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Interview

« France 2030 est un signal fort pour le projet de SMR français NUWARD »

Posté le par Pierre Thouverez dans Entreprises et marchés

La société TechnicAtome est à l’origine de la conception et la réalisation du premier réacteur à eau pressurisé français pour la propulsion navale, au tout début des années 70. Aujourd’hui, c’est son coeur de métier, et la société assure toujours la conception, la réalisation et le maintien en conditions opérationnelles des chaufferies nucléaires des bâtiments de la Marine Nationale à propulsion nucléaire, porte-avions et sous-marins.

A côté de ce pilier, l’entreprise mène des activités connexes, notamment dans le domaine des petits réacteurs nucléaires électrogènes. En effet, TechnicAtome joue un rôle central dans le projet de SMR (small modular reactor, en français petit réacteur modulaire) NUWARDTM,  qui fait l’objet d’un développement conjoint entre EDF, le CEA,  Naval Group, Framatome et TechnicAtome, la société ayant la responsabilité de la conception du réacteur lui-même.

Le plan de relance France 2030 prévoit un investissement d’un milliard d’euros consacré au développement des SMR. Plusieurs acteurs de cette filière vont ainsi bénéficier d’un appui financier important pour les accompagner dans leur projet durant les prochaines années.

Thierry Grenier, directeur des infrastructures et réacteurs civils chez TechnicAtome, a expliqué à Techniques de l’Ingénieur comment le développement de petits réacteurs modulaires pouvait répondre à des enjeux de marchés, et comment le plan France 2030 vient impacter la stratégie de développement de NUWARD.

Techniques de l’Ingénieur : En quoi consiste le projet NUWARD, développé par plusieurs acteurs majeurs de la filière nucléaire française ?

Thierry Grenier : Le projet NUWARD est un projet de petite centrale nucléaire modulaire qui regroupe les principaux acteurs de la filière nucléaire française. EDF est le leader du projet, en partenariat avec le CEA, Naval Group, Framatome et TechnicAtome.

Nous sommes aujourd’hui encore sur la phase avant-projet sommaire, dans un contexte français voué à s’élargir à des acteurs européens dans les phases qui vont suivre.
L’idée de travailler sur des centrales de petite puissance n’est pas nouvelle. Cela fait près de 50 ans que TechnicAtome développe des réacteurs compacts, notamment pour la propulsion navale. Historiquement nous n’étions pas les seuls à travailler sur ces petits réacteurs, mais nous sommes les seuls à avoir continué à développer notre savoir-faire sur le long terme, sur des technologies qui sont différentes de celles utilisées dans les réacteurs de grande taille installés aujourd’hui. Actuellement, environ 70 projets de SMR sont en développement dans de nombreux pays.

Pour quels marchés sont développés ces petits réacteurs ?

Dans un premier temps, l’usage envisagé était d’apporter l’électricité vers des zones géographiques isolées, un marché nécessairement limité. Plus récemment, EDF a fait émerger l’idée de produire des petits réacteurs pour remplacer les centrales à charbon, qui vont fermer les unes après les autres dans les prochaines décennies pour répondre aux objectifs de réduction des émissions de carbone. Cela change la donne, puisque c’est un marché beaucoup plus important, qui permet d’envisager un effet de série beaucoup plus intéressant pour réduire le coût d’une centrale, avantage très important au niveau concurrentiel.

De plus, il y a des zones où le réseau électrique ne permet pas l’implantation de grosses centrales. Ce n’est pas forcément le cas en France, mais la problématique se présente dans certains pays, là où ça coûte énormément d’argent et nécessite un temps considérable pour modifier le réseau. Ainsi, la possibilité d’installer, en lieu et place d’une centrale à charbon un SMR raccordable au réseau existant, présente beaucoup d’avantages, dont celui de la simplicité. C’est donc ce marché qui est visé en priorité.

Nous sommes partis sur le développement de réacteurs d’une capacité de production de 170 MW, c’est la limite technologique que nous nous sommes fixée. En en couplant deux, on arrive à 340 MW, ce qui correspond à la cible commerciale fixée par EDF. Notre volonté est de réaliser la commercialisation de ces petits réacteurs au début de la décennie 2030.

Quel est le paysage concurrentiel au niveau international sur les SMR ?

L’AIEA [Agence internationale de l’énergie atomique, NDLR] a dénombré environ 70 projets, au niveau international, de développement de ces petits réacteurs. Il y a donc une grande diversité de modèles et de technologies étudiés à l’heure actuelle : des réacteurs de très petite taille, des réacteurs à eau pressurisée comme le nôtre, des réacteurs à eau bouillante, au sodium, à sels fondus, à gaz… Au final, toutes les technologies nucléaires de 3ème et 4ème génération font l’objet de projets, en attendant de voir quelle va être la nature exacte des besoins.

Prenons l’exemple de ce qui se passe au Canada, qui est un pays très moteur en ce moment sur la volonté d’implantation de différents types de SMR. Les canadiens sont à la recherche de SMR pouvant fournir de 15 à 500 MW, pour des usages variés : extraction de schistes bitumineux, production de vapeur à haute température pour l’industrie lourde, fourniture d’énergie dans les zones reculées, elles sont nombreuses au Canada… Il s’agit là d’un bon exemple des potentialités multiples des SMR. Le besoin du client va donc avoir une influence cruciale sur le type de SMR adapté au besoin exprimé.

Qu’est-ce qui va faire la différence en termes de débouchés, parmi tous les produits SMR développés ?

Il y a tout d’abord un effet de timing, qui va étaler dans le temps la mise en place des différentes technologies de SMR. Les produits développés à partir des réacteurs de génération 3 et 3+ vont être prêts à l’horizon 2030, car ce sont des technologies qui sont déjà maîtrisées à l’heure actuelle.

Ensuite, il y a le choix du réacteur. Aujourd’hui les réacteurs les plus performants sont les réacteurs à eau pressurisée, c’est la technologie que nous avons choisie. Pour autant, certains concurrents choisissent de développer des réacteurs à eau bouillante, chaque acteur fait donc ses choix en fonction de différents paramètres et de son expérience. Forcément, au final, certains acteurs vont disparaître, car leurs projets auront échoué, le produit ne trouvera pas son marché, la technique développée ne sera pas la bonne… Au final, des appels d’offres vont sortir, et ce sont les technologies les plus adaptées et les plus avancées qui rafleront la mise à ce moment-là.

Ce qui est certain, c’est que la concurrence va être très importante sur le marché des SMR.

Pour revenir au contexte français, notre passé industriel sur le nucléaire et l’expérience de notre filière constituent un avantage certain sur certaines phases de développement des SMR.

Dans quelle mesure le plan France 2030 impacte-t-il la stratégie de développement de NUWARD ?

Ce qui ressort de ce plan France 2030, en ce qui concerne le sujet des SMR, c’est que l’Etat veut soutenir la filière. C’est un signal très important pour nous. Ce soutien, l’Etat l’avait déjà acté à travers le financement à hauteur de 50 millions d’euros de l’avant-projet sommaire, qui est pourtant une phase très en amont du projet. France 2030 vient confirmer l’intérêt de l’Etat, de façon massive puisque c’est un milliard d’euros qui devrait être injecté pour soutenir les acteurs de la filière SMR, dont, nous l’espérons, une partie pour le projet Nuward.

De notre côté, nous nous projetons sur la réalisation d’un premier de série. C’est une phase cruciale du projet, à travers laquelle nous devons faire la démonstration de notre technologie et des performances de notre centrale auprès des clients potentiels. La question de l’endroit où sera implanté ce premier de série est donc très importante.

Bien évidemment, il y aurait beaucoup d’avantages à installer ce premier de série sur le sol français pour tout un tissu d’entreprises plus petites, pour lesquelles ce type de projet est une opportunité unique en termes d’activité et d’emplois. Cependant, si un pays étranger finance la construction sur son sol d’un NUWARD, cela représente également une opportunité intéressante. Aujourd’hui, cette question n’est pas actée.

Propos recueillis par Pierre Thouverez.

Image de une : Le développement du SMR se fait en partie grâce à la réalité virtuelle ©YohanBrandt-TechnicAtome ©EDF2021

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