Tribune

Viande in vitro : un « mythe » ?

Posté le 20 février 2020
par Matthieu Combe
dans Chimie et Biotech

Les startups liées à la viande cultivée in vitro font beaucoup de bruit médiatique. Entretien avec Jean-François Hocquette, directeur de recherche à INRAE, pour faire le point sur ses analyses du secteur.
Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l’INRAE

Jean-François Hocquette est directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Au sein du Département Physiologie animale et systèmes d’élevage, à Saint-Genès-Champanelle, près de Clermont-Ferrand, il est expert de l’élevage et de la viande. Après une étude de référence sur la viande in vitro en 2013, il publie avec Sghaier Chriki, enseignant-chercheur à l’ISARA, en février 2020 une nouvelle revue de la littérature scientifique intitulée Le mythe de la viande de culture dans le journal Frontiers in Nutrition. L’article fait le point sur les avancées scientifiques liées au milieu de culture, aux aspects sanitaires et environnementaux, au bien-être animal, à la législation et à la perception du public.

Techniques de l’ingénieur : Comment cultiver de la viande en laboratoire ?

Jean-François Hocquette : Pour cultiver des cellules souches ou des cellules musculaires, il faut un milieu qui apporte tout ce qui est nécessaire pour que les cellules puissent vivre et se multiplier. Il leur faut de l’énergie, des acides aminés, des hormones et des facteurs de croissance. Le sérum de veau fœtal apporté dans le milieu de culture est précieux, car il est riche en hormones et en facteurs de croissance. Pour récupérer ce sérum, on est obligé de tuer la vache et le veau qu’elle porte. Certaines startups souhaitent développer une industrie dédiée pour produire chimiquement tous ces ingrédients. Finalement, de 2013 à aujourd’hui, il n’y a pas eu de changement majeur malgré les effets d’annonces spectaculaires des startups.

On a donc le droit de faire pousser des cellules aux hormones ?

Cela dépend des pays. Dans l’Union européenne, contrairement aux États-Unis, les implants hormonaux ou promoteurs de croissance sont interdits pour les animaux d’élevage. Ainsi, les fabricants de viande de culture ne sont pas autorisés à ajouter des hormones chimiques ou synthétiques dans le milieu de culture pour remplacer ce sérum de veau. En plus, les cellules de culture ne bénéficient pas de la production naturelle d’hormones chez l’animal, puisque la viande de culture n’en sécrète pas. Il faut donc apporter la quasi-totalité des hormones et des facteurs de croissance par la main de l’homme. Comme les implants hormonaux sont interdits en élevage conventionnel, il en va de même pour la viande de culture. Si les startups américaines veulent vendre de la viande de culture en Europe, elles vont devoir se pencher sur cette question.

La viande de culture a-t-elle des atouts environnementaux ?

Il faut de l’énergie pour faire pousser de la viande de culture, car les cellules se multiplient à une température physiologique. Il faut donc chauffer les incubateurs. La consommation et les émissions de gaz à effet de serre dépendent alors de la source énergétique, de l’inertie de chauffage et de la taille des incubateurs. Le chauffage va s’accompagner d’émissions de CO2, alors que les ruminants – les vaches, les moutons – émettent du méthane. Cela fait une sacrée différence car le méthane a un pouvoir de réchauffement plus élevé, mais il a une demi-vie plus courte dans l’atmosphère. Sur le long terme, c’est donc plutôt l’élevage qui serait moins réchauffant par rapport à la viande de culture.

On ne peut pas affirmer avec certitude que la viande de culture va plus ou moins polluer, car elle n’existe pas au stade commercial et industriel. Les derniers travaux montrent toutefois qu’il ne semble pas y avoir d’avantage certain sur l’environnement.

La commercialisation de la viande in vitro, c’est pour bientôt ?

Il y a une appétence journalistique pour ce sujet extrêmement forte. Les journalistes devraient plutôt parler en priorité des autres sujets qui occupent les chercheurs, comme la réduction du gaspillage alimentaire et les nouveaux systèmes d’élevage. Patrick Hopkins, un sociologue américain, a montré qu’il y a un biais dans la façon dont la presse américaine se saisit de cette question. Grâce à une communication très bien rodée, une minorité de startups font beaucoup de bruit médiatique. Finalement, il s’installe l’idée que c’est sur le point d’être commercialisé, ce qui n’est pas le cas. Elles ne sont d’ailleurs qu’une trentaine à travailler sur ce sujet dans le monde.

Propos recueillis par Matthieu Combe


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