L’Europe s’est mis en tête de simuler la Terre. Avec le projet Destination Earth – DestinE -, la Commission européenne ambitionne de créer un jumeau numérique de notre planète, avec une ambition : être en capacité de prédire les conséquences du changement climatique, d’alerter en cas de catastrophes naturelles, et même de tester virtuellement des politiques publiques et leurs effets, sur le long terme, à travers toute la planète.
Un projet dont on perçoit les avancées immenses en termes de prédiction et de décision qu’il pourrait porter. Cependant, il convient de se poser la question de la possibilité même de créer un véritable jumeau numérique de la Terre. Quelles sont aujourd’hui les limites technologiques de DestinE ? Et aussi, est-il réellement possible de modéliser le vivant et l’humain ?
Annoncé en 2021 dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe et de la stratégie de souveraineté numérique européenne, DestinE incarne la volonté de l’Union européenne de se doter d’outils puissants pour faire face aux bouleversements climatiques. Le projet est porté par le programme Digital Europe, avec un financement initial d’environ 150 millions d’euros pour sa première phase. Avec une finalité avouée : simuler le système Terre à un degré de précision inédit, dans le but d’anticiper les impacts environnementaux et sociaux des différentes trajectoires politiques.
À la base du projet, une infrastructure informatique européenne de pointe
DestinE repose sur les supercalculateurs LUMI (Finlande) et Leonardo (Italie), capables de traiter plusieurs centaines de pétaflops, soit des millions de milliards d’opérations par seconde. Ces machines feront tourner des modèles numériques intégrant les interactions entre atmosphère, océans, cryosphère, biosphère et activités humaines.
La plateforme s’appuie sur trois piliers. D’abord, le Core Service Platform, un portail d’accès aux données, modèles et scénarios qui alimentent DetinE.
Ensuite, des Digital Twins thématiques, qui sont en fait les premiers prototypes de simulation pour le climat extrême, l’hydrologie ou l’urbanisme, et qui vont apporter chacun des modèles de prévision sur leurs champs spécifiques d’expertise.
Enfin, un réseau distribué d’infrastructures de calcul, de stockage et d’IA, interconnecté à des systèmes de données en temps réel – satellites Copernicus, observations au sol, données socio-économiques – permettront d’alimenter le modèle en données les plus récentes possibles.
Cette architecture doit permettre de fournir des prédictions à haute résolution spatio-temporelle, de l’ordre du kilomètre carré et de l’heure, selon les cas d’usage.
Pour être en mesure de collecter les données nécessaires en temps réel, des partenaires européens tels que l’ESA, l’ECMWF (Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme) ou encore EUMETSAT participent à la coordination du projet.
Quels bénéfices et quelles limites ?
Les usages de DestinE pourraient être multiples, après qu’une première version de DestinE ait été mise en ligne fin 2024.
Tout d’abord, l’outil pourrait permettre de tester les effets des politiques climatiques. Il serait par exemple en mesure de simuler l’effet réel sur le climat de l’interdiction de circulation des véhicules thermiques.
Seconde usage, la prévision des catastrophes naturelles et de leurs conséquences. L’outil pourrait prédire les risques d’inondation par exemple, en combinant des modèles hydrauliques, des données météo et de topographie.
L’amélioration de la gestion des ressources naturelle, comme l’eau ou l’énergie, pourrait également se trouver repensée via l’usage de DestinE, qui serait en mesure de fournir à l’échelle globale des informations en temps réel sur l’état des ressources en fonction des usages géographiques.
Le scope d’analyse de l’outil est aussi source de nombreux usages, puisqu’il serait en mesure de fournir des analyses globales, au niveau de la planète, mais également au niveau d’un continent, voire d’une ville ou d’un quartier.
Pour le moment, nous sommes loin de ce type d’applications. De nombreux scientifiques soulignent aujourd’hui l’immense complexité des interactions multi-échelles que doit prendre en compte DestinE pour se révéler être un outil fiable. Et pour cause, à l’heure actuelle, aucune simulation ne peut représenter fidèlement la diversité des milieux, des comportements humains ou des imprévus géopolitiques, entre autres.
Certains spécialistes du sujet vont plus loin, arguant qu’il est inexact d’employer le terme de jumeau numérique pour DetinE, car un jumeau numérique reproduit un système maîtrisé et stable, ce qui n’est pas le cas de la Terre, que ce soit pour les systèmes biologique ou humains. Les difficultés à prédire la météo, de plus en plus importantes avec le changement climatique, laissent effectivement songeur quant à la possibilité de modéliser un système planétaire et son évolution.
La version opérationnelle limitée du projet lancée en 2024, avec deux premiers jumeaux thématiques (climat extrême et hydrologie), doit faire place à la version complète, couvrant toutes les dimensions du système Terre, prévue pour 2030.
DestinE est donc pour le moment un pari scientifique et technique, mais aussi un symbole politique : celui d’une Europe qui tente de reprendre la main sur ses données, ses infrastructures et ses choix environnementaux.
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