Ce qui pouvait relever de la science-fiction devient réalité. Des chercheurs du CEA, du CNRS et d’Aix-Marseille Université sont parvenus à produire de l’heptane grâce à un procédé biotechnologique inédit. Ce composé, qui sert à fabriquer des carburants (notamment aéronautiques) et des solvants industriels, est jusqu’à présent exclusivement issu de la distillation du pétrole. En mettre au point une version biosourcée constitue un enjeu important pour réduire la dépendance aux énergies fossiles, limiter les émissions de CO₂ et proposer des alternatives durables aux industries de la chimie et du transport.
Si des enzymes capables de produire du propane ou du butane ont déjà été exploitées, les tentatives de production d’hydrocarbures à chaîne moyenne (C7–C13), pourtant essentiels aux carburants liquides, se sont heurtées à des rendements limités et à un manque de sélectivité. Ici, les scientifiques, dont les travaux de recherche viennent d’être publiés dans la revue Biofuel Research Journal, se sont appuyés sur une enzyme découverte récemment : la Fatty Acid Photodecarboxylase (FAP). Elle a déjà démontré sa capacité à convertir des acides gras en alcanes sans besoin de cofacteurs additionnels, à température et pression ambiantes, et sous une lumière bleue.
Cette photoenzyme, qui utilise la lumière comme source d’énergie, a aussi une autre particularité intéressante : elle montre une affinité remarquable pour l’acide octanoïque, qu’elle transforme en heptane. Sauf que ce substrat est rare dans la nature. Les chercheurs ont donc choisi de le fabriquer directement à l’intérieur de bactéries E. coli grâce à une enzyme spécifique, une thioestérase. Le tandem thioestérase–FAP forme ainsi une chaîne métabolique complète, allant de la synthèse de l’acide octanoïque jusqu’à sa conversion en heptane.
Plusieurs améliorations ont été apportées à ce processus pour l’optimiser. Première avancée : la FAP a été fusionnée avec une protéine bactérienne, appelée la thiorédoxine, pour améliorer sa stabilité et multiplier par 12 son activité hydrocarbonée. Deuxième innovation : pour déclencher la production d’heptane, des inducteurs chimiques coûteux et peu pratiques comme l’IPTG (isopropyl-β-D-thiogalactopyranoside) ont été remplacés par un « interrupteur » lumineux, appelé pDawn, qui réagit directement à la même lumière bleue que la FAP.
Enfin, les chercheurs ont comparé deux stratégies distinctes. La première consiste à co-exprimer dans une seule souche bactérienne la thioestérase et la FAP, et la seconde à répartir le travail entre deux souches distinctes cultivées ensemble : l’une produisant l’acide octanoïque et l’autre le convertissant en heptane. Résultat : la co-culture s’avère nettement plus efficace, multipliant la production par 14 par rapport à la co-expression.
Des rendements de production d’heptane biosourcé jamais atteints
Dans des photobioréacteurs, l’équipe est parvenue à atteindre une production moyenne d’heptane de près de 5 mg par litre de culture bactérienne et par heure avec une pureté supérieure à 90 %. Une telle performance représente une augmentation significative de la productivité par rapport à des études précédentes. Le composé s’est révélé chimiquement identique à son équivalent fossile et les expériences montrent que le système reste viable dans le temps, avec des cultures stables sous illumination continue et un rendement reproductible. Les bactéries tolèrent la présence d’acide octanoïque jusqu’à une certaine concentration, au-delà de laquelle leur viabilité décline, ce qui fixe des limites à l’intensification du procédé.
Bien qu’encourageants, les résultats restent encore loin d’un niveau industriel. Les chercheurs évoquent plusieurs axes d’amélioration : identifier des thioestérases encore plus performantes, intervenir sur la FAP pour accroître sa robustesse, optimiser les photobioréacteurs et la gestion de la lumière. L’étude souligne aussi la difficulté à générer de grandes quantités d’acide octanoïque, ce qui suppose d’optimiser encore les voies métaboliques. Malgré ces limites, la publication constitue une première puisque jamais l’heptane n’avait été obtenu avec un tel niveau d’optimisation et de sélectivité par un organisme vivant.
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