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Réindustrialiser, une ambition française freinée par ses propres règles

Posté le 20 novembre 2025
par La rédaction
dans Entreprises et marchés

La France peine à transformer les ambitions de relance industrielle en dynamique robuste. Malgré des ouvertures modestes de sites et des investissements annoncés, le moral des industriels comme celui des citoyens reste fragile. Quels sont, dès lors, les perspectives, attentes et obstacles qui façonnent aujourd’hui le secteur industriel français?

Dans le cadre de la Semaine de l’Industrie 2025, le MEDEF s’est penché sur la place de l’industrie dans l’économie française actuelle, en posant une question : « L’industrie, un eldorado pour la France ? » Ce contexte constitue un terrain privilégié pour dresser un état des lieux du ressenti des industriels, à l’heure où les tensions sur la compétitivité, les coûts de l’énergie et les impératifs de transition écologique influencent fortement les trajectoires productives.

Un secteur en légère reprise, mais fragilisé

L’industrie manufacturière française montre en 2025 des signes contrastés. Selon une analyse conjoncturelle du Trésor, la valeur ajoutée industrielle a progressé de +0,5 % au premier semestre par rapport à fin 2024, une hausse modérée qui masque toutefois des différences importantes selon les filières. La fabrication de matériels de transport affiche par exemple une progression notable de +4,4 %, tandis que d’autres segments, comme les biens d’équipement, stagnent.

L’enquête de conjoncture de l’INSEE renforce ce constat d’équilibre précaire. Les industriels anticipent en effet une légère hausse de leurs prix de vente (+0,1 %), mais signalent une capacité de production souvent insuffisante. Le taux d’utilisation des capacités atteint 81 %, en retrait par rapport à la moyenne historique. Par ailleurs, les investissements prévus dans la fabrication de biens d’équipement seraient revus à la baisse, traduisant une prudence persistante.

Du point de vue territorial, le premier semestre 2025 enregistre un solde positif de +9 usines ouvertes, selon le baromètre industriel de la DGE, ce qui confirme un mouvement de relance, mais à un rythme encore trop faible pour inverser la trajectoire de long terme du secteur.

Un moral en berne, entre pressions structurelles et attentes fortes

Au-delà des chiffres, les sondages publiés ces dernières semaines témoignent d’un scepticisme profond. Selon une étude IFOP pour la Société des ingénieurs Arts et Métiers, seuls 32 % des ingénieurs considèrent que la réindustrialisation de la France est « en bonne voie ». Ils sont 84 % à estimer que ce n’est pas le cas, un signal clair envoyé aux décideurs publics. Cette perception trouve un écho dans l’opinion générale : 83 % des Français pensent que l’industrie est en déclin, d’après une étude sur l’image de l’industrie réalisée par les Forces Françaises de l’Industrie.

Les raisons de ce pessimisme sont multiples et documentées. Le coût du travail dans l’industrie reste élevé en comparaison internationale, et la densité réglementaire constitue un frein régulièrement cité. L’économiste Patrick Artus soulignait récemment dans Le Monde que la compétitivité française pâtit en partie de ces contraintes, tout en rappelant la responsabilité des acteurs eux-mêmes dans certaines dérives de coûts et d’organisation.

À cela s’ajoutent les tensions géopolitiques et la forte compétition européenne et internationale. Le quotidien Le Monde signalait récemment qu’« une crise industrielle plane à nouveau sur la France », malgré les plus de 30 milliards d’euros d’investissements annoncés à l’occasion de Choose France 2025.

Pour autant, des espoirs demeurent. Les ingénieurs interrogés dans l’étude IFOP identifient plusieurs leviers de transformation. L’intelligence artificielle est notamment perçue comme un facteur de changement majeur, avec un impact potentiel estimé à 86 % sur l’ensemble du tissu productif dans les cinq prochaines années. Ils évoquent également la nécessité de renforcer l’attractivité des métiers, de simplifier les démarches administratives et d’alléger la fiscalité industrielle.

Certaines filières apparaissent en meilleure posture, notamment l’industrie du transport, la robotique, les technologies de l’énergie ou encore les segments soutenus par le plan France 2030. Le crédit d’impôt pour l’industrie verte constitue également un levier cité comme incitatif et potentiellement structurant.

En définitive, la situation industrielle française reste intermédiaire : les fondamentaux ne sont pas effondrés, certains signaux sont positifs, mais les doutes exprimés par les industriels et les citoyens traduisent un besoin de réformes structurelles profondes. Les mois à venir permettront de vérifier si les engagements publics et privés peuvent réellement transformer les intentions de réindustrialisation en dynamique durable.

Région et réindustrialisation à Chalon‑sur‑Saône : un modèle d’engagement concret

Le territoire du Grand Chalon, en Saône-et-Loire, illustre parfaitement comment l’appui d’une collectivité peut transformer un tissu industriel en mutation. Grâce à l’engagement fort de la région et à la mise en œuvre d’un programme spécifique de reconquête industrielle, la zone de SaôneOr est devenue un « site industriel clé en main France 2030 » accueillant plus de 360 entreprises et avec 6 450 emplois recensés, ce qui témoigne concrètement de la régénération productive du territoire.

Si cette réussite s’appuie sur un dispositif territorial réfléchi et une disponibilité foncière aménagée, elle reste aussi la conséquence d’un accompagnement permanent de la collectivité régionale, à travers des investissements ciblés, des infrastructures modernisées, ou encore une coopération public-privé renforcée.

L’exemple chalonnais démontre que, quand la volonté publique rejoint les acteurs privés locaux, la relance industrielle peut sortir du discours et prendre forme.


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