Interview

Telaqua : l’irrigation connectée

Posté le 13 avril 2022
par Benoît CRÉPIN
dans Informatique et Numérique

Grâce à des capteurs connectés et une application mobile, Telaqua permet aux agriculteurs de surveiller, programmer et optimiser leurs réseaux d’irrigation. Équipant déjà une trentaine d’exploitations à l’aide de plusieurs centaines de capteurs connectés, la solution développée par l’entreprise basée à Aix-en-Provence a également été mise en oeuvre dans le cadre d’un pilote technique réalisé en partenariat avec l’entreprise Ombrea.

Créée en 2018, Telaqua a pour ambition d’accompagner les agriculteurs pratiquant l’irrigation. Pour cela, l’entreprise propose d’équiper leurs systèmes d’arrosage avec des capteurs connectés, reliés à une application mobile, qui leur permettent ainsi à la fois d’être alertés si un problème survient, mais également de réaliser des actions de planification et d’obtenir une analyse du fonctionnement du système. Grâce à cette utilisation de l’IoT¹, mais aussi, demain, du machine learning, l’un des objectifs de Telaqua est ainsi de rendre la gestion de ces systèmes d’irrigation de plus en plus intelligente, comme nous l’explique son cofondateur et actuel dirigeant Sébastien Demech.

Techniques de l’Ingénieur : Comment Telaqua est-elle née ?

Sébastien Demech. © Telaqua

Sébastien Demech : L’idée de la création de l’entreprise revient à mon associé Nicolas Carvallo. Il est franco-chilien et son père est expert en systèmes d’irrigation au Chili. Nicolas y avait créé une première entreprise puis est revenu en France après cette expérience. C’est à ce moment-là que nous nous sommes rencontrés et que nous nous sommes dit qu’il y avait quelque chose à faire dans ce domaine en France. J’étais ingénieur informatique, et n’avais donc pas de compétences spécifiques sur le sujet, mais l’idée m’a plu et le courant est bien passé avec Nicolas…

La région d’Aix-en-Provence, dans laquelle vous avez choisi de vous implanter, a-t-elle eu une influence sur votre projet ?

Je suis originaire de Marseille, c’était donc intéressant pour moi de revenir dans la région. Mais surtout, nous avions trouvé une association d’agriculteurs irrigants qui était basée à Aix-en-Provence. Cela avait donc du sens de choisir le Sud.

Quels sont les différents éléments matériels sur lesquels repose votre solution ?

Nous avons développé un capteur de pression plug & play, le « Mano », qui permet de mesurer à la fois la pression dans le système et le débit d’eau. Nous proposons également un boîtier de communication, l’Agromote. Il s’agit de la partie « surveillance » du système d’irrigation et cela permet de s’assurer qu’il n’y a pas de fuite d’eau ou d’autres anomalies. Avec ce même boîtier, on va également pouvoir piloter des vannes ou des pompes et les programmer à distance, ce qui permet ainsi de planifier son irrigation. L’intérêt de combiner ces éléments réside justement dans le fait, lorsque l’on planifie une irrigation, de pouvoir s’assurer que les vannes sont bien ouvertes, que les pompes fonctionnent bien et donc que chaque plante a bien reçu la bonne quantité d’eau. De plus, un planning d’irrigation étant basé sur une modélisation, on peut être certain, avec ce système, que les quantités d’eau apportées correspondent à celles intégrées dans le modèle. Si jamais tout ne s’était pas passé comme prévu, on va ainsi pouvoir modifier sa modélisation. Nous avions, au départ, choisi de faire réaliser l’assemblage de ces équipements en Allemagne, mais il s’est finalement avéré qu’un très bon assembleur était présent à Marseille, nous avons donc décidé de faire appel à lui et cela se passe très bien.

Avec son « Mano », Telaqua propose un capteur de pression plug & play permettant aux agriculteurs d’obtenir un bilan de santé de leur système d’irrigation. © Telaqua

Quel réseau utilisez-vous pour assurer la transmission des données ?

Nous utilisons le réseau LoRaWAN. La couverture est très bonne, mais nous pouvons aussi, si besoin, installer des gateways, des passerelles qui permettent de créer un réseau LoRa local et de transmettre ensuite les données sur le cloud via la 3G/4G, voire par satellite. Nous adoptons notamment cette solution pour des projets réalisés à l’étranger.

Une fois transmises, comment exploitez-vous ces données ? Quelles informations pouvez-vous en tirer ?

Nous affichons toutes les données sur une application mobile et web, qui permet aux agriculteurs – que ce soit le chef de culture, le technicien, voire le gérant – à la fois d’être alertés si un problème survient, mais également de planifier, en ayant une action sur les objets connectés et aussi d’obtenir une analyse : l’utilisateur reçoit des graphiques, du reporting qui lui permettent d’analyser le fonctionnement de son système d’irrigation. Nous avons également, derrière cela, une brique « IA » que nous sommes en train de monter, qui va venir aider l’agriculteur dans sa maintenance. L’objectif est de réaliser de plus en plus de la maintenance prédictive. Si je prends l’exemple typique d’un filtre, l’objectif est de prévoir son nettoyage avant même qu’il ne soit complètement encrassé, afin d’éviter une perte de pression. Nous développons ces algorithmes d’intelligence artificielle en partenariat avec l’Université d’Aix-Marseille depuis le début de l’année. Nous ne disposions pas, au départ, d’une quantité suffisante de données, mais nous allons désormais pouvoir exploiter nos bases de données qui se sont enrichies au fil du temps, afin de déterminer le type d’IA nécessaire et enrichir ces mêmes données. L’idée est en effet également d’intégrer d’autres types de données, comme la météo ou divers paramètres agronomiques.

Concrètement, comment un agriculteur irrigant peut-il bénéficier de cette solution ?

L’agriculteur doit acheter les capteurs et souscrire à un abonnement pour accéder au réseau et à l’application. Son montant varie en fonction du nombre de capteurs. Toute la partie analyse des données, alertes… est ainsi incluse dans l’application et accessible à volonté pour l’utilisateur. Les alertes peuvent être envoyées par sms, mail ou en push.

Quel est le coût de cette solution ?

En fonction des capteurs, les prix vont de 300 à 1 000 €. Le nombre de capteurs, que nous installons à la vanne, va varier en fonction des types de cultures. Pour de l’arboriculture, on peut compter une vanne tous les deux ou trois hectares, alors que le maraîchage nécessite plusieurs vannes par hectare. Le coût se situe en tout cas en moyenne entre 500 et 600 € par vanne.

La mise en œuvre des capteurs nécessite-t-elle de modifier l’installation d’irrigation préexistante ?

Non. Nous nous installons sur les systèmes existants, principalement aujourd’hui sur des systèmes de type goutte-à-goutte. Nous sommes pour l’instant très peu présents sur l’irrigation par aspersion.

L’installation du système développé par Telaqua ne nécessite pas de modifier l’installation d’irrigation. ©Telaqua

Vous avez conclu en février dernier un partenariat stratégique avec l’entreprise Ombrea, spécialiste de la gestion du climat et de la protection des cultures face aux aléas climatiques. Quels sont les objectifs de cette alliance ?

Nos deux entreprises ont été créées quasiment en même temps, et à proximité l’une de l’autre. Nous nous sommes donc naturellement rencontrés. Ombrea est notamment spécialisée dans les ombrières connectées et cherchait une solution pour gérer l’irrigation. Le partenariat va donc porter là-dessus. Nous allons nous occuper de la partie maintenance et ouverture/fermeture de vannes, et Ombrea de tout son écosystème permettant de créer un microclimat au-dessus des plantes. Nous avons réalisé un pilote technique, qui va nous permettre d’effectuer les premiers tests et nous verrons ensuite vers où cela nous mènera… ! Ce pilote est installé sur une exploitation dans le Var dédiée à la culture de pivoines. L’objectif est de réduire la consommation d’eau, mais également d’automatiser l’irrigation afin de faire gagner du temps à l’agriculteur et d’améliorer la qualité des fleurs. Pour gérer les ombrières, Ombrea utilise des données météo, des sondes d’humidité implantées dans le sol, des capteurs d’ensoleillement… Ils vont ensuite coupler toutes ces données pour voir quels sont les besoins des plantes, et vont nous les envoyer afin que nous ajustions les paramètres d’irrigation en conséquence.

Avez-vous d’autres projets de partenariats de ce type ? Combien d’exploitations bénéficient à ce jour de votre solution ?

Telaqua a déjà une trentaine d’installations à son actif, en France mais également à l’étranger, comme ici, au Chili. © Telaqua

Tout à fait ! Nous avons d’autres partenaires potentiels avec qui nous sommes en discussions. Notre objectif est de créer un véritable écosystème autour de l’irrigation. Nous avons pour l’heure équipé une trentaine d’exploitations, ce qui représente environ deux à trois cents capteurs en fonctionnement aujourd’hui. Nous prévoyons d’accélérer fortement au cours des mois à venir, notamment au niveau international. Nous sommes actuellement une équipe de 19 personnes, mais nous recrutons en permanence, notamment des commerciaux ainsi que des développeurs web et électronique. Nous avons ainsi l’ambition d’atteindre une trentaine de collaborateurs d’ici la fin de l’année.

Quelles sont les éventuelles perspectives d’évolution technologiques sur lesquelles vous travaillez ?

La technologie est mature, elle fonctionne très bien. Nous avons déjà réalisé plusieurs installations en France, en Europe, en Afrique et en Amérique du Sud. Il reste toutefois, bien entendu, toujours des améliorations possibles. Nous cherchons notamment à accroître l’autonomie en énergie, nous travaillons sur l’écoconception… Les appareils fonctionnent pour l’instant avec une pile au lithium, à remplacer tous les deux ans, l’objectif, à terme, serait de les rendre autonomes en énergie. Il existe de multiples façons d’y parvenir, à nous de trouver la meilleure.


¹ Internet of Things


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