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Une loi pour réduire l’empreinte environnementale du numérique

Posté le 21 janvier 2021
par Matthieu Combe
dans Environnement

Une proposition de loi adoptée au Sénat en première lecture vise à faire converger transition numérique et transition écologique. Frédéric Bordage, expert indépendant du numérique responsable, l’accueille avec enthousiasme et fait quelques propositions pour l’améliorer.

La proposition de loi a été adoptée par le Sénat en première lecture le 13 janvier, par quasiment l’ensemble des groupes politiques. Elle a maintenant été transmise à l’Assemblée Nationale. Avec 26 articles répartis en 5 chapitres, ce projet de loi, déposé par Patrick Chaize, sénateur Les Républicains de l’Ain, et plusieurs de ses collègues, complète le projet de loi climat et la loi anti-gaspillage et économie circulaire récemment votée.

« C’est le premier projet de loi à l’échelle mondiale qui vise à réduire l’empreinte environnementale du numérique, prévient Frédéric Bordage, expert indépendant du numérique responsable et créateur de la communauté GreenIT.fr consacrée à l’informatique durable. Il faut saluer les sénateurs à l’origine du projet sur cet aspect novateur ». L’association Halte à l’Obsolescence Programmée (HOP) salue également le texte.

Dans l’hémicycle, le secrétaire d’État chargé de la transition numérique, Cédric O, a pour sa part estimé que « la volonté qui irrigue la proposition de loi rejoint celle du gouvernement dans le cadre de sa feuille de route interministérielle pour faire converger numérique et écologie ». Elle doit être présentée « début février ». Il a toutefois exprimé des « réserves » sur certains points.

Augmenter la durée de vie des terminaux

Le texte propose plusieurs mesures pour limiter le renouvellement des terminaux. « C’est capital, car en France, la fabrication des équipements, notamment des terminaux, est responsable de 80 % de nos impacts numériques si on considère le cycle de vie complet », rappelle Frédéric Bordage.

Ainsi, le projet de loi entend simplifier la définition du délit d’obsolescence programmée pour le rendre plus aisé à démontrer et inciter les fabricants à plus d’éco-conception. Le projet de loi veut aussi s’attaquer à l’obsolescence logicielle. Il propose ainsi de dissocier les mises à jour nécessaires à la conformité des terminaux des mises à jour évolutives ou de confort. Cela reviendrait à donner à l’utilisateur le choix d’éviter d’installer des mises à jour pouvant entraîner un ralentissement voire un dysfonctionnement de son terminal. En cas d’adoption définitive, la réversibilité des mises à jour non essentielles serait aussi permise. Le projet de loi propose en plus d’étendre la durée de garantie légale des équipements numériques à cinq ans, contre deux ans aujourd’hui.

Développer les usages du numérique écologiquement vertueux

Les sénateurs ont prévu de mieux encadrer les usages du numérique. Ils souhaitent par exemple interdire, à titre préventif, les forfaits mobiles avec un accès illimité aux données. Le projet de loi prévoit en plus d’obliger les services de vidéo à la demande d’adapter la qualité de la vidéo téléchargée à la résolution maximale du terminal et d’interdire le lancement automatique des vidéos. Il prévoit également d’interdire la pratique du défilement infini des services de communication au public en ligne.

« Il est disproportionné de focaliser l’attention sur trois défauts de conception alors que nous en croisons quotidiennement des centaines, réagit Frédéric Bordage. La loi doit rendre obligatoire l’éco-conception en pointant vers un référentiel reconnu par la profession. Ce n’est pas au législateur de définir si les vidéos doivent se déclencher automatiquement ou pas ». Dans la version actuelle, l’éco-conception s’appliquerait uniquement aux GAFAM. « L’article 16 doit être plus contraignant, c’est à dire obligatoire, et s’appliquer aux services numériques de l’État, ainsi qu’aux entreprises de plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires comme c’est déjà le cas pour l’accessibilité numérique », propose l’expert.

Pour des centres de données et réseaux moins énergivores

Le quatrième chapitre veut diminuer la consommation des centres de données et des réseaux. Le projet de loi incite les opérateurs à prendre des engagements pluriannuels contraignants de réduction de leurs impacts environnementaux auprès de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Ils devront notamment inclure des initiatives pour réduire les impacts associés à la fabrication et à l’utilisation des box mises à disposition de leurs abonnés. L’Arcep pourrait à l’avenir refuser d’attribuer des fréquences radioélectriques pour cause de la préservation de l’environnement.

Frédéric Bordage voudrait aller encore plus loin et invite les députés à s’intéresser à la question de la mutualisation des box. « Dans une tour de la Défense, on a une seule box pour 200 salariés et ça fait 20 ans que ça marche, note-t-il. Pourquoi ne pas avoir une seule box pour les immeubles d’habitations ? Ce projet devrait favoriser la mutualisation des équipements lorsque c’est possible. »

Sensibiliser les utilisateurs à l’impact environnemental

Le projet de loi comporte enfin plusieurs dispositions pour développer l’éducation à la sobriété numérique, dès le plus jeune âge. Les sénateurs proposent de conditionner le diplôme des ingénieurs en informatique à l’obtention d’une attestation de compétences acquises en éco-conception logicielle. « Cela fait des années que notre collectif se bat pour inclure la sobriété numérique dans les formations, c’est une excellente nouvelle, déclare Frédéric Bordage. Rappelons juste qu’on ne peut pas éco-concevoir un logiciel. L’éco-conception ne peut porter que sur un service numérique dans son ensemble. »

En outre, le texte prévoit la création d’un « Observatoire de recherche des impacts environnementaux du numérique » placé auprès de l’Ademe. Si le projet de loi est adopté, le bilan Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) devrait comprendre des données sur l’impact environnemental du numérique. Et enfin, un crédit d’impôt à la numérisation durable des petites et moyennes entreprises pourrait voir le jour.


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