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Espace : ce que la conquête de la Lune va apporter à la science

Posté le 8 juillet 2019
par Sophie Hoguin
dans Insolite

Avec l’avènement de la Lune comme nouvel eldorado spatial mondial, les scientifiques de tout poil se frottent les mains. Enfin des accès multiples, réguliers et divers à notre satellite. Notamment à sa face cachée.

Sur les douze hommes qui ont posé le pied sur la Lune, un seul était un scientifique : Harrison Schmitt, un géologue. Et encore, il a été repêché de justesse pour intégrer l’équipage d’Apollo 17 sur pression de la communauté scientifique. Mais son expérience et sa connaissance du sujet n’auront pas été vaines. Parmi les 110 kg de roche lunaire rapportée par cette mission, on trouve l’échantillon « Troctolite 76535 » qui a été surnommé « sans aucun doute l’échantillon le plus intéressant en provenance de la Lune », notamment car il constitue un indice fort que la Lune aurait possédé un champ magnétique actif. Alors, si les visées lunaires restent aujourd’hui à la fois géopolitiques et économiques, elles intègrent aussi cette fois pleinement les intérêts scientifiques. Et ils sont multiples et multiformes.

Une fenêtre sur le passé

On suppose aujourd’hui que la Lune est née de la collision entre la Terre et un objet de la taille de Mars. En apprendre plus sur la Lune, c’est en apprendre plus sur la Terre des origines. Notamment par l’étude de la face cachée où les cratères laissés par les impacts de météorites sont beaucoup mieux préservés et mettent à jour des roches du manteau lunaire, témoin de l’histoire de notre satellite. Par ailleurs, la face cachée de la Lune est particulièrement propice à l’écoute des ondes radio de l’Univers, à l’abri de la pollution radioélectrique de la Terre. Une place de choix pour installer des récepteurs à la recherche d’écho du Big Bang et de l’activité de l’univers. Certains cependant restent sceptiques sur l’intérêt d’étudier plus avant la Lune et pensent qu’on la connaît suffisamment grâce aux différentes sondes envoyées pour l’observer à l’aide de multiples appareils. Pour autant, les premiers résultats fournis par Chang’e-4, la mission chinoise qui s’est posée sur la face cachée en janvier 2019, ont révélé une composition minérale très différente de celle de la face visible avec la présence forte d’olivine et de pyroxène, vraisemblablement en provenance du manteau de la Lune – ce que n’avaient pu récolter les échantillons ramenés par les missions Apollo sur la face visible. Par ailleurs, des observations récentes montrent que la géologie et la dynamique géologique de la Lune pourrait réserver quelques surprises. Ainsi, on a découvert des traces d’activité sismique et tectonique en surface récentes (au sens géologique) dans des zones que l’on croyait inactives (bassins). On a ainsi noté l’apparition de crêtes datant de 1 milliard à 40 millions d’années alors que l’on pensait que dans ces zones, toute activité en surface avait cessé il y a plus d’1,2 milliard d’années.

L’Europe a préparé son approche

Du côté européen, l’agence spatiale européenne (ESA) a déjà formalisé les objectifs, les moyens et le planning pour la recherche scientifique liée à la Lune dans un document public de 45 pages publié en mai 2019. On y détaille les 7 grands priorités choisies pour les 10 prochaines années :

Le document explicite bien qu’il s’agit à la fois de sciences concernant la Lune elle-même (formation, histoire et évolution de la Lune), de sciences sur la Lune (expérimentations se basant sur les propriétés et l’environnement unique de la Lune faible gravité, fortes radiations etc.)  et de sciences depuis la Lune, notamment pour de l’astrophysique.

Sciences sans frontières

Désormais la science est au cœur des missions lunaires car les objectifs d’exploitation ou d’installation sur place nécessitent une connaissance fine du terrain pour choisir au mieux les cibles pertinentes ou les lieux réunissant les conditions idéales. Les pays engagés dans cette course à la Lune y mettent un enjeu médiatique et symbolique fort (USA, Chine, Inde par exemple) mais embarquent en parallèle de très nombreux outils de mesures. A titre d’exemple, la prochaine mission qui doit avoir lieu est la mission indienne Chandrayaan-2 qui doit être lancée le 15 juillet 2019. Elle est composée d’un orbiteur, d’un atterrisseur et d’un rover. L’orbiteur embarque cinq instruments visant à cartographier éléments chimiques, minéraux, eau sur différentes bandes spectrales et profondeurs ou encore à étudier finement l’exosphère de la Lune. L’atterrisseur sera notamment muni d’un sismomètre, d’un instrument pour mesurer les propriétés thermiques du sol et d’un instrument pour évaluer la densité du plasma ; le rover dispose de deux spectroscopes. A l’instar d’autres disciplines, la communauté scientifique des études spatiales s’affranchit largement des éventuelles compétitions entre les pays et partage ses résultats. Y compris aujourd’hui pour des pays jusqu’alors très fermés comme la Chine. Ainsi, les analyses de Yutu (le rover chinois) sur la face cachée de la Lune ont été largement diffusées et ont donné lieu à de premières publications. Un partage nécessaire car les résultats sont parfois le fruit d’analyses croisées entre plusieurs données issues de missions différentes ou d’instruments complémentaires mis en place par des pays concurrents. A titre d’exemple, cet article paru dans Nature en avril dernier et qui met en évidence des cycles de l’eau sur la Lune en fonction des épisodes de pluies de météorites, s’appuie sur les résultats des missions Apollo, des observations de la sonde Cassini, de Deep impact, de Lunar Prospector et de Chandrayaan-1.

Au niveau stratégique, des initiatives voient aussi le jour pour s’affranchir de concurrences contre-productives dans l’exploration spatiale et pour poser les bases d’objectifs, de moyens et de règles communes aux différentes parties. C’est par exemple l’objectif de l’ISECG (International space exploration coordination group) qui réunit 16 agences spatiales. La dernière réunion en mars 2019 a notamment porté sur les conditions d’installation de l’homme sur et autour de la Lune, soulignant la nécessité de définir une architecture coordonnée aux différents projets d’installation de stations scientifiques ou d’exploitation des ressources lunaires. Un état d’esprit proche du souhait de l’ESA de créer un « village lunaire » où les projets des différents pays et/ou acteurs privés pourraient être coordonnés, mutualisés et ainsi optimisés. Dans un esprit pacifique.


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