Interview

Fabrice Gaillard (CNRS) : « Le financement de la recherche en France s’assèche de manière dangereuse »

Posté le 8 mars 2021
par Philippe RICHARD
dans Énergie

Le directeur de recherche au CNRS à l'Institut des sciences de la terre d'Orléans (ISTO) s'est vu remettre le prix de l'innovation scientifique 2021 de l'Association Européenne de Géochimie. Cette médaille récompense ses travaux de géologie expérimentale débutés il y a plusieurs années.

Fabrice Gaillard est passionné par la Terre et, encore plus, par ce que s’y passe à l’intérieur puisqu’il est chef du groupe « MAGMA » à l’ISTO. Après un doctorat à l’université d’Orléans de 1997 à 2001, il a été chercheur postdoctoral au Bayerisches GeoInstitut. En 2015, il obtient le plus haut diplôme français, l’habilitation à diriger des recherches (HDR), et devient directeur de recherche au CNRS en 2018. De solides arguments pour obtenir des financements dans un contexte peu favorable à la recherche fondamentale.

Techniques de l’Ingénieur : pourquoi cette association européenne vous a-t-elle récompensé ?

Fabrice Gaillard : dédié à la géologie expérimentale, ce prix récompense des scientifiques qui, comme moi, développent des machines simulant ce qui se passe à l’intérieur de la terre. D’autres que moi auraient donc pu être récompensés. Je pense qu’il y a une note d’originalité dans mes travaux qui a séduit le jury. Mes travaux ont permis de faire des mesures assez originales par rapport à la communauté des sciences de la terre et qui permettent de connecter différentes disciplines, en l’occurrence la géochimie et la géophysique. Un des points forts en ma faveur a certainement été la diversité des sujets scientifiques que j’ai pu adresser tout en utilisant la simulation comme méthodologie principale.

Le processus magmatique est très complexe. Mais grâce à votre méthodologie, appelée « pétrologie électrique », vous avez réussi à déchiffrer à distance ces processus dans le manteau et la croûte ?

La pétrologie est la science des roches. Depuis une trentaine d’années, la pétrologie expérimentale consiste, en laboratoire, à identifier les schémas réactionnels qui permettent de synthétiser des roches. J’ai greffé dessus la pétrologie électrique, une méthode géophysique qui permet de déterminer les variations des résistivités électriques des roches en profondeur. Cela permet aux géophysiciens d’interpréter des régions à l’intérieur de la croûte terrestre qui sont d’énigmatiques conducteurs électriques. Nous pouvons interpréter de manière quantitative l’imagerie électrique dans les terrains volcaniques.

À quoi cela peut-il servir ?

Nous avons développé différentes applications qui intéressent des industriels et des scientifiques souhaitant traquer la présence de roches fondues en profondeur pour une meilleure compréhension du magmatisme et de la gestion des risques. Nous développons également des solutions pour repérer la présence de fluides aqueux et chauds reflétant la formation des gisements miniers et donc la géothermie. Après avoir constaté des anomalies de résistivités électriques, des industriels nous contactent pour tenter d’en savoir plus sur la taille de ce réservoir (sa température, la quantité de fluides, quelle est la vitesse de circulation…). Ce sont des questions qui ont des répercussions immédiates sur la pérennité d’un système géothermique.

Vous travaillez également sur les métaux rares, un sujet qui ne suscite pas beaucoup d’intérêt de la part des industriels français ?

En laboratoire, nous avons travaillé sur l’identification par expérimentation des processus magmatiques qui peuvent fabriquer des roches très riches en terres rares et les métaux rares en général (comme le lithium). Mais en France, on tourne le dos à tout ce qui est économie minière et il n’y a pas de stratégie pour devenir autonome dans ce domaine. Or, les besoins en ces métaux rares vont fortement augmenter dans les prochaines années. C’est une question de souveraineté. Nous avons lancé ce sujet avec le Service géologique national, le BRGM, mais pour l’instant nous n’avons pas d’échos de la part d’industriels français. Au niveau européen, ce sont les Suisses et les Britanniques qui sont très actifs dans ce domaine.

Ce prix est l’un des plus prestigieux du monde dans votre discipline. Il devrait vous permettre d’obtenir plus facilement des fonds pour vos recherches ?

Ce prix est une réelle bouffée d’oxygène, car le financement de la recherche en France s’assèche de manière dangereuse. Cela devient très compliqué d’être financé aujourd’hui. Le taux de succès de l’ANR (Agence nationale de la recherche) est de 17 % en 2020 (conformément aux engagements de la loi de programmation de la recherche, les taux de succès devraient atteindre 23 % dès 2021, NDLR). Cela signifie que 83 % des projets scientifiques ne sont pas financés.

Une médaille de l’innovation scientifique me permettra d’être légitime quand je demande à être financé en France, mais surtout au niveau européen. J’ai deux projets que j’aimerais faire financer, mais je devrais prochainement n’en retenir qu’un seul. Le premier projet de recherche fondamentale concerne toujours l’électrique, mais en allant plus franchement dans les systèmes hydrothermaux et potentiellement derrière, la géothermie. J’aimerais compléter l’approche expérimentale électrique par une approche expérimentale sismique. Cette méthodologie expérimentale permettrait de simuler la propagation des ondes sismiques à l’intérieur des roches soumises à des conditions de pression et de température à l’intérieur de la terre.

Le second projet est encore plus fondamental : comprendre quels ont été les processus magmatiques lors des premiers instants de la Terre qui ont conduit, ou pas, à la mise en place rapide d’un environnement habitable avec une atmosphère, des océans et une croûte continentale. Pourquoi, sur Vénus, cela n’a-t-il pas évolué de la même façon ? Là aussi, la méthode reposerait sur le développement de machines en laboratoire qui simuleraient les conditions extrêmes de la « jeune » terre.


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