi lesquels une femme, Mary Brunkow. S’agit-il, selon vous, d’un signal positif ?
Cela me semble très important, car les femmes scientifiques sont encore trop souvent invisibilisées, malgré le travail énorme qui a déjà été mené pour renforcer leur représentation, notamment par la Fondation L’Oréal et l’UNESCO au travers de ces Prix L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science. Sept des anciennes lauréates de ces prix sont d’ailleurs, aujourd’hui, détentrices d’un Prix Nobel !
Même s’il reste bien du chemin à parcourir pour atteindre la parité, cela me semble un grand signe d’espoir. Il faudra que, demain, toutes les femmes qui le méritent puissent être récompensées pour leurs travaux, promues et visibles.
Comment accueillez-vous, justement, ce Prix Jeunes Talents France L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science que vous venez de recevoir ?
Ça a été pour moi un honneur et une fierté de recevoir ce prix ! En premier lieu parce que cette récompense est le fruit d’une évaluation par les pairs de nos travaux respectifs – des pairs parmi lesquels se trouvaient donc notamment des Académicien(ne)s, ce qui était déjà, en soi, quelque chose d’extraordinaire pour moi. Ce prix nous offre aussi une opportunité unique de mettre en lumière nos travaux et notre parcours. Il nous permet également de nous exprimer, et d’exposer ce qui a été pour nous facile, ou difficile ; d’échanger entre nous et, finalement, de créer un collectif, ce qui est toujours une force.
C’est aussi un moyen, je pense, de motiver les jeunes filles qui aiment la science à se lancer dans une carrière scientifique, en leur montrant tout simplement que c’est possible ! Nous sommes cette année 34 jeunes femmes lauréates, et nous avons des parcours très divers, ce qui illustre toute la place de la diversité dans la recherche, tout en démontrant une chose capitale : il ne faut surtout pas s’autocensurer !
[1] Unités d’enseignement
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