La période Covid n’a d’ailleurs rien d’anodin, puisque c’est sur cette base que depuis 2021, de nombreux pays dont la France – et les Etats-Unis, mais pas la Chine – se sont engagés à compenser les émissions de CO2 liées au trafic aérien à travers un mécanisme appelé CORSIA, pour “Régime de compensation et de réduction du carbone pour l’aviation internationale”, mis en place par l’organisation de l’aviation civile internationale. Le principe est simple : les compagnies aériennes, prenant comme référence leurs émissions de GES d’avant Covid, se sont engagées à travers ce mécanisme à ne pas dépasser ce seuil après la pandémie, et à le faire baisser par la suite. Tout dépassement du seuil fixé entraînant une compensation financière de la part des compagnies aériennes. Un système aujourd’hui basé sur le volontariat, et qui doit devenir obligatoire à partir de 2027.
Mais ce système comporte plusieurs trous dans la raquette. D’abord, ne sont prises en compte que les émissions concernant les vols internationaux, les émissions nationales relevant des politiques nationales ou européennes. Ensuite, on sait aujourd’hui que les émissions de GES dues à l’aviation ne concernent pas que le CO2 : il faut aussi prendre en compte les traînées de condensation, la production des oxydes d’azote, entre autres. Le mécanisme CORSIA prône également la compensation au lieu de la réduction des émissions, ce qui n’engage pas les compagnies aériennes dans des changements drastiques de leurs pratiques.
Selon l’organisation Transport et Environnement, l’extension des réglementations européennes – notamment SEQE-EU – aurait rapporté 23 fois plus d’argent que la mise en place du système CORSIA. Ce dernier apparaît donc beaucoup plus avantageux pour les compagnies aériennes. Ce manque à gagner risque d’avoir un impact sur la capacité des compagnies aériennes à financer les innovations nécessaires qui permettront au secteur aérien d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Compenser plutôt que réduire
Au premier rang de ces innovations figurent les carburants d’aviation durable, ou SAF. Issus de matières organiques (biocarburants) ou de procédés synthétiques à base de CO₂ capté et d’hydrogène vert (e-carburants), ces carburants alternatifs permettent de réduire fortement les émissions nettes de CO₂. L’Union européenne impose leur incorporation progressive dans les carburants : 2 % de SAF dès 2025, 6 % en 2030, et 70 % en 2050. La France, avec son électricité peu carbonée, est bien placée pour produire des e-carburants très peu émetteurs. Mais les volumes restent aujourd’hui modestes, c’est le moins que l’on puisse dire, les coûts très élevés, et la filière peine encore à se structurer.
Ensuite, pour transformer la flotte et réduire les émissions de GES, la recherche aéronautique française travaille sur de multiples pistes. Le CORAC, soutenu par la DGAC et le GIFAS, coordonne les efforts industriels, avec un objectif : mettre en service d’ici 2035 une nouvelle génération d’avions dits « zéro émission », à hydrogène ou à propulsion hybride. Airbus, Safran et d’autres start-up travaillent sur des technologies de rupture comme les moteurs Open Fan, l’intégration motrice à l’arrière du fuselage, ou l’avion à hydrogène.
Un virage industriel majeur, qui nécessitera plusieurs milliards d’euros d’investissements publics et privés dans les dix prochaines années.
Dernière piste d’importance aujourd’hui, la propulsion électrique. Encore trop limitée pour les vols long-courriers, elle trouve un terrain d’expérimentation dans l’aviation régionale. Biplaces de formation, avions navettes ou hybrides de 9 à 19 passagers sont déjà en phase de test. Aura Aero, Enuee ou encore Eviation développent des prototypes d’avions électriques ou hybrides capables d’assurer des liaisons courtes à faibles émissions. Une réponse à la fois aux enjeux climatiques et aux besoins de désenclavement territorial.
SI le principe de l’électrique a de nombreux avantages, comme pour l’électrique routier, les infrastructures à mettre en place rendent l’équation beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.
Ainsi, le sentiment qui prédomine aujourd’hui reste – et il peut être transposé à de nombreux secteurs d’activité contraints de faire baisser leurs émissions – que l’équation économique et la gestion de l’augmentation du trafic doit être menée de front avec l’impératif de réduction de l’empreinte carbone. Un fameux “en même temps” qui permet aujourd’hui à l’aérien de gagner du temps, dans un secteur d’activité qui ne représente “que” 5% des émissions de GES à l’échelle du territoire.
Cet article se trouve dans le dossier :
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