Interview

Quels sont les risques des incendies dans la zone d’exclusion de Tchernobyl ?

Posté le 21 avril 2020
par Joël Spaes
dans Énergie

Des incendies ravagent depuis plusieurs semaines la zone d’exclusion (zone excluant l’entrée à tout public non autorisé) de Tchernobyl, la centrale accidentée en 1986, en Ukraine. François Besnus et Igor le Bars, respectivement directeur de l’environnement à l’IRSN et adjoint au directeur expertise de sûreté à l’IRSN, nous expliquent la situation et les risques associés à ces incendies étalés sur plusieurs kilomètres.

François Besnus est directeur de l’environnement à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), le bras technique de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) française. Igor le Bars est adjoint au directeur expertise de sûreté à l’IRSN. L’Institut est notamment chargé du suivi de la radioactivité dans l’environnement, et donc du réseau de balises Teleray afin d’assurer cette tâche en France. Un suivi assuré également en partenariat au niveau européen. Dès que des traces anormales de radioactivité sont détectées dans l’air quelque part en Europe, un réseau informel d’experts, appartenant à des organismes publics tels que l’IRSN, se mobilise pour en localiser l’origine et évaluer les risques pour la population. C’est dans ce cadre qu’intervient l’IRSN à l’aune des gigantesques incendies qui ravagent la zone d’exclusion de la centrale accidentée de Tchernobyl, en Ukraine.

Techniques de l’ingénieur : Quelle est la situation globale sur le site ? Et qu’est-ce qui pose problème ?

François Besnus : Après une pause dans les incendies, depuis la dernière note de l’IRSN du 15 avril, les feux ont repris, avec un très gros foyer d’incendies situé à environ 70 km à l’Ouest de la centrale de Tchernobyl, s’étalant sur 25 km vers l’Ouest. Cela représente une superficie totale d’environ 220 km² (22 000 ha). Par ailleurs, un autre foyer important d’incendies a été réactivé à environ 30 km à l’Ouest de la centrale de Tchernobyl en limite de la zone d’exclusion. Enfin, deux foyers mineurs sont notés dans la zone d’exclusion à environ 2 km de la centrale.

Deux questions se posent. D’abord, un risque de remobilisation de la radioactivité présente sur le site de la zone d’exclusion, par rapport à l’environnement qui a été brûlé. La problématique à prendre en compte est : quelle est la quantité de radiation ? Et y-a-t-il un nuage radioactif secondaire (à cause des fumées des incendies) ? Ainsi que les impacts associés à ces dégagements.

La deuxième question soulevée est plus particulière au site contaminé : quelles inquiétudes sur les effets des feux sur place ? Il existe en effet de nombreux dépôts sur le site et hors site de la centrale. Certains de ces dépôts sont dans la zone des foyers, qui sont très très importants.

Quels sont les risques à la fois sur le site et à l’extérieur ?

FB : Les incendies étant très importants, si les installations sont dans des flammes d’une telle intensité, il y a des risques de dispersion de la radioactivité. En général, on applique les règles de base de la sûreté : dégager les alentours en déboisant afin de disposer d’une zone où il ne peut pas y avoir d’incendie.

C’est le cas notamment autour de la centrale accidentée. Il y a au moins un kilomètre déboisé autour de ce bâtiment. Même quand les feux peuvent « transporter » des particules incandescentes, ce phénomène est limité à quelques centaines de mètres.

C’est la même chose pour les bâtiments qui sont proches de l’installation, donc qui ne sont pas dans une zone forestière, comme la piscine d’entreposage des combustibles. Il existe en outre une casemate bétonnée, qui accueille des déchets de nettoyage lors et après l’accident. Il s’agit donc de déchets qui peuvent être de haute activité. Néanmoins, le béton doit suffire à les protéger des feux. En outre, ces installations ne sont pas loin de la centrale accidentée, donc a priori pas dans une zone forestière (même si les arbres ont repoussé dans certains endroits qui avaient été déboisés après la catastrophe de 1986).

Par ailleurs, il existe un site de stockage en tranchées, Buriakovka. Ce site contient essentiellement des déchets de faible et moyenne activité. Il s’agit certes de déchets mis en tranchées, mais celles-ci sont recouvertes par une couche d’argile conséquente, empêchant une migration.

Enfin, le risque le plus certain est celui de neuf sites de stockage en tranchées, mais des sites recouverts de sable uniquement et peu profonds, qui peuvent être dans des zones de feux. Ces tranchées ouvertes pour des besoins immédiats post-accident contiennent à la fois des équipements, des véhicules et tout un tas de matériel contaminé. Mais sur ces sites, la forêt a repoussé. Il y a certes une surveillance de ces zones (car s’il y a neuf sites, il faut s’imaginer que cela consiste en de multiples tranchées à chaque fois), mais celle-ci ne semble pas très « robuste ». Il est aujourd’hui pour nous difficile d’exclure que ces entreposages n’ont pas été atteint.

Igor Le Bars : S’il est certain que la piscine centralisée qui accueille les combustibles des réacteurs 1 à 3 de Tchernobyl, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas été accidentés, est dans une zone de déforestation, la problématique ne peut pas survenir avec les flammes. En revanche, ce qui est à suivre, c’est la perte d’alimentation électrique. Mais cette piscine a soutenu les scénarios des stress-tests lancés par l’Union européenne après Fukushima. Il existe des diesels de secours, dont selon les normes les combustibles doivent être protégés. Les combustibles entreposés devraient être transférés à partir de cette année dans une nouvelle installation de stockage à sec.

En cas de perte d’alimentation électrique, l’analyse issue des stress-tests a montré qu’en l’absence de refroidissement de la piscine, la température de l’eau pourrait monter jusqu’à 60°C, ce qui n’est pas susceptible de remettre en cause la sûreté de l’installation.

L’alimentation électrique pourrait constituer aussi un enjeu en cas de perte de lignes qui, elles, traversent la forêt. C’est un scénario considéré, d’où les diesels de secours. Par ailleurs, sur la centrale accidentée elle-même, encapsulée dans un sarcophage, la protection est conçue pour pouvoir fonctionner en « statique » c’est-à-dire sans ventilation assistée. De même, pour les casemates de béton accueillant les déchets à plus haute activité, le risque a été pris en compte pour les études de sûreté en amont de la conception.

FB : A ce jour, notre analyse consiste à dire que si les déchets les plus dangereux (ceux des casemates ou de la piscine accueillant des combustibles retirés des réacteurs de Tchernobyl) avaient été atteints, la radioactivité aurait été détectée. Pour le moment, il n’y a pas de relâchement important constaté.

Les relâchements aujourd’hui, « le nuage », sont attribués à la combustion de la forêt (contaminée). Et ledit nuage se déplace, mais en se diluant. Les dernières indications montrent que celui-ci se déplacerait dans les jours à venir vers l’Est-Sud-Est.

Le principal élément radioactif que l’on retrouve est le césium, qui est mesuré. Mais, quelques mesures indiquent aussi la présence de strontium. Toutefois, pour l’heure, les résultats du suivi montrent que l’impact est faible, voire extrêmement faible. De même, l’estimation de l’impact résultant de « l’inhalation » de la radioactivité transportée par les masses d’air arrivant en France montre qu’il reste non significatif et sans conséquence sanitaire.

Photo de Une : Zone d’exclusion de Tchernobyl


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