Interview

Une loi Évin Climat : contre la publicité pour les produits polluants

Posté le 26 juin 2020
par Matthieu Combe
dans Entreprises et marchés

La Convention citoyenne pour le climat et plusieurs ONG appellent à une loi Évin sur le climat pour interdire la publicité vantant les produits les plus polluants. Entretien avec Anne Bringault, responsable Transition énergétique du Réseau Action Climat.

Selon un sondage BVA pour Greenpeace France, 65 % des Français sont favorables à l’interdiction des publicités pour les marques contribuant au changement climatique. Dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat, les 150 membres ont adopté l’objectif visant à « réguler la publicité pour réduire les incitations à la surconsommation » à 89,6 %. En particulier, cette mesure vise, dès 2023, à interdire la publicité sur les produits les plus polluants.

Les membres appellent ainsi à une sorte de loi Évin sur le climat, en référence à la loi de janvier 1991 qui encadre strictement la publicité pour l’alcool et le tabac. Une proposition également défendue par Greenpeace France, le Réseau Action Climat et Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP) dans un rapport paru le 18 juin. Pointant du doigt le rôle majeur de la publicité sur la consommation et l’imaginaire collectif, le rapport insiste sur la pertinence d’introduire une interdiction de la publicité pour les secteurs de l’aérien, de l’automobile, du maritime et des énergies fossiles. Le rapport évalue en France les investissements de publicité et de communication à 4,3 milliards d’euros pour l’automobile en 2019, 127 millions pour l’aérien et 668 millions pour le secteur pétrolier. Éclairage d’Anne Bringault, responsable Transition énergétique du Réseau Action Climat, co-autrice de ce rapport.

Techniques de l’ingénieur : Pourquoi interdire la publicité pour les produits polluants ?

Anne Bringault : Nos propositions partent du même constat que ceux défendus par la Convention citoyenne pour le climat. Par exemple, nous ne pouvons plus avoir des publicités qui nous incitent à acheter des véhicules très polluants et avoir dans le même temps des politiques publiques qui voudraient nous inciter à faire l’inverse. Les enjeux financiers sont considérables, évalués dans notre rapport à 4,3 milliards d’euros par an pour les dépenses de publicité et de communication liées à l’automobile en France. On ne peut plus laisser tout cet argent dépensé pour inciter à acheter des SUV, la deuxième cause de hausse des émissions de CO2 au niveau mondial selon l’AIE. C’est un enjeu capital et inciter à l’achat de véhicules polluants ne doit plus être possible.

Comment choisir les produits polluants à interdire ?

La Convention citoyenne pour le climat part sur l’idée de développer un CO2-score sur tous les produits de consommation et les services d’ici 2024. Il s’agit d’une idée intéressante. On pourrait ainsi interdire la publicité sur les voitures, mais peut-être aussi demain pour la viande par exemple à cause des émissions de méthane. Calculer le score carbone d’un produit peut toutefois vite s’avérer complexe comme le reconnaît la Convention. En effet, il n’est pas toujours aisé de déterminer l’empreinte CO2 d’un produit en prenant en compte l’ensemble des chaînes de production et logistiques.

En attendant, il faut avancer et rapidement discuter des modalités de mise en œuvre des premières interdictions. La Convention s’oriente vers un critère de consommation pour les véhicules qui consomment plus de 4 litres pour 100 km ou 95 grammes de CO2 au km. La publicité serait réorientée vers les véhicules les moins polluants. Nos propositions sont assez convergentes, même si nous souhaitons élargir davantage le champ des véhicules pour lesquels la publicité serait interdite. Notre rapport suggère en plus d’interdire le plus rapidement possible les publicités pour les industries fossiles et le transport aérien.

La Convention dresse d’autres propositions, par exemple pour interdire la publicité par avion ou les écrans vidéo publicitaires… Ces interdictions peuvent paraître symboliques, mais s’inscrivent dans une cohérence globale. Les panneaux publicitaires vidéos constituent un gâchis d’électricité et de matériaux. C’est le reflet d’une consommation non soutenable. Même RTE, dans ses pistes pour économiser l’électricité, propose de les éteindre en cas de pic de consommation électrique.

Comment inscrire l’interdiction de la publicité dans des politiques plus globales visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre ?

Comme le soulignent la Convention citoyenne pour le climat et notre rapport, il faut intégrer les mesures encadrant la publicité dans des politiques plus globales. Il faut penser en même temps d’autres mesures, comme cela a été fait pour le tabac ou l’alcool. Il y a certes une interdiction de publicité pour le tabac, mais en parallèle il y a eu une hausse du prix du paquet de cigarettes et des campagnes pour inciter à stopper la consommation de tabac.

Il s’agit ici de supprimer la publicité pour les véhicules les plus polluants mais aussi d’avoir des malus renforcés pour ces véhicules. Il convient en plus d’avoir des constructeurs qui développent plus des véhicules moins polluants et qui soient accessibles au plus grand nombre avec par exemple un prêt à taux zéro.

Sur le secteur aérien, les montants publicitaires sont plus faibles, mais l’enjeu reste important. Cette interdiction de publicité sur le transport aérien s’inscrit en cohérence avec d’autres mesures de politiques publiques, reprises par la Convention citoyenne pour le climat. Il s’agit par exemple de supprimer les vols intérieurs, développer le train, ou encore arrêter les extensions d’aéroports.


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