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Interview

TreeFrog Therapeutics : une technologie de rupture au service de la médecine régénérative

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Chimie et Biotech

[Médailles de l’innovation CNRS] Créée en 2018, TreeFrog Therapeutics a pour objectif principal de produire des cellules souches en grande quantité, l’une des « matières premières » de la médecine régénérative. Pour l’atteindre, l’entreprise met en œuvre un système microfluidique permettant d’encapsuler des cellules dans de petites coques de gelée.

Cultivées en deux dimensions dans des boîtes de Petri, les cellules ont une réponse qui diffère de celle observée naturellement dans un organisme. En observant des « perles de saveur » – petites sphères de gelée enfermant des aliments, inventées par un chef espagnol –, le Dr Pierre Nassoy, directeur de recherche au CNRS, a eu l’idée de transposer l’innovation gastronomique pour la mettre au service de la culture cellulaire. Il est ainsi le co-inventeur de la technologie C-Stem, procédé de culture biomimétique permettant la production de masse de cellules souches, destinées à des thérapies pour des maladies telles que Parkinson. Co-fondateur et membre du conseil scientifique de TreeFrog Therapeutics, Pierre Nassoy revient pour nous sur la création de l’entreprise et nous détaille le fonctionnement de la technologie qu’elle met en œuvre ainsi que ses applications.

Techniques de l’Ingénieur : Quel a été votre parcours avant la création de TreeFrog Therapeutics ? Qu’est-ce qui vous a amené à co-fonder cette start-up ?

Pierre Nassoy, Directeur de recherche CNRS, co-fondateur et membre du conseil scientifique de TreeFrog Therapeutics, lauréat de la médaille de l’innovation du CNRS 2022. © Frédérique PLAS/CNRS Photothèque

Pierre Nassoy : Je me suis surtout intéressé, au départ, à la physico-chimie. C’est en effet dans ce domaine que j’ai fait mon doctorat. J’ai ensuite effectué un post-doctorat en biophysique. J’étudiais la rupture de liaisons moléculaires individuelles. Après, j’ai obtenu un poste au CNRS, à l’Institut Curie, à Paris, dans un laboratoire qui s’appelle « Physico-chimie Curie ». Ce labo avait une forte tendance à l’interdisciplinarité, et notamment une forte interaction avec les biologistes. J’ai ainsi commencé à travailler notamment sur les propriétés physiques des membranes de cellules : comment elles s’étalent, comment elles adhèrent… À ce moment-là, la plupart des travaux en biologie étaient faits dans des boîtes de Petri. Les cellules étaient donc déposées en monocouches, en deux dimensions, sur du plastique. Or, des travaux commençaient à émerger, montrant que le plastique, substrat très rigide, et le dépôt en deux dimensions entraînaient une réponse différente des cellules par rapport à leur situation naturelle, dans un organisme. Des tests de médicaments de chimiothérapie ont par exemple montré une absence quasi totale de corrélation entre l’efficacité des molécules sur des cellules en 2D, et celles testées sur des souris… De là a émergé une volonté de développer des systèmes non pas 2D, mais des reconstructions tridimensionnelles, de manière à mimer un peu mieux l’organisation des cellules dans les organismes. À ce moment-là, un peu par hasard, j’avais eu connaissance de l’existence des « perles de saveur », développées par le chef d’un restaurant à Barcelone, Ferran Adrià. Je me suis demandé si l’on ne pourrait pas remplacer la nourriture contenue dans ces petites billes de gelée par des cellules, et fabriquer ainsi de petites « boules » de cellules.

Ce dispositif microfluidique est à la base de la technologie permettant l’encapsulation de cellules souches, qui pourront ensuite être transformées en neurones pour soigner des maladies neurodégénératives telles que Parkinson. © Frédérique PLAS/CNRS Photothèque

L’objectif était alors de créer un modèle de microtumeur. Nous avons pour cela mis en œuvre des techniques de microfluidique, qui permettent de réaliser des coques creuses en mettant en contact deux fluides a priori miscibles, mais qui ne vont pas trop se mélanger étant donné la petite dimension à laquelle on travaille. Nous avons donc cherché à développer un système de coextrusion microfluidique, afin de parvenir à former une coque de gelée avec, à l’intérieur, des cellules libres et non pressées par la gelée. Si on les enferme comme une purée de framboise dans une gelée, les cellules vont en effet être directement au contact, et donc répondre différemment. Nous avons ainsi développé ce système de coextrusion, qui est au centre de l’innovation, puisqu’il nous permet de créer des micro-tissus en encapsulant des cellules. Ces micro-tissus peuvent être soit pathologiques, pour mimer les tumeurs, soit sains, pour un travail sur des cellules-souches…

TreeFrog Therapeutics a finalement été créée en 2018, avec l’objectif premier d’amplifier facilement des cellules souches, pour en produire en grandes quantités et fournir ainsi très facilement la source cellulaire utile à la médecine régénérative.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce système de coextrusion microfluidique ? De quels éléments est-il composé ? Comment fonctionne-t-il ?

Nous avons au départ fabriqué le système d’encapsulation en verre, puis en utilisant une imprimante 3D, par stéréolithographie. En fonction de la vitesse, on arrive à former des gouttes, un peu comme les perles de saveur que j’évoquais précédemment, d’une taille d’environ 3 millimètres. Or, dans le corps humain, aucune cellule n’est située à plus de 0,2 mm d’un vaisseau sanguin. Si on place une cellule au-delà de 200 micromètres d’une source d’oxygène, elle finit par mourir. Nous avons donc cherché à créer des objets plus petits, de façon à former des microtumeurs ou des micro-tissus. Pour y parvenir, nous avons exploité un phénomène connu de longue date, qui s’appelle l’instabilité de Plateau-Rayleigh, qui dit que si l’on forme un jet de liquide, comme lorsque l’on ouvre en grand un robinet, celui-ci n’est pas stable. Il se fragmente spontanément en petites gouttelettes. Nous envoyons donc les fluides très vite dans des capillaires, de manière à former un jet qui a la dimension du capillaire dont il est issu. Il va alors se fragmenter en gouttelettes qui ont elles aussi la dimension du capillaire. On forme ainsi 5 000 gouttelettes par seconde, soit 300 000 par minute. Chaque capsule mesure entre 200 et 300 micromètres et les cellules se trouvent dispersées à l’intérieur. Avec le temps, les cellules vont se regrouper, former un agrégat que l’on appelle un sphéroïde, ou un organoïde. Au bout de plusieurs jours, après divisions, les cellules vont finir par remplir entièrement la capsule.

Nous avons aussi essayé d’encapsuler une seule cellule. Il y a en effet un gros intérêt à cela : en cancérologie, cela permet de former des tumeurs monoclonales. Si on a une mutation sur une cellule, on veut en effet pouvoir la détecter, l’analyser précisément. Le problème est que les cellules aiment être à plusieurs. Beaucoup de cellules, notamment les cellules souches, ont absolument besoin d’avoir des voisines. Si on les laisse seules, elles meurent. Ça n’est donc pas possible pour tout.

Quelles sont les applications possibles de cette technique d’encapsulation ?

La première application a été celle de la cancérologie, avec la formation de modèles de microtumeurs. Très rapidement, nous nous sommes dit que nous pouvions aussi former des micro-tissus sains pour la médecine régénérative. On peut par exemple former des sortes de « micro-foies » simplifiés, à partir d’hépatocytes. À chaque fois que nous présentions cela lors de conférences, nous recevions des suggestions d’autres types cellulaires : de l’os, des neurones… Nous nous sommes donc dit, finalement, que le mieux serait de partir des cellules qui sont à l’origine de toutes les cellules de l’organisme, c’est-à-dire les cellules souches. Après les avoir encapsulées, amplifiées et donc en ayant formé des agrégats multicellulaires de cellules souches, il est en effet possible de les différencier en cellules de foie, de neurone, de muscle…

En 2006, un chercheur japonais, Shinya Yamanaka, a découvert ce que l’on appelle les cellules souches induites à la pluripotence [ou IPS, pour induced Pluripotent Stem cells, NDR]. Il a trouvé un cocktail de molécules permettant de faire une reprogrammation, de faire « remonter le temps » à des cellules, de peau par exemple, pour les transformer en cellules souches. Elles ont quasiment les mêmes propriétés que les cellules souches embryonnaires. Le CSO¹ de TreeFrog Therapeutics, Maxime Feyeux, a justement fait sa thèse sur ces cellules souches induites à la pluripotence.

Lorsque l’on met ces cellules souches dans des capsules, elles « poussent » de manière particulière : pas sous la forme d’agrégats, mais sous forme de « ballons », ce que l’on appelle des cystes. Une fois qu’elles ont poussé, nous appliquons in capsulo les protocoles de différentiation chimique.

Si je prends l’exemple des neurones, on peut, grâce à notre technique, obtenir au bout de 24 jours des boules composées uniquement de cellules neuronales – environ un millier – qui expriment de la dopamine. Une des activités de l’entreprise s’est donc développée autour de ces « braincaps », avec un premier essai clinique en ligne de mire pour 2024 dans la maladie de Parkinson.

Pierre Nassoy au côté de l’un de ses collaborateurs du Laboratoire photonique numérique & nanosciences à Talence. © Frédérique PLAS/CNRS Photothèque

Outre cette maladie, nous travaillons dans le domaine des maladies cardiaques et métaboliques. Et nous venons aussi de signer un contrat avec la biotech américaine Umoja, dans le domaine de l’immuno-oncologie.

Au fait, pourquoi ce nom de « TreeFrog » Therapeutics ?

C’est loin d’être anecdotique, en effet ! « Tree », l’arbre, représente l’arbre de la pluripotence. Une représentation sur laquelle on trouve les cellules souches embryonnaires, au niveau des racines, qui deviennent ensuite, au fil de la montée vers la cime, pluripotentes, totipotentes, multipotentes… Ensuite elles se différencient et donnent des cellules de types précis, réparties sur les branches de ce fameux « arbre ».

Et « Frog », enfin, est là pour souligner le côté « français » ! (Rires) La grenouille est ainsi devenue en quelque sorte un symbole de la start-up ; nous l’avons d’ailleurs installée comme fresque dans nos locaux…


¹ Chief Strategy Officer

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Posté le par Benoît CRÉPIN


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