Depuis plusieurs décennies, les forêts tropicales étaient considérées comme des puits essentiels de CO₂. En effet, elles capturent du dioxyde de carbone via la photosynthèse, stockent du carbone dans la biomasse aérienne (troncs, branches, feuilles) puis le retiennent tant que l’arbre croît. Toutefois, selon l’étude publiée dans la revue Nature, les forêts tropicales humides du Nord-est australien sont passées d’un rôle net d’absorption à un rôle net d’émission.
L’analyse porte sur environ 11 000 arbres suivis depuis 1971, répartis sur 20 sites dans l’État du Queensland (Australie). Les chercheurs ont étudié la biomasse aérienne (troncs et branches) et constaté que, depuis environ vingt-cinq ans, cette biomasse devient un « émetteur net » de carbone.
Les principaux facteurs identifiés sont l’augmentation des températures extrêmes, la multiplication et l’intensification des épisodes de sécheresse, ainsi que l’élévation de la mortalité des arbres. Ces conditions déséquilibrent la dynamique de croissance versus mort/décomposition : les arbres qui meurent libèrent le carbone stocké, et ce flux n’est plus compensé par la croissance de nouveaux arbres dans ces forêts.
Plus précisément, entre 2010 et 2019, les sites étudiés auraient perdu près de 0,9 tonne de carbone par hectare et par an dans la biomasse aérienne. À l’inverse, la période de 1970-1980 correspondait à une phase de capacité maximale d’absorption de carbone de ces forêts.
Ce basculement est qualifié de « première mondiale » pour des forêts tropicales. Il pose d’importantes questions quant à la validité des modèles climatiques actuels qui considéraient jusqu’ici que les grands puits forestiers tropicaux conserveraient leur rôle d’absorption de carbone sur le long terme.
D’un point de vue technique, l’étude se concentre sur la biomasse aérienne et n’a pas inclus le carbone stocké dans les racines ou les sols. Cela signifie que, bien que la biomasse aérienne soit devenue une source nette, la totalité du bilan carbone du sol et des racines reste à être évaluée. Néanmoins, cette bascule marque déjà un signal fort quant à la fragilité des puits forestiers tropicaux.
Au-delà des conditions locales australiennes, les auteurs et médias soulignent que ce phénomène pourrait être un révélateur pour d’autres forêts tropicales dans le monde, notamment en Amazonie ou en Afrique, si les stress climatiques (sécheresse, chaleur, cyclones) s’intensifient.
En effet, les forêts tropicales humides australiennes représentent une superficie d’environ un million d’hectares et une biomasse parmi les plus élevées du monde, ce qui fait qu’elles peuvent constituer un analogue de ce que pourraient vivre des forêts plus vastes sous climat plus contraignant.
L’étude souligne également qu’aucune preuve solide n’a été trouvée d’une stimulation de la croissance forestière due à l’augmentation du CO₂ atmosphérique, ce qui remet en cause certaines hypothèses de rééquilibrage naturel du cycle du carbone. Si les forêts ne peuvent plus compenser ou neutraliser les émissions de carbone comme attendu, alors les scénarios climatiques risquent d’être plus optimistes qu’ils ne le seraient réellement.
Sur le plan des conséquences, ce basculement pourrait amplifier la rétroaction positive entre le climat et le cycle du carbone terrestre. Ainsi, plus les forêts émettent de CO₂, plus cela alimente l’effet de serre, ce qui engendre davantage de stress pour ces mêmes forêts. Ce type de rétroaction est connue dans la littérature comme un risque pour la stabilité du climat terrestre.
Néanmoins, les auteurs insistent sur la nécessité de prudence : l’étude est géographiquement limitée à ces forêts australiennes et il reste à déterminer si d’autres forêts tropicales globales suivront le même chemin.
L’étude marque donc un tournant en écologie et climatologie, révélant qu’un écosystème jusqu’ici considéré comme stabilisant devient source potentielle d’aggravation climatique. Cela renforce l’urgence d’agir sur les émissions de gaz à effet de serre et sur la gestion des forêts, mais aussi de renforcer les suivis à long terme des dynamiques forestières sous contrainte climatique. Si d’autres forêts suivent ce modèle, les conséquences pour la trajectoire du réchauffement planétaire pourraient être bien plus sévères que prévu.
Dans l'actualité
- Le changement climatique : une menace pour l’approvisionnement en semi-conducteurs
- Réchauffement climatique : le budget carbone presque épuisé
- ClimateSeed : la compensation carbone bien au-delà du CO2
- Des insuffisances dans l’adaptation de l’UE face au changement climatique
- Une meilleure anticipation des phénomènes climatiques extrêmes grâce à l’IA
- Climat : des études de vulnérabilité obligatoires pour les entreprises
- La France touchée de plein fouet par le changement climatique
- Lien entre phénomènes météo extrêmes et dérèglement climatique global : quelles sont les preuves ?
- Revue du Magazine d’Actualité #51 du 20 au 24 octobre
Dans les ressources documentaires
- Intensification écologique des sols en agriculture tropicale : rôles de la biodiversité des sols
- Préserver la biodiversité : un enjeu majeur pour la planète et un défi pour nos sociétés
- Huile de palme - Défis renouvelés de la durabilité
- Solutions fondées sur la Nature pour les sociétés et la biodiversité
- Potentialités de stockage de carbone dans les sols