En ce moment

Des impulsions électriques pour convertir un signal magnétique en un signal optique

Posté le 7 mai 2024
par Nicolas LOUIS
dans Innovations sectorielles

Des scientifiques ont utilisé des impulsions électriques pour transférer l'information magnétique associée au spin des électrons, en un signal lumineux polarisé. Cette nouvelle technique permet notamment d'augmenter fortement la fréquence d’encodage de l’information et pourrait révolutionner les télécommunications optiques à longue distance.

En plus d’être des particules élémentaires chargées négativement, les électrons possèdent une autre propriété intéressante, appelée spin. Ils se comportent comme de minuscules aimants en rotation sur eux-mêmes, c’est la raison pour laquelle le spin des électrons peut être assimilé à un moment magnétique. Et de la même façon qu’un aimant possède un pôle nord et un pôle sud, le spin s’oriente de deux façons différentes, vers le haut (up) ou vers le bas (down), si bien que l’une des orientations peut être assignée à un bit de valeur 0 et l’autre à un bit de valeur 1. Une telle propriété offre donc la possibilité de stocker des informations dans des dispositifs numériques comme les mémoires MRAM (Magnetic Random Access Memory) que l’on retrouve dans des ordinateurs.

Pour utiliser cette propriété, ce type d’équipement doit être fabriqué à partir de matériaux ferromagnétiques, mais dès lors que l’on retire les électrons de ce dispositif de stockage, l’information sur le spin est rapidement perdue et ne peut donc pas être transportée. Une équipe internationale de scientifiques1, dirigée par l’Institut Jean Lamour, a utilisé des impulsions électriques pour transférer l’information magnétique en la convertissant en un signal lumineux polarisé. Leur découverte, qui a fait l’objet d’une publication dans la revue Nature (en libre accès sur le site Nature), pourrait révolutionner les télécommunications optiques à longue distance.

Concrètement, la technologie développée consiste à se servir de diodes électroluminescentes, de quelques centaines de microns, qui émettent de la lumière, c’est-à-dire une onde électromagnétique (un champ électronique associé à un champ magnétique alternatif), et à manipuler la polarisation circulaire de cette lumière. Lorsque ces diodes sont utilisées en l’état, cette polarisation de la lumière n’est pas contrôlée et s’effectue à 50 % à gauche et à 50 % à droite. Les scientifiques ont ajouté une couche ferromagnétique sur ces diodes puis ont injecté des électrons à travers elle. Résultat : lorsque le spin d’un électron est injecté en position « up » dans la couche de la diode, la lumière polarisée s’oriente à gauche et quand le spin est injecté en position « down », elle s’oriente à droite. De cette manière, il est possible de convertir un signal magnétique en un signal optique.

Une forte augmentation de la fréquence de l’encodage de l’information

Jusqu’à présent, pour moduler cet état de spin sur la polarisation de la lumière, la technique employée consistait à utiliser des champs magnétiques. Sauf qu’ils doivent être générés par des électro-aimants puissants, donc très volumineux, peu maniables, et la fréquence d’encodage reste relativement lente, de l’ordre du kHz (kilohertz) ou du MHz (Mégahertz). Dans ce travail de recherche, les scientifiques ont utilisé pour la première fois une impulsion électrique, sans champs magnétiques, pour moduler l’aimantation de l’injecteur, convertissant le spin de l’électron en un signal optique présentant une polarisation circulaire spécifique grâce à un effet quantique appelé un « couplage spin-orbite ». Grâce à cet effet, la fréquence de l’encodage pourra passer de 10 à 100 GHz (gigahertz) et le dispositif expérimental générant ces impulsions présentera une taille réduite qui rend sa mise en œuvre bien plus aisée.

« Le concept des spin-LED a été initialement proposé à la fin du siècle dernier, déclare Yuan Lu, chercheur CNRS à l’Institut Jean Lamour de l’université de Lorraine. Cependant, pour passer à une application pratique, il doit répondre à trois critères cruciaux : le fonctionnement à température ambiante, l’absence de champ magnétique et la capacité de contrôle électrique. Après plus de 15 ans de travaux dévoués dans ce domaine, notre équipe collaborative a réussi à surmonter tous les obstacles. Nous sommes très heureux de pousser cette technologie vers une autre application spintronique importante au-delà de l’effet de magnétorésistance ».

À l’avenir, grâce à sa mise en œuvre dans des diodes laser à semi-conducteurs, appelées spin-lasers, ce codage d’informations très efficace pourrait ouvrir la voie à une communication rapide sur des distances interplanétaires puisque la polarisation de la lumière peut être conservée lors de la propagation spatiale, ce qui en ferait potentiellement le moyen le plus rapide de communication entre la terre et mars. Ce nouveau codage pourrait aussi permettre le développement de plusieurs technologies avancées sur terre, comme la communication et le calcul quantique optique, l’informatique neuromorphique pour l’intelligence artificielle, les émetteurs optiques ultrarapides et à haut rendement pour les data-centers ou les applications Light-Fidelity (LiFi).

1 Ce travail de recherche a été réalisé en collaboration avec le Laboratoire Albert Fert (France), l’Université de Toulouse (France), l’Université Paris-Saclay (France), la Ruhr-Universität Bochum (Allemagne), l’Institut des semi-conducteurs et l’Institut de physique (Académie chinoise des sciences), National Institute of Advanced Industrial Science and Technology (Japon), University of Minnesota (États-Unis), National Renewable Energy Laboratory (États-Unis) et University at Buffalo (États-Unis).


Pour aller plus loin