Au cœur du problème aujourd’hui se trouve la saturation des débouchés seconde main, largement dépendants des exportations vers l’Afrique. En France, quelque 270 000 tonnes de textiles usagés sont collectées annuellement, dont environ 60 % sont dirigés vers la fripe, souvent exportée hors de l’UE. Or, le modèle s’effondre. En effet, les acheteurs africains se détournent progressivement de ces flux importés, préférant désormais acheter du neuf en Chine ou de la fripe moins chère, ce qui prive la filière européenne d’une part importante de ses débouchés traditionnels.
Cette mutation brutale s’est doublée d’une dégradation qualitative des vêtements collectés. Ainsi, face à l’essor de l’ultra-fast fashion, les articles sont produits à moindre coût, dans des matériaux difficiles à recycler, souvent déjà mélangés ou fortement usés. Le tri peine à en extraire des lots suffisamment homogènes pour une revente ou un recyclage technique efficient. Compte tenu de la situation, plusieurs centres de tri en France ferment ou suspendent leur collecte, faute de revenus viables.
Pour soutenir la filière, Refashion, l’éco-organisme en charge de la filière textile en France, a débloqué une enveloppe exceptionnelle de 6 millions d’euros en janvier 2025, réaugmentant la rétribution aux opérateurs de tri conventionnés, soit une hausse de 20 % du soutien par tonne triée. Ce dispositif visait à soulager les surcoûts de fonctionnement et à maintenir l’activité des centres de tri.
Mais une crise aiguë a surgi cet été. Le réseau Le Relais, qui assure plus de 60 % des capacités de tri en France, a cessé la collecte et déversé des vêtements devant des enseignes pour, d’une part dénoncer la viabilité du modèle, d’autre part rappeler l’importance du tri et des conséquences qu’aurait sa mise à l’arrêt. En réaction, l’État et Refashion ont autorisé une aide de 49 millions d’euros pour 2025, portant la rémunération du tri à 223 €/tonne (et 228 €/tonne pour 2026) contre 156 €/tonne auparavant. Ce geste permet le redémarrage de la collecte, mais n’écarte pas l’urgence d’une refonte durable du système.
Au-delà des aides d’urgence, la reconfiguration du modèle repose sur plusieurs pistes techniques et stratégiques. D’abord, Refashion déploie la plateforme « Recycle by Refashion », qui met en relation les acteurs du recyclage, recense les gisements non réutilisables, identifie des solutions de transformation et encourage l’intégration des matières recyclées dans de nouveaux produits.
Par ailleurs, l’écoconception devient un levier indispensable. La conception des vêtements doit intégrer dès l’origine des critères de recyclabilité pour limiter les mélanges de fibres non compatibles, faciliter le démontage ou le tri, et favoriser les matériaux mono-fibres ou plus facilement effilochables.
Sur le plan opératoire, l’effilochage – procédé qui consiste à démanteler les vêtements en fibres – est une technique clef pour transformer des articles non réutilisables en matière première. Cette méthode permet de réinjecter des fibres dans la production industrielle (textile, isolation, garniture), à condition que la qualité des fibres soit suffisamment préservée.
Enfin, Refashion lance le projet « Re_Actt », qui propose aux marques et acteurs de la collecte de conserver les vêtements de qualité pour revente (réemploi) et de confier le reste à l’éco-organisme. Cette initiative vise aussi à rendre obligatoire le référencement transparent de l’ensemble des acteurs (collecteurs, trieurs, recycleurs) pour améliorer la traçabilité.
Malgré ces dispositifs, des enjeux réglementaires subsistent. Ainsi, l’agrément de Refashion impose des objectifs ambitieux, comme un taux de collecte de 60 % de la mise sur le marché d’ici 2028, ou encore des cibles de recyclage des textiles non réemployés jusqu’à 70 % dès 2024.
À ce jour, la filière TLC (textiles, linge, chaussures) a collecté 289 393 tonnes en 2024, soit 4,2 kg/habitant, mais seulement 32 % de ces volumes sont triés pour valorisation. Le chemin vers la circularité reste donc semé d’obstacles.
En conclusion, la crise du recyclage textile révèle les fragilités structurelles d’un modèle trop dépendant de la revente étrangère et de matières de mauvaise qualité. Les stratégies engagées – aides financières, plateformes de mise en relation, écoconception, effilochage, réorganisation de la collecte – peuvent offrir une voie de redressement à condition qu’elles soient coordonnées, soutenues à long terme et à la hauteur des ambitions réglementaires.
« Demain le textile » : une semaine lyonnaise pour repenser la filière textile
Du 13 au 17 octobre 2025, Lyon accueille la 6ᵉ édition de Demain le textile, au fil de l’économie circulaire, un événement réunissant les acteurs de la filière (industriels, start-ups, universitaires, institutions) pour débattre des transitions à engager dans le secteur textile.
Organisé conjointement par UNITEX, Techtera et le CIRIDD, avec le soutien de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, de la Métropole de Lyon et de l’OPCO2i, ce rendez-vous propose un format hybride mêlant tables rondes en visioconférence, convention d’affaires, hackathon étudiant et forum de l’innovation managériale.
Trois matinales en visio abordent des enjeux stratégiques :
- l’économie circulaire, un enjeu de souveraineté industrielle ;
- alternatives et opportunités pour un approvisionnement textile durable ;
- digitalisation, de nouvelles opportunités pour s’adapter aux évolutions réglementaires.
Le forum de l’innovation managériale (jeudi 16) s’intéresse au rôle du leadership, des ressources humaines et des pratiques managériales dans la transition écologique.
Le temps fort « business & innovation », Textival!, se tiendra le mardi 14 octobre au Matmut Stadium, Lyon. Pendant cette journée, environ 300 exposants – des grands groupes aux start-ups – seront en contact avec plus de 400 décideurs via quelque 3 250 rendez-vous d’affaires programmés. L’occasion de nouer des partenariats, de découvrir des innovations technologiques et de confronter les offres aux besoins industriels.
Par ailleurs, du 15 au 17 octobre, un hackathon étudiant mobilisera des étudiants de sept formations (textile, ingénierie, design, management) pour concevoir des modèles innovants de circularité. Les projets seront pitchés devant un jury le vendredi 17, ouvert au public.
Dans les débats, l’importance sera tournée vers la densification des débouchés au-delà de l’habillement – vers la construction, l’automobile, ou les applications techniques – pour garantir un approvisionnement régulier en matière secondaire. La diversification des fibres, pour sa part, sera mise en valeur à travers le projet Aura Chanvre porté par la région Auvergne-Rhône-Alpes et qui vise à développer une filière de chanvre textile locale, contribuant à réduire la dépendance aux matériaux importés. Enfin, le numérique sera mis à contribution grâce à l’éco-score textile, un outil d’affichage volontaire de l’impact environnemental pour promouvoir l’écoconception et la transparence.
Au-delà de la dimension événementielle, « Demain le textile » joue un rôle de catalyseur de synergies entre acteurs, de diffusion de bonnes pratiques et de stimulation de l’innovation. En confrontant les défis (collecte, tri, qualité des fibres, modèles économiques, réglementation) et les solutions émergentes (approvisionnement durable, digitalisation, coopération entre acteurs), l’événement vise à impulser une dynamique collective vers une filière textile plus circulaire et résiliente.
« Demain le textile » sera donc l’occasion de prolonger la réflexion sur l’avenir du recyclage et de la circularité dans la filière. Alors que les acteurs peinent à valoriser des matières de plus en plus dégradées, l’événement lyonnais offrira un espace d’échanges pour repenser les modèles industriels, explorer les solutions techniques – de l’effilochage à l’écoconception – et identifier les partenariats capables de donner une véritable seconde vie aux textiles collectés.
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