La simulation numérique permet à de nombreux secteurs industriels de gagner du temps et de l’argent, en limitant les tests réels au maximum, très onéreux. Les exemples sont légions. Les logiciels de simulation pour étudier les propriétés physiques des matériaux composant une pièce mécanique, et leur résistance aux contraintes mécaniques qui leurs seront appliquées lors de leur cycle de vie, sont aujourd’hui utilisés de manière très large. Pour aller plus loin, l’industrie généralise depuis quelques années les jumeaux numériques. Le but étant d’avoir une copie numérique d’un objet physique, afin de lui appliquer les mouvements, formes et interactions que l’objet va subir dans la réalité. Les applications sont très nombreuses : contrôle qualité, productivité, traçabilité, analyse du cycle de vie… pour tous les produits sortant des usines de fabrication, mais aussi pour les usines elles-mêmes. En effet, les infrastructures de production – de produits, d’énergie – ont également le droit à leur jumeau numérique, avec de nombreux gains à la clé : maintenance prédictive, augmentation de la productivité, agilité, entre autres.
Les jumeaux numériques développés pour l’industrie ont en commun de se baser sur la simulation et la numérisation de systèmes connus et stables. C’est ce qui les différencie des systèmes vivants, que l’on va retrouver dans les secteurs d’activité comme l’agriculture, la santé, le climat, les écosystèmes, entre autres, et qui ont en commun une complexité élevée, une forte variabilité, et une part d’imprévisibilité qui rend la modélisation particulièrement exigeante. Et les applications potentielles très prometteuses.
Un jumeau numérique d’un système vivant : pour quelles applications ?
Dans le domaine de la santé, les efforts pour développer un jumeau numérique du patient illustrent bien cette tension entre ambition technologique et complexité biologique. Des modèles de cœur virtuel permettent déjà de tester des dispositifs médicaux, tandis que des simulations de tumeurs cherchent à prédire la réponse à des traitements.
La chirurgie, elle, explore des représentations numériques préopératoires personnalisées pour optimiser les gestes médicaux. Mais ces avancées restent fragmentaires, car elles reposent sur l’intégration de données massives, hétérogènes et souvent incomplètes : les données génomiques, les historiques cliniques, l’imagerie médicale, les données environnementales… Autant de couches d’information qu’il faut synchroniser dans un modèle cohérent, ce qui se révèle d’une complexité infinie.
L’agriculture, de son côté, semble offrir un terrain plus structuré pour le développement de jumeaux numériques, notamment à travers l’agriculture de précision. En modélisant les interactions entre sol, cultures et climat local, il devient possible d’ajuster l’irrigation, de limiter les intrants, ou encore d’anticiper les maladies. Cependant, la variabilité biotique, géographique et climatique complique la reproductibilité des modèles. La standardisation des données reste embryonnaire à l’heure actuelle, et les modèles sont encore trop sensibles aux incertitudes locales pour être généralisables à grande échelle.
Face à ces défis, les approches traditionnelles de modélisation, fondées uniquement sur des équations mécanistes, montrent leurs limites. Pour représenter le vivant, il devient nécessaire d’hybrider les méthodes : combiner intelligence artificielle et modèles mécanistes, mais aussi articuler simulation multi-agents et apprentissage fédéré, et intégrer des données empiriques sans perdre de vue les dynamiques structurelles. C’est à ce prix qu’un jumeau numérique peut espérer devenir un système adaptatif, capable de refléter les transformations continues d’un organisme, d’une population, voire d’un environnement.
Ainsi, le jumeau numérique du vivant ne sera pas prédictif au sens classique du terme. Il ne fournira pas de certitudes, mais des probabilités, des tendances, des scénarios dynamiques. Il ne remplacera pas l’expérimentation in vivo, mais deviendra un partenaire dans l’exploration des possibles. À condition toutefois de construire des infrastructures de données robustes, d’encourager la collaboration entre disciplines, et d’accepter que dans le monde du vivant, la simulation n’est jamais une réplique parfaite, mais une hypothèse éclairée sur ce qui pourrait advenir.
Cet article se trouve dans le dossier :
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