Interview

Le bambou de construction, une filière en devenir

Posté le 24 juin 2025
par Arnaud Moign
dans Matériaux

Différents végétaux naturels sont actuellement utilisés en construction : bois, chanvre, liège, paille, roseau, etc. Mais il y a un matériau dont le potentiel en construction est largement sous-estimé en Europe. Ce matériau c’est le bambou ! Si de nombreux pays dans le monde montrent pourtant la voie en réalisant des projets structuraux en bambou de grande envergure, en France, la filière bambou est en pleine structuration.

Nous avons interrogé Jean-Baptiste Dutau, cofondateur, avec James Deleplanque et Jérémy Bazinet de BigBamboo, le spécialiste français de la construction en bambou.

Jean-Baptiste Dutau, cofondateur de BigBamboo (Crédit : BigBamboo)

Créée en 2020, la société BigBamboo participe, de manière active, à la structuration de la filière bambou en France, en collaboration avec les différents acteurs et fait la promotion de l’usage du bambou dans le secteur de la construction. BigBamboo a également mis en place un circuit de distribution du bambou et propose un service de fabrication sur mesure, de pose ainsi que la formation des futurs bamboutiers.

Techniques de l’ingénieur : Pouvez-vous nous parler de votre société BigBamboo ?

Jean-Baptiste DUTAU : BigBamboo est né en 2020, de la rencontre de ses trois associés fondateurs au sein de la coopérative Bambouscoopic, spécialisée dans le développement de la filière bambou et la conception/fabrication d’architectures textiles à mâture bambou.

Nous avons fondé BigBamboo pour répondre à un besoin que nous avions identifié : sourcer et mettre à disposition du marché du bambou dédié à la construction. En effet, Bambouscoopic voulait développer l’usage du bambou en construction, mais on s’est aperçu, d’une part, qu’il y avait uniquement des importateurs étrangers et, d’autre part, qu’il n’y avait aucun importateur de la variété de bambou que nous voulions utiliser en construction.

Cette variété, qui s’appelle le Guadua, est un bambou qui vient de Colombie. Nous avons donc décidé de mettre en place un circuit de distribution, un Web Shop, qui donnerait la possibilité à tous ceux qui le souhaitent de créer des structures composées d’un bambou réellement adapté à la construction et à l’agencement.

En quoi cette variété de bambou, le Guadua, est-elle particulière ?

Il existe plus de 1 500 espèces de bambou. De fait, le bambou ne peut être présenté comme un unique matériau, chaque espèce présentant des propriétés mécaniques influencées par son origine géographique, son climat de croissance et les conditions de culture.

Néanmoins, en pratique, seule une dizaine d’espèces sont reconnues pour leurs aptitudes constructives. De notre côté, nous travaillons avec sept espèces, choisies sur des critères techniques, économiques, ou de provenance géographique.


Le Guadua vu en coupe, classé par diamètre (Source : BigBamboo)

Parmi cette liste, le Guadua est celui qui possède les propriétés les plus intéressantes en construction. Souvent surnommé « l’acier végétal » en raison de ses performances mécaniques exceptionnelles, il présente des diamètres moyens compris entre 10 et 14 cm et se distingue par une résistance élevée, des parois très épaisses, ainsi qu’une structure de fibres croisées qui renforce sa robustesse.

Malheureusement, c’est son seul inconvénient, le Guadua ne peut pousser qu’en atmosphère tropicale, en altitude, et doit donc être importé.

Comment les professionnels de la construction perçoivent-ils ce matériau ?  Y a-t-il des débouchés en Europe ?

Il y a beaucoup d’artisans et d’artistes qui font de la décoration et du Land-Art en bambou, mais peu de construction pure. Certaines entreprises innovent néanmoins : c’est le cas de Minco, qui veut désormais proposer des menuiseries de fenêtre hybrides en bambou. Cette société s’intéresse de près à ce matériau et veut s’investir dans le développement de la filière bambou, qui n’en est encore qu’à ses balbutiements.

De leur côté, les acteurs français de la filière bois ne considèrent pas du tout le bambou comme un concurrent sérieux, mais plutôt comme un non-sujet. Toutefois, on observe une évolution : de plus en plus de professionnels commencent à s’interroger sur ses propriétés et son potentiel. Le marché, bien qu’émergent, se développe ainsi progressivement.

Mais si on regarde hors de la France, on constate que de nombreux pays montrent la voie en réalisant des projets structuraux majeurs en bambou. Très récemment, un exemple marquant a été livré : la première tour en bambou de 28 mètres de hauteur accueillant du public (ERP), construite au zoo de Planckendael en Belgique. Une première européenne qui illustre le changement de regard en cours sur ce matériau d’avenir.

Par ailleurs, même si le bambou n’est pas dans notre culture, car c’est une plante tropicale, en disant cela, on oublie les DOM-TOM ! Il faut savoir que dans les DOM-TOM, de nombreux matériaux de construction conventionnels sont importés. Or, dans ces territoires tropicaux, faire pousser des espèces de bambou dédiées à la construction locale à la place de matériaux importés est particulièrement pertinent. D’ailleurs c’est aussi valable dans beaucoup d’endroits situés en zone tropicale, en Amérique du Sud, en Afrique ou en Asie.

Peut-on aussi utiliser, en construction, du bambou cultivé en Europe ?

Bien que le bambou ne soit pas une plante endémique, plusieurs espèces sont cultivées en France, et, parmi celles-ci, deux ou trois sont utilisables dans le bâtiment, plutôt en décoration. Il y a, en France, des bambouseraies de bambou géant, une espèce qui, une fois découpée en lamelles, permet de fabriquer des structures solides, durables et de production locale.

La société Horizom a d’ailleurs récemment lancé la création de la plus grande bambouseraie d’Europe, dont les plantations sont destinées à des usages industriels variés : matériaux d’isolation (Fiboo), bois d’œuvre, composites, emballages, alimentation (jeunes pousses comestibles), production de biochar[1] et de biocarburants.

Aujourd’hui, de quoi manque la filière bambou pour se développer ?

Il n’existe pas, à proprement parler, de blocage technique avéré.

Prenons l’exemple du Guadua. Dans son pays d’origine, la Colombie, il est largement utilisé pour la construction de ponts, d’hôtels et d’habitations, notamment dans des régions à risque sismique. Son emploi y est même strictement encadré par une réglementation spécifique.

Normes colombiennes spécifiques au Guadua

Toutefois, un tel cadre n’existe pas en Europe ! Malheureusement, le principal frein est le manque d’intérêt des investisseurs pour financer les études approfondies nécessaires à la caractérisation de nos bambous français ainsi que d’autres espèces adaptées.

Compte tenu des propriétés mécaniques remarquables du Guadua, de la maturité croissante de la filière d’approvisionnement et de l’abondante documentation scientifique disponible, il apparaît pertinent de promouvoir une normalisation spécifique pour son usage structurel en Europe.

Plusieurs normes ISO fournissent déjà un cadre technique solide pour avancer dans cette direction, notamment :

Par ailleurs, en tant que membre actif de la commission CF/Bambou et Rotin BNBA/BF 089, nous appelons l’ensemble des acteurs de la construction, de l’ingénierie et des matériaux biosourcés à nous rejoindre pour contribuer à la structuration ainsi qu’à la normalisation d’une filière bambou ambitieuse et cohérente, en France comme à l’échelle européenne. Nous y travaillons et sommes convaincus d’y parvenir.


[1] Le biochar est un type de charbon produit par pyrolyse de biomasse en l’absence d’oxygène


Pour aller plus loin