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Le salon du Bourget, entre souveraineté industrielle et tensions géopolitiques

Posté le 16 juin 2025
par Pierre Thouverez
dans Entreprises et marchés

Ce lundi 16 juin 2025, le Salon international de l’aéronautique et de l’espace, plus communément appelé Salon du Bourget, ouvre ses portes dans un contexte particulièrement tendu.

Alors que Boeing est encore affecté par le crash du Dreamliner Air India 171 survenu le 12 juin dernier et que la guerre en Ukraine entame sa seconde année, l’édition 2025 du plus grand salon aéronautique mondial se tient également sous la menace d’un conflit au Moyen‑Orient opposant Israël et l’Iran, ainsi que sous l’épée de Damoclès des surtaxes américaines évoquées par l’administration Trump. C’est dans cette atmosphère très tendue que le monde de l’aéronautique se réunit. Quelle place restera-t-il pour évoquer les sujets de la décarbonation de l’aérien, de la souveraineté industrielle, du réarmement voulue par l’Europe ? 

Le crash de l’appareil indien, qui a causé plus de 240 victimes, a jeté une ombre immédiate sur le salon : Boeing a dans la foulée annulé la venue de son PDG et le conglomérat GE a reporté ses activités au Bourget, afin de participer aux investigations en cours. En parallèle, l’escalade des agressions entre Israël et l’Iran affecte les itinéraires aériens au Moyen‑Orient, poussant les compagnies à redéfinir leurs routages et renforçant le climat d’incertitude. Quatre stands israéliens ont même été fermés par les organisateurs, provoquant une vive réaction des autorités israéliennes. Le salon du Bourget, traditionnel lieu de démonstrations spectaculaires, devient de fait une tribune pour déployer des messages industriels et étatiques, ce qui est aux antipodes de la volonté des organisateurs.

Dans ce cadre, le volet industriel est plus crucial que jamais. En effet, la reprise post‑Covid atteint son point culminant : Airbus, qui annonce environ 8 700 appareils en carnet de commandes, et Boeing, qui prévoit d’accélérer ses cadences sur les 737 MAX et 787 malgré les remous actuels, cherchent à rassurer leurs clients et les marchés. Toutefois, ces ambitions se heurtent aux problèmes persistants de chaîne d’approvisionnement, fragilisés par la pénurie de composants électroniques, de matériaux composites, les retards de livraisons, et la fragilité des fournisseurs tiers.

Innovation et souveraineté

Le salon, qui réunit cette année plus de 2 400 exposants venus de 48 pays, avec près de 150 aéronefs exposés et 210 démonstrations en vol, devient également le cœur d’une démonstration de souveraineté technologique. et des ambitions de décarbonation du secteur. En témoigne l’annonce par Safran et Saft d’un partenariat stratégique pour développer des batteries aéronautiques, répondant à l’enjeu de réduction des émissions de CO₂ et d’indépendance énergétique européenne. 

Thales, Dassault, MBDA, ou encore des start-ups comme Turgis & Gaillard, vont présenteer drones autonomes, des systèmes d’intelligence artificielle embarqués, de cybersécurité aérospatiale, ou encore de satellites à usage dual et de radars anti-drones. Dans cette version marquée par des enjeux militaires croissants, l’industrie européenne veut démontrer qu’elle est capable de rivaliser avec les acteurs américains ou russes.

L’aspect économique n’est pas en reste. Le salon va attirer plus de 300 000 visiteurs cette année, dont 130 000 professionnels. Des recruteurs venus de toute l’industrie doivent répondre à une urgence en termes d’emplois : selon le GIFAS, 25 000 recrutements sont prévus en 2025, après les 29 000 embauches déjà réalisées en 2024. Un tiers des profils sont des jeunes diplômés, et la féminisation de la filière progresse. Le secteur veut désormais attirer des compétences dans le numérique, la robotique, l’IA et la gestion de projet, pour mieux faire face aux défis de productivité et d’innovation.

Mais les incertitudes persistent. Les menaces de droits de douane américains – entre 10 % et 20 % sur les appareils européens – risquent de perturber les équilibres commerciaux. Airbus, qui plaide pour le respect des accords de libre-échange aéronautique signés en 1979, multiplie les échanges diplomatiques avec Bruxelles et Washington. Dans l’ombre de ces tensions commerciales, de nombreuses PME renforcent leur présence en Europe ou aux États-Unis, comme l’illustre le rachat par Sphèrea d’une société américaine issue du groupe Konrad.

L’articulation entre défis industriels, économiques et géopolitiques se matérialise aussi dans les innovations présentées. Aura Aero, PME toulousaine spécialisée dans l’aviation régionale bas carbone, a prévu une démonstration de son avion hybride-électrique ERA, soutenu par Airbus, Safran et Thales. Ce projet incarne la volonté européenne de souveraineté technologique, dans un monde où la maîtrise des chaînes de valeur devient stratégique.  

Dans le même temps, Boeing risque fort de rester en retrait, marqué par l’impact émotionnel du crash en Inde et focalisé sur les actions correctives et la sécurisation de ses modèles.

Ainsi,l’édition 2025 du Bourget 2025 qui s’ouvre pourrait s’avérer inédite. Face à un enchevêtrement de crises, l’Europe veut renforcer sa place industrielle, sécuriser ses chaînes d’approvisionnement et préparer l’aviation de demain, propre, sûre et plus autonome. Si les acrobaties aériennes émerveillent encore les foules, ce sont les alliances industrielles, les engagements climatiques et les arbitrages diplomatiques qui donneront à cette édition son importance historique.


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