Ils constituent l’une des clés de voûte de la transition en cours vers la mobilité électrique. Et pour cause : le nickel et le cobalt entrent dans la composition des cathodes des batteries équipant la plupart[1] des véhicules électriques circulant actuellement en Europe, mais aussi bon nombre de ceux qui y rouleront demain[2]. Deux métaux devenus, de ce fait, des matières premières stratégiques, pour lesquelles l’Europe et la France aspirent à davantage de souveraineté.
Une souveraineté qui porte bien entendu tant sur l’approvisionnement en minerais que sur leur raffinage, mais aussi – un cran plus en aval sur la chaîne de valeur – sur leur conversion en sulfates métalliques[3]. Une étape sur laquelle la Chine conserve aujourd’hui la mainmise, aux côtés de la Corée. Mais la donne pourrait bien finir par changer.
Outre les usines de fabrication de batteries, mais aussi de production de matériaux actifs de cathode et de leurs précurseurs, qui émergent petit à petit au sein de la « Vallée de la batterie » des Hauts-de-France, c’est en effet bel et bien une unité de conversion de nickel et de cobalt qui pourrait sortir de terre d’ici peu en France ; un peu plus au Sud cette fois.
Un projet synonyme de souveraineté…
Dans le cadre d’un projet baptisé EMME, pour « Electro Mobility Materials Europe », c’est en effet au sein de la zone industrialo-portuaire de Grattequina, en Gironde, que pourrait bientôt voir le jour – aux côtés d’un laboratoire de R&D axé autour de la science des matériaux et du génie des procédés, mais aussi d’un terminal portuaire et logistique – une unité de conversion de nickel et de cobalt d’une capacité de production annuelle de 89 000 tonnes de sulfate de nickel et de 9 000 tonnes de sulfate de cobalt. Des produits issus de la conversion de quelque 20 000 tonnes de nickel et de 3 000 tonnes de cobalt, introduits dans le process sous forme d’hydroxydes métalliques[4].
Si ce projet initié en 2023 aboutit, cette future usine serait alors la seule en France, et l’une des rares en Europe[5], avec à la clé, plus de souveraineté, certes – avec une production qui devrait à elle seule permettre de couvrir les besoins annuels en batteries pour véhicules électriques d’environ 20 % du marché français, soit 400 000 véhicules[6] – mais aussi moins d’émissions de gaz à effet de serre.
… et d’impacts écologiques réduits
« Grâce à une électricité peu carbonée, à sa technologie de pointe, mais aussi à ses achats sélectifs de matières premières[7], l’usine EMME permettrait d’éviter l’émission annuelle d’1,6 million de tonnes d’équivalent CO2 », notent en effet les porteurs du projet[8] dans le dossier de concertation publié à l’occasion de l’ouverture, le 24 mars dernier, de cette procédure dont dépend en grande partie l’acceptabilité de cette potentielle première usine française de conversion de nickel et de cobalt. Chapeautée par la Commission nationale du débat public (CNDP) cette phase de concertation s’achèvera le 15 mai prochain, à l’issue, donc, d’une période de sept semaines ponctuée de réunions publiques, ateliers thématiques, et autres conférences scientifiques et techniques.
S’il se concrétise, comme l’espèrent ses initiateurs, à l’horizon 2028[9], ce projet à 500 millions d’euros devrait alors permettre la création d’environ 500 emplois, dont 200 directement liés aux activités de l’usine. Une usine prévue pour être implantée sur une surface de 33 ha, dont 24 ha de bâtiments et espaces de stockage, et classée Seveso seuil haut, en raison notamment des quantités de nickel et de cobalt qui y seront stockées. « Ce classement SEVESO n’est pas lié à des risques physiques ou de toxicité pour l’humain, mais à des risques environnementaux pour le milieu aquatique en cas d’accident », précise le dossier de concertation cité ci-dessus.
Une phase de concertation à l’issue de laquelle la SAS EMME prévoit de déposer ses demandes de permis de construire et d’autorisation environnementale unique, dans une perspective de lancement des travaux au début de l’année prochaine.
[1] En Europe, 55 % des véhicules électriques sont équipés de batteries NMC (nickel-manganèse-cobalt) auxquels s’ajoutent 40 % de véhicules utilisant des batteries NCA (nickel, cobalt, aluminium), les 5 % restant faisant appel à des batteries LFP. Source.
[2] La part de marché européenne des batteries NMC au sein du parc de véhicules électriques est estimée à environ 40-45 % en 2030.
[3] Ingrédients de base utilisés dans la fabrication des produits précurseurs des matériaux actifs de cathode (P-CAM), et donc, in fine, des CAM eux-mêmes.
[4] Ou MHP, pour Mixed Hydroxyde Precipitate.
[5] Outre l’usine finlandaise Terrafame.
[6] 100 % électriques ou hybrides-rechargeables.
[7] Le projet vise également l’intégration des pertes matières des « giga-factories » européennes, et de la black mass prétraitée issue du recyclage des batteries en fin de vie.
[8] Sarah Maryssael, directrice de la stratégie chez Arcadium Lithium ; Lucas Dow, directeur général de Sayona Lithium ; et Antonin Beurrier président du fonds KL 1, actionnaire majoritaire du projet ; épaulés notamment par Hatch, société d’ingénierie canadienne, le bureau d’études Français Artelia, ainsi que le cabinet d’architectes JDS Architects.
[9] Les porteurs du projet tablent sur une construction étalée sur la période 2026-2027.
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