Le 19e Prix Jeunes Talents France 2025 L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science récompense 34 nouvelles « étoiles montantes »
Créé en 2007, le Prix Jeunes Talents France 2025 L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science récompense chaque année, à un moment clé de leur carrière, des doctorantes et post-doctorantes qui incarnent aux yeux du jury « l’excellence scientifique française », et qui portent, en outre, des projets de recherche visant à construire « un avenir plus juste et durable ». Cette année, 34 de ces jeunes chercheuses ont été sélectionnées parmi près de 700 candidates, par un jury composé d’une trentaine de membres de l’Académie des sciences, avec à sa tête la célèbre astrophysicienne française Françoise Combes, présidente de l’Académie des sciences, elle-même récompensée du prix international 2021 L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science.
« Les femmes représentent la moitié de l’humanité, mais demeurent trop peu nombreuses aux postes de responsabilité dans la recherche. [De nombreux] freins écartent injustement des talents dont la science aurait besoin. Les Prix Jeunes Talents France L’Oréal-UNESCO Pour Les Femmes et la Science, en partenariat avec l’Académie des sciences, sont autant de leviers pour rééquilibrer les chances et permettre à la culture scientifique de s’enrichir de tout le potentiel de cette moitié de l’humanité », se réjouit Françoise Combes. L’astrophysicienne qui voit dans les lauréates de cette 19e édition, de nouvelles « étoiles montantes de la science »…
Actuellement post-doctorante au sein du Centre de mise en forme des matériaux[1] (CEMEF), Marion Négrier a, depuis son plus jeune âge, nourri un intérêt pour la recherche scientifique. Sa sensibilité pour les questions environnementales, combinée à son goût prononcé pour la chimie, l’a progressivement amenée à s’intéresser au sujet du recyclage chimique des textiles. Elle a ainsi abouti au développement d’un procédé permettant de séparer les fibres végétales et synthétiques mélangées dans certains textiles. Objectif : valoriser la fraction biosourcée de ces matières – notamment le coton – pour en faire des substituts aux plastiques pétrosourcés. Une approche brevetée, qu’elle s’attelle désormais à amener à l’échelle industrielle, au travers d’une start-up qu’elle compte lancer en janvier prochain.
Techniques de l’Ingénieur : vous vous orientiez plutôt, au départ, vers une carrière de vétérinaire. Qu’est-ce qui vous a finalement amenée à la chimie verte ?
Marion Négrier : J’envisageais effectivement, au départ, de devenir vétérinaire. J’ai donc commencé mon parcours post-bac par une prépa BCPST[2]. J’ai toujours beaucoup aimé les sciences, et la chimie notamment, depuis le collège. La biologie aussi, dans une moindre mesure, mais c’est avant tout la chimie qui m’a toujours tenu à cœur. Je me suis ainsi peu à peu aperçue que cette carrière de vétérinaire à laquelle j’aspirais depuis longtemps n’était sans doute finalement pas faite pour moi. La formation comportait un peu trop de biologie à mon goût… ! (Rires)
J’ai donc fini par m’intéresser aux métiers de l’ingénieur. Je ne savais pas vraiment ce qu’était un ingénieur. Je me suis donc informée, et me suis aperçue qu’une carrière dans l’ingénierie serait quelque chose de beaucoup plus adapté, de beaucoup plus logique pour moi. Le fait de résoudre des problèmes, de travailler sur une grande diversité de sujets, m’a particulièrement attirée vers cette voie.
Je me suis donc orientée vers un parcours de formation en biochimie à l’Université de Nantes, puis vers une école d’ingénieur spécialisée à la fois en agroalimentaire et en chimie : l’École nationale supérieure de matériaux, d’agroalimentaire et de chimie (ENSMAC) à Bordeaux. Mon objectif était justement de combiner ces deux domaines, au travers de la spécialité « chimie et bio-ingénierie » proposée par cette école en dernière année. Cela a conforté mon envie de faire de la chimie pour l’environnement, et, surtout, au service d’applications très concrètes.
Quelle a alors été la suite de votre parcours ?
J’ai fait mon stage de fin d’études en Suisse, à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), dans une start-up hébergée au sein d’un des laboratoires de l’école – Bloom Biorenewables – spécialisée dans le fractionnement de la biomasse, c’est-à-dire la transformation de bois en molécules d’intérêt habituellement issues du pétrole. J’ai trouvé cela absolument génial ! J’ai donc voulu poursuivre dans cette voie, en me lançant dans la recherche d’une offre de thèse dans le domaine du recyclage, de la valorisation de matières considérées comme des déchets. C’est comme cela que je suis arrivée au Centre de mise en forme des matériaux (CEMEF) des Mines de Paris, situé sur le campus Pierre Laffitte à Sophia Antipolis. [Tout comme Kindness Isukwem, lauréate de l’édition 2024 du Prix Jeunes Talents France L’Oréal-UNESCO, avec qui nous avions également pu nous entretenir, n.d.l.r..]
Je ne connaissais ce centre de recherche que de nom… J’y ai finalement découvert un domaine absolument passionnant : celui du recyclage des textiles. C’est donc sur ce sujet que j’ai fait ma thèse, à l’issue de laquelle j’ai eu envie d’aller plus loin, en construisant mon post-doctorat autour de la recherche de nouvelles solutions pour le recyclage des textiles. Je me suis engagée dans ce travail début 2024, toujours au sein du CEMEF, et avec le soutien de nos tutelles.
Je me suis aussi engagée, en parallèle, dans le Mastère Spécialisé « Entrepreneuriat Deeptech et Innovation » de Mines Paris – PSL. Ceci, en vue notamment de créer ma propre start-up, dans le prolongement du projet Blendcel. Ce que je prévois de faire en janvier 2026.
Avez-vous, à un moment ou à un autre de ce parcours très riche, eu le sentiment que votre genre vous a freinée ?
Au début de mon parcours dans la chimie et l’agroalimentaire, nous étions une majorité de femmes. Mais la suite de mon parcours, y compris ce projet entrepreneurial que je mène aujourd’hui, s’est faite dans un milieu beaucoup plus masculin… Je n’ai cependant jamais eu le sentiment que mon genre a été un frein. J’ai davantage vu mon statut de femme scientifique comme un levier pour booster mon parcours : être l’une des rares femmes dans un monde majoritairement masculin m’a en fait permis de me distinguer, d’être davantage écoutée lors de congrès, de conférences, de réunions… et de marquer les esprits, notamment au niveau entrepreneurial, où les parcours de femmes sont généralement mis en valeur. Je n’ai pas eu de réflexions négatives liées au fait que je sois une femme, et j’ai au contraire été encouragée à m’engager dans un parcours de création d’entreprise.
Comment accueilliez-vous ce Prix Jeunes Talents France L’Oréal-UNESCO Pour Les Femmes et la Science qui vous a été décerné le 8 octobre dernier ?
Je suis extrêmement fière d’avoir reçu ce prix ! C’est pour moi un immense honneur. Cette récompense met en valeur mon parcours et tous les travaux de recherche que j’ai menés jusqu’ici. Ce prix met aussi, au passage, un coup de projecteur sur les problématiques actuelles en matière de recyclage des déchets textiles. Il montre aussi selon moi qu’il est toujours possible d’innover, de créer de nouvelles solutions dans ce domaine. Cela va aussi, évidemment, booster mon projet entrepreneurial.
Où en est justement ce projet de start-up que vous comptez lancer en janvier prochain ? Quelles seront les prochaines étapes ?
Mon travail de post-doctorat m’a permis de développer et de déposer une demande de brevet pour un procédé permettant de séparer de manière économique et écologique les fibres synthétiques des fibres végétales composant certains textiles. Ceci, dans le but de transformer ces textiles – qu’ils soient post-consommation ou issus de l’industrie – en matériaux innovants.
J’entame aujourd’hui avec mon équipe la phase cruciale de montée en échelle de ce procédé. Le prix Jeunes Talents France L’Oréal-UNESCO Pour Les Femmes et la Science va me permettre de financer quelques-uns des équipements nécessaires pour franchir ces prochaines étapes avant, effectivement, de pouvoir lancer concrètement cette start-up, je l’espère, en janvier 2026.
[1] CNRS – Mines Paris – PSL
[2] BCPST : Biologie, chimie, physique et sciences de la Terre.
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