En ce moment

Brexit et science : les incertitudes minent les chercheurs

Posté le 11 février 2019
par Sophie Hoguin
dans Entreprises et marchés

Depuis le Brexit, l’attractivité du Royaume-Uni en matière scientifique a clairement diminué. Dans l’incertitude actuelle, le moral des chercheurs est plutôt morose. Universités et centres de recherche cherchent à garantir les libertés de voyager et de travailler pour leurs personnels, qu’ils soient britanniques ou non.

Pour ce qui est de la mobilité de courte durée, il n’y a désormais plus d’inquiétudes majeures. Du côté de l’Union européenne, pour des voyages de tourisme ou professionnels de moins de trois mois, cela semble acquis, les ressortissants britanniques n’auraient pas besoin de visas comme c’est le cas pour une soixantaine de pays tels que le Canada, l’Ukraine, le Japon etc. Mais l’UE attend tout de même une condition de réciprocité. La circulation pour les conférences ou le partage du travail ne semble donc pas compromise.

En outre, des deux côtés de la Manche, les autorités ont assuré que les citoyens vivants déjà sur place (Européens au Royaume-Uni et Britanniques en UE) pourront rester moyennant le paiement d’un droit modique. En UK, il a déjà été fixé à 65 livres. Côté européen, chaque pays décidera pour son territoire. Rien n’a encore été annoncé. Certaines universités britanniques ont d’ores et déjà décidé de payer pour leurs personnels. Et la plupart a commencé à mettre en place un service d’assistance pour l’immigration et les voyages pour leurs travailleurs européens.

Incertitudes pour les nouveaux émigrants

Le gouvernement britannique n’a pas caché qu’il souhaitait faire entrer les migrants européens sous le même statut que les migrants du reste du monde et voulait en profiter pour revoir entièrement sa politique de visas, notamment pour les « hauts potentiels ». Mais cette refonte demandera du temps. Aussi, il a promis que dans l’intervalle, les travailleurs et chercheurs européens qui voudraient émigrer en UK n’auraient pas besoin de visas. Mais, sans garantie formelle, les universités essayent d’embaucher au maximum avant la date fatidique du 29 mars. Dans l’autre sens, les incertitudes sont aussi très fortes. Les chercheurs britanniques devront demander des permis de travail dans les pays qu’ils visent et les réglementations varient selon les pays. Les délais d’obtention pouvant atteindre parfois plusieurs mois… Même si là aussi, la plupart des pays devraient rester très souples pendant un an ou deux vis-à-vis des ressortissants britanniques.

Reste la question de certains fonctionnaires européens comme les experts scientifiques britanniques qui travaillent au sein des institutions européennes comme le JRC (Joint Research Centre) qui conseille et émet des expertises pour mettre en place les politiques, les législations et les réglementations dans des domaines aussi divers que l’environnement ou l’émigration. Difficile pour l’Europe de s’en passer du jour au lendemain, mais avec certitude, ils devront à terme quitter leur emploi.

Les étudiants européens boudent la recherche britannique

Dans les universités du Royaume-Uni, le nombre d’étudiants de troisième cycle et de jeunes chercheurs en provenance des pays européens a chuté depuis l’annonce du Brexit, selon les dernières données de l’agence statistique de l’enseignement supérieur publiées le 17 janvier 2019.

Et la tendance semble se confirmer encore pour l’année 2018-2019 selon les estimations provisoires du Russell Group (l’association de plusieurs universités prestigieuses), voire même s’accentuer maintenant que les incertitudes liées au Brexit sont à leur comble. Une situation qui marquerait alors la fin d’une dizaine d’années de croissance qui a vu les étudiants de troisième cycle passer de 12700 à 15000 entre 2008 et 2016. Dans un article de Nature, Robertus de Bruin, un biologiste moléculaire de l’UCL (University College of London) témoignait ainsi que dans son groupe, les candidatures d’Européens avaient chuté de 90 % depuis 2015. Les acteurs de la recherche académique s’inquiètent. Tim Bradshaw, directeur exécutif du Russell Group expliquait ainsi que ces étudiants européens sont essentiels tant pour la recherche académique que dans l’industrie. « Nous les perdons deux fois : tout d’abord pour les recherches qu’ils ne mèneront plus chez nous et ensuite parce qu’ils risquent de prolonger leur carrière ailleurs que chez nous ».

Les incertitudes sur leur droit à l’immigration, leurs droits d’entrée dans les universités, la provenance et quantité des fonds alloués à la recherche en cas de Brexit dur sont désormais autant de freins à la venue des étudiants et chercheurs de l’UE au Royaume-Uni, qui préfèrent se tourner vers d’autres destinations européennes

Chercheur cherche alternatives

Dans un article paru dans Nature en septembre 2018, la chercheuse britannique Edith Heard, qui vit et travaille en France depuis plus de 10 ans à l’Institut Curie de Paris, exprimait bien l’état d’anxiété et de démoralisation du monde de la recherche. Comme nombre d’autres scientifiques britanniques sur le continent, qui ne sont plus sûrs de leur futur, elle essaye d’obtenir la double nationalité et a fait une demande de citoyenneté française. « Les scientifiques britanniques auxquels je parle cherchent à avoir une autre nationalité sur le continent ou y réfléchissent ». Et clairement, plusieurs témoignages illustrent que depuis le vote, les chercheurs britanniques n’arrivent plus à avoir un rôle proéminent dans les projets européens. Des deux côtés, on a peur que si le leadership est attribué à un Britannique, le projet n’aboutisse pas et n’accède pas aux fonds européens. Cette incertitude et cette anxiété sont déjà un frein à la science en général. Pas seulement pour le Royaume-Uni. Les témoignages affluent aussi de ceux qui, depuis deux ans, scrutent les opportunités d’emplois sur le continent. Ou en Irlande. Au sud. Là, où on est presque au Royaume-Uni et où on bénéficiera des facilités de l’UE. Même si les chercheurs irlandais, du Nord comme du Sud, s’interrogent plus que tout autre sur le fonctionnement des nombreux partenariats, partage de données, de personnels et de matériels construits depuis 20 ans entre les deux parties de l’île. Dans tous les cas, les cerveaux fuient. Le constat est sans appel. Et c’est une perte pour toute la communauté scientifique.


Pour aller plus loin