Interview

Jimmy va industrialiser ses chaudières nucléaires dès 2026

Posté le 11 décembre 2023
par Pierre Thouverez
dans Énergie

La start-up Jimmy conçoit et opère des générateurs thermiques basés sur la fission nucléaire pour fournir aux industriels une chaleur décarbonée.

Pour générer cette chaleur, la start-up a conçu un micro-réacteur de type HTR (réacteur à haute température), qui utilise l’uranium comme combustible, le graphite en tant que modérateur de fission et où le fluide caloporteur est l’hélium.

Dès 2026, Jimmy veut industrialiser son premier générateur et équiper son premier client, un industriel de l’agroalimentaire, en chaleur industrielle bas carbone. Une aubaine pour de nombreux secteurs industriels désireux de produire la chaleur nécessaire à leurs process en limitant leur impact carbone. La solution développée par Jimmy pourrait leur permettre de se passer des actuelles chaudières à gaz ou au fioul.

Antoine Guyot, co-fondateur de Jimmy, a répondu aux questions des Techniques de l’Ingénieur.

Techniques de l’Ingéineur : Quel cheminement vous a conduit à co-créer Jimmy en 2020 ?

Antoine Guyot : Après avoir été diplômé d’une école d’ingénieurs en 2018, j’ai travaillé dans le domaine du conseil en stratégie. Domaine que j’ai quitté car je ressentais l’envie de créer quelque chose. La problématique climatique s’est rapidement imposée à moi, et le constat qui va avec : aujourd’hui, le devenir écologique va à l’encontre des marges. En poussant cette réflexion, l’idée de développer une énergie peu chère et décarbonée s’est vite imposée comme étant le moyen le plus efficace de limiter les émissions de CO2 dans l’atmosphère. En ce sens, la fission nucléaire présente un intérêt particulier, puisqu’elle produit une très grande quantité de chaleur, avec un coût du combustible très faible. Il faut donc être en capacité de mettre en œuvre des réacteurs nucléaires à bas prix, pour que les industriels n’aient plus à choisir entre économie et écologie. C’est l’objet même de la genèse de Jimmy.

Les chaudières nucléaires développées par Jimmy ciblent spécifiquement les industriels. Pour quelles raisons ?

Fournir une grande quantité de chaleur grâce au nucléaire permet de résoudre plusieurs contraintes rencontrées par certains secteurs industriels. En effet, ces derniers consomment de la chaleur en grande quantité, leurs besoins sont prévisibles et ils ne sont pas mobiles.

Aussi, ils sont prêts à assumer des risques, puisqu’ils en gèrent au quotidien sur les sites industriels. Ainsi, les besoins des industriels correspondent pleinement aux atouts d’une chaudière nucléaire.

Après avoir identifié les clients potentiels, l’enjeu a consisté à être en mesure de réaliser l’outil en tant que tel, et notamment la réaction nucléaire. Nous avons étudié les différentes filières de réacteurs existantes, et nous nous sommes arrêtés sur le HTR, dont la chaîne industrielle est mature. La maturité de la chaîne industrielle est un facteur clé pour espérer développer un outil sûr et performant. Aussi, le HTR est un réacteur qui a des propriétés de sûreté intrinsèques, ce qui est intéressant pour en faire usage dans différents contextes industriels. 

Enfin, les réacteurs HTR fournissent de la chaleur à plus haute température, ce qui permet d’aller conquérir de nombreux marchés. 

En quoi le fait de recourir à des technologies déjà mâtures était important pour développer Jimmy ?

Cette approche constitue l’ADN de Jimmy. Une fois le choix du réacteur HTR arrêté, notre démarche, qui caractérise notre vision du projet, a été de reprendre toutes les briques technologiques existantes pour créer un réacteur low tech. Nous ne voulions pas entrer dans un travail de requalification des technologies que nous aurions développées à partir de ce qui existe. L’idée est d’utiliser des techniques déjà éprouvées, pour être en mesure de fournir une offre énergétique sure, économique et écologique. 

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Nous sommes actuellement en phase de conception et nous préparons aujourd’hui la demande d’autorisation de création. Notre design est conçu pour optimiser l’industrialisation du générateur et de son réacteur, avec l’objectif de proposer un modèle le plus évolutif possible.

Quelles sont les contraintes auxquelles vous faites face ?

La première contrainte est de développer un outil sûr. La deuxième est que cet outil sûr soit rentable. 

Le travail scientifique est mature dans notre projet, puisque les combustibles et les matériaux utilisés sont déjà qualifiés. Les enjeux se situent surtout sur notre capacité à simplifier suffisamment nos réacteurs et à les industrialiser. Ainsi, toutes les pièces constituant l’intérieur de notre réacteur seront fabriquées en série.

Et la contrainte de sûreté ?

En termes de sûreté, notre interlocuteur est l’ASN, avec qui nous échangeons très régulièrement. L’évaluation de la sûreté de nos réacteurs est pour l’ASN une mission qui diffère un peu de ses prérogatives habituelles. De notre côté, nous sommes un acteur privé, nouveau dans le monde du nucléaire et nous devons faire nos preuves. Il y a donc des deux côtés – Jimmy et l’ASN – un travail à faire pour évaluer de manière pertinente et efficace la sûreté de notre outil.

Plus largement, l’ASN a initié une démarche d’actualisation de ses procédures pour répondre au mieux aux nouveaux enjeux et spécificités que recouvrent les SMR. Les tailles, formes et puissances de ces nouveaux réacteurs sont en effet très différentes (et moindres) de celles des réacteurs opérationnels traditionnels

Quand est prévue la phase d’industrialisation à proprement parler ?

Le démarrage du chantier est prévu pour début 2026 et doit prendre fin la même année, c’est l’objectif. Pour être en mesure de réaliser cela, la structure du bâtiment est conçue de façon à pouvoir assembler rapidement les réacteurs puis les générateurs. 

De même, nous voulons mener le plus grand nombre de tests possibles au sein de nos installations, afin de limiter au minimum les tests à effectuer sur le site du client. 

Avez-vous des concurrents sur la technologie des chaudières nucléaires ?

En réalité, nos principaux concurrents, à l’heure actuelle, sont le gaz et la biomasse. Au niveau technologique, des projets similaires sont en développement aux Etats-Unis, sur des niveaux de chaleur moins élevés. Nous n’avons pas de concurrents au niveau européen sur les micro-réacteurs HTR. Des projets sont en cours sur des réacteurs à sels fondus, mais nous sommes là sur du long terme, puisqu’il faut tout réinventer technologiquement.

Enfin, prévoyez-vous de recruter d’ici à 2026 et le passage à l’industrialisation du projet ?

Nous sommes actuellement 60 salariés. Nous prévoyons de doubler ce chiffre d’ici 2026, pour atteindre les objectifs et passer concrètement à une phase d’exploitation où l’entreprise devient de plus en plus industrielle. Cela passe par la construction d’une plateforme industrielle, c’est l’ambition qui nous anime actuellement.

Propos recueillis par Pierre Thouverez

 


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