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L’avion de combat européen survole un ciel brumeux

Posté le 8 août 2025
par Aliye Karasu
dans Entreprises et marchés

En annonçant vouloir une part très majoritaire dans le projet d'avion de combat européen, la France fait-elle vaciller le fragile équilibre établi avec ses partenaires européens ? La construction d'une défense commune sur le continent est-elle compromise par des intérêts nationaux divergents ?

Le 7 juillet dernier, une information n’est pas passée inaperçue : Éric Trappier, le patron du groupe Dassault Aviation aurait fait part de son souhait d’obtenir une participation à hauteur de 80% dans le projet SCAF[1]. Cette information émane d’une source militaire citée par Reuters et confirmée par la publication allemande Hartpunkt. Ravivant les tensions latentes avec le partenaire allemand, cette déstabilisation de la répartition des rôles pourrait ralentir l’avancée du projet.

L’affirmation d’une politique européenne de défense

Dans le paysage européen, en matière d’équipement militaire d’aviation, il n’existe pas de politique commune. Plusieurs modèles se font face : le Rafale, l’Eurofighter (développé en coopération par l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Italie) et le Gripen suédois.

Lancé en juillet 2017, le projet SCAF a l’ambition de construire un projet commun européen réunissant la France, l’Allemagne (les initiateurs du projet), l’Espagne (arrivée en 2019) et la Belgique (membre observateur depuis 2024). L’avion de combat de nouvelle génération succédera donc au Rafale français et à l’Eurofighter à l’horizon 2040. Dassault Aviation a pris les commandes côté français tandis qu’Airbus représente les autres partenaires via ses filiales allemandes et espagnoles. En 2020, le duo a été rejoint par Indra, l’entreprise espagnole de technologie et de défense.

Une mise en œuvre difficile

Le projet SCAF associe un avion de sixième génération, des drones de différentes tailles et un cloud de combat reliant les différents systèmes. Pour sa mise en œuvre, cette architecture est fragmentée en piliers que se répartissent les membres de la coopération. À cette répartition des tâches, s’ajoute la difficulté d’un programme segmenté en « phases » ; le projet SCAF étant, depuis décembre 2022, entré en phase 1B qui vise à préparer le démonstrateur.

Un projet à plus de 100 milliards d’euros qui semble complexe à coordonner. Ce facteur est à prendre en compte pour comprendre les critiques formulées par le patron de Dassault quelques mois plus tôt. Afin de respecter les échéances après les retards enregistrés, celui-ci prône un projet « piloté par un maître d’œuvre global, […] plutôt que l’on fasse ce découpage permanent ».

Le dirigeant déplore aussi la mise en retrait du groupe au profit d’Airbus pour le pilier relatif aux drones.

Autre sujet : la protection des droits de propriété intellectuelle des industries nationales. Le groupe Dassault Aviation souhaite garder son avance technologique et son savoir-faire français pour éviter toutes concurrences futures.

Le Rafale étant un pilier de la souveraineté militaire française, l’État doit également veiller à pouvoir assurer son carnet de commandes à l’international sans subir de pressions politiques de la part de ses partenaires.

Une compétition internationale

Ces tensions alimentent de nouvelles spéculations sur une possible fusion avec le GCAP[2], le projet rival mené par le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon. En effet, les groupes BAE Systems[3], Leonardo[4] et Mitsubishi Heavy Industries[5] ont créé une coentreprise en décembre 2024 pour remplacer les F-2 japonais et l’Eurofighter Typhoon.

Outre-Atlantique, l’américain Lockheed Martin équipe stratégiquement plusieurs pays du continent avec le F-35 en devançant la mise en service de l’avion européen. C’est le cas de la Belgique qui a confirmé l’achat de 11 avions de combat F-35 ; une décision incompatible avec sa participation au projet selon le PDG de Dassault.

Derrière l’unité affichée, l’entente entre les partenaires commence à s’étioler. Dans les années 80, la France, la RFA et le Royaume-Uni avaient uni leur force pour concevoir un avion de combat autour d’un projet commun. Une tentative vaine qui avait finalement poussé la France à faire cavalier seul pour lancer le Rafale…


[1] Système de combat aérien du futur 

[2] Global Combat Air Programme

[3] Géant britannique de la défense et de l’aérospatiale

[4] Groupe italien d’aéronautique et de défense

[5] Société phare de l’industrie aéronautique nipponne


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