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Décryptage

Brexit : quelles conséquences géopolitiques ?

Posté le par Romain Chicheportiche dans Entreprises et marchés

Jusqu’ici inimaginable, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne est désormais plausible. Les électeurs de Sa Majesté sont invités à se prononcer ce dimanche sur cette question. Un Brexit serait-il synonyme de séisme géopolitique ? Des pistes de réflexions.

L’assassinat de la député travailliste Joe Cox la semaine dernière a ensanglanté la fin de la campagne sur le referendum concernant la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. A l’heure où sont écrites ces lignes, la campagne a été suspendue et les sondages donnent une légère avance au IN. Toujours d’après ces enquêtes d’opinion, il semblerait qu’Écossais et Nord-Irlandais seraient plus enclins à voter pour le maintien tandis que Gallois et surtout Anglais pencheraient davantage pour le Brexit. Des tendances à prendre avec prudence tant l’issue du scrutin semble indécise. Une chose est certaine, la défiance des britanniques vis-à-vis de l’Union n’est pas nouvelle.

Un peu d’Histoire

Le premier référendum sur le Brexit s’est tenu en 1975, soit seulement deux ans après l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté économique européenne (CEE). Même si le Yes l’a emporté largement à l’époque (67%), le débat ne s’est jamais vraiment éteint. L’aversion à voir le Royaume-Uni entrer dans la famille européenne a d’ailleurs été partagée pendant des années par la France. Le général De Gaulle s’était opposé dans un premier temps à son intégration au motif que les Britanniques étaient  « économiquement liés à l’Amérique et aux Dominions, et n’envisagent d’adhérer à l’Europe des Six qu’à condition d’en modifier les règles et l’esprit ». Ce n’est qu’en 1973 qu’Albion fut acceptée mais aujourd’hui encore, elle dispose d’un statut très particulier qui lui permet de jouer un rôle actif dans les institutions européennes sans pour autant faire partie de la zone euro, ni de l’espace Schengen. Malgré ce traitement de faveur, l’euro-scepticisme n’a cessé de grandir outre-Manche. « Les Britanniques se sentent lésés de n’avoir pu voter sur le traité constitutionnel en 2005. Cette frustration s’est approfondie avec la ratification sans référendum du traité de Lisbonne », indique Vivien Pertusot, responsable du bureau de l’Institut français des relations internationales (Ifri) à Bruxelles.

Un précédent

L’éventualité d’un Brexit génèrerait un précédent pour l’Union européenne. Seuls le Groenland (1985) et l’Algérie (1962) sont sortis de la CEE, mais pour des velléités d’indépendance envers un pays déjà membre. Il ne s’agit donc pas du même cas de figure. Le projet européen a toujours été élaboré dans une perspective à sens unique, sans retour. Une intégration du Vieux continent par la paix et les échanges de biens et personnes afin de créer un bloc géopolitique capable de se mesurer aux grands acteurs de demain. Pour autant, l’article 50 du Traité de Lisbonne instaure une voie de sortie. Il autorise tout Etat-membre à se retirer de l’Union s’il le souhaite. Il doit en notifier le Conseil européen, puis se met en place une table de négociations de deux ans renouvelable (si les deux parties y consentent) pour organiser le processus. Ironie de l‘Histoire, cet article a été rédigé par le député européen français Alain Lamassoure (ex-UMP, LR) pour mettre les euro-sceptiques dos au mur…

Un débat qui dérive sur l’immigration

La plupart des observateurs s’accordent sur le caractère exceptionnellement violent de la campagne, de surcroît pour un peuple reconnu pour son flegme. Comme trop souvent lors de referendum, le débat a rapidement dérivé de son objet initial pour se focaliser sur d’autres sujets : l’immigration et la crise des réfugiés.  La « pression migratoire » dénoncée par les tenants du Brexit s’est accentuée ces dernières années : de 61 000 par an entre 1991 et 2003, elle a doublé à partir de 2004, atteignant 198 000 en 2008. Une immigration en partie légale et liée à l’élargissement de l’Union : la moitié d’entre eux étant en provenance des nouveaux États membres, soit sans lien avec la crise des réfugiés.

Vivien Pertusot explique : « Cette arrivée conséquente et inattendue a nourri deux  narratifs liés au système de santé (le National Health Service) et au logement. On ne compte plus le nombre de déclarations s’attaquant au tourisme social (benefit tourism). Le Royaume-Uni connaît une crise du logement depuis deux décennies. La vague d’immigration des années 2000 a accentué cette crise, mais plutôt que de blâmer des politiques publiques depuis longtemps défaillantes, on se sert de l’immigration européenne pour en faire un bouc émissaire ».

Implications

Quelles pourraient être les implications d’un Brexit ? Pour le Royaume-Uni, ce serait la crise politique assurée puisque David Cameron a fait campagne pour le maintien dans l’UE. Son départ semblerait donc inévitable et le Parlement devrait choisir un nouveau Premier ministre pour mener les négociations avec le Conseil européen. Pour les partisans du Brexit, l’instabilité générée par la sortie de l’UE ne durera pas. Et pour cause, les liens économiques entre l’île et le continent ne cesseront pas au lendemain du vote. Ils dénoncent le discours alarmiste de leurs adversaires. Une approche pragmatique permettrait au Royaume-Uni de négocier la poursuite de nombreux accords commerciaux avec les Etats-membres, estiment-ils. La question du maintien de la City, comme première place financière européenne, est en revanche posée. Certains partisans du Brexit soutiennent même l’idée que le Royaume-Uni aura tout à gagner à ne conserver plus que des relations économiques strictes avec l’UE tout en réactivant son réseau unique issu de la décolonisation : le Commonwealth. Il représente un marché de plus d’un milliard d’individus, grâce notamment à l’Inde, et plus prometteur que l’Europe vieillissante. Et de rappeler qu’avant de rejoindre la Communauté économique européenne (CEE), le Royaume-Uni commerçait moins avec l’Europe qu’avec le reste du monde…

L’UE fragilisée

Un Brexit portera un coup dur à l’Union européenne dans sa construction actuelle. Après plus de 50 ans d’intégration continue, il s’agira du premier coup d’arrêt. L’impact symbolique, souvent sous-estimé, sera violent car il fera sauter un tabou de la construction européenne : sa réversibilité. Le cas du Royaume-Uni dans l’Union est tellement singulier que le retrait s’annonce d’ores et déjà comme une procédure ad hoc où les règles seront appliquées juste après avoir été établies. A n’en pas douter, ce processus sera analysé à la loupe par les divers mouvements indépendantistes susceptibles de se sentir concernés à l’instar de la Catalogne. Le risque d’effet dominos ne pourrait décemment plus être écarté.

Dans une perspective moins extrême, la sortie du Royaume-Uni donnera davantage de crédit aux partisans d’une Europe « à la carte », faisant le constat de l’échec de l’ancien  modèle. Une idée qui séduit un certains nombres de pays, notamment à l’Est, qui souhaitent profiter du marché commun sans subir toutes les contraintes de l’intégration. Un véritable changement de paradigme qui aurait l’avantage de redonner plus de flexibilité, davantage la parole aux citoyens, mais qui brouillerait l’image du projet européen dans le reste du monde.

Enfin, la France perdrait le seul autre pays européen à avoir encore des intérêts stratégiques et une capacité d’action sur les affaires du monde. De fait, la position diplomatique européenne se conformerait beaucoup plus facilement à la vision française, donnant davantage de poids à Paris sur les dossiers internationaux.

Gouverner c’est prévoir

Quelque soit le résultat du referendum de dimanche, l’Union européenne ne sortira pas indemne de cette crise de confiance. Car le Royaume-Uni n’est pas le seul à éprouver une défiance grandissante vis-à-vis des institutions européennes. Le cas autrichien et la montée de mouvements nationalistes anti-européens sont un signal que doivent entendre les dirigeants politiques. Il faut qu’ils proposent une véritable réflexion de fond sur l’avenir de la construction européenne (avec ou sans le Royaume-Uni) en y intégrant les citoyens pour qu’ils n’aient plus le sentiment d’être écartés de ce grand projet de civilisation.

Romain Chicheportiche

 

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