Reportage

Expérience#3: «ça ne marche pas»

Posté le 15 avril 2016
par Pierre Thouverez
dans Entreprises et marchés

Troisième article d'une série qui en comportera 12. A travers le récit d'une expérience de management réelle, nous vous proposons de choisir, en votre âme et conscience, entre trois formules présentant chacune une manière différente de clôturer un problème concret. Aujourd'hui, choix, liberté et responsabilité sont au coeur de cet épisode !

Pour anticiper le prochain départ à la retraite de 3 cadres supérieurs (Bureau d’études, R&D, Commerce) détenteurs de compétences clés de l’entreprise, la Direction Générale de l’établissement français, composé de 500 salariés, d’une grande entreprise internationale de l’énergie me demande de l’accompagner dans la mise en place d’une démarche favorisant le transfert d’expérience. Pour bénéficier des meilleures conditions de transfert, la DRH demande aux trois experts de nommer les dix principaux salariés (les disciples) avec lesquels initier cette démarche. Sans aucune concertation, chaque expert fournit sa propre liste. Ces listes font apparaître 25 collaborateurs au lieu des 10 personnes clés envisagées au départ. Ébahis, perplexes et embarrassés, le tiers de ces « heureux » élus demande ce qui a bien pu leur valoir cette nomination. Ce qui, aux yeux des experts, était considéré comme une marque de distinction, apparaissait, à cette poignée de disciples déconcertés, comme étant une injuste inculpation à des corvées supplémentaires et inutiles.

Informés de cette situation, les experts soulignent, chacun de leur côté et avec des arguments très rationnels, la légitimité de leur liste et maintiennent leurs prescriptions. Ignorant ma proposition, aucun ne juge utile de lancer une concertation ni même de dialoguer avec les « lauréats d’office ».

Devant cette difficulté, et toujours sans aucune concertation, le DRH impose une quatrième liste préférant, à partir des listes précédentes, les personnes ayant des responsabilités managériales et ajoutant d’autres noms pour constituer une liste finale de 10 personnes. Aucun des 3 experts ne manifeste un quelconque sentiment de réprobation. La logique de la DRH semble acceptée.

Au cours des premières séances de travail, les participants ont élaboré une liste de 30 compétences critiques.

Les 3 critères retenus pour classer ces priorités sont :

  1. VAS: Valeur Ajoutée Stratégique de la compétence
  2. RP: Risque de Perte de la compétence
  3. SA: Spécificité (pas possible d’acquérir ce savoir par une autre formation)

Chacun de ces 3 critères a été  examiné  selon sa criticité (échelle 1 à 4 : 1=Négligeable – 2=Modéré – 3=Important – 4=Considérable)

Les participants ont été invités à échanger entre eux à chaque fois qu’un écart supérieur ou égal à 2 points était constaté sur les évaluations individuelles des criticités. Le niveau de criticité final a été établi en faisant la moyenne des évaluations individuelles. Nous n’avons retenu que les projets ayant une criticité supérieure ou égale à 3 (important).

Au fur et à mesure de la mise en place du programme de transfert des compétences critiques, je remarque deux types de comportements. Les plus jeunes des participants, avides de connaissances, développent une attitude constructive, adoptent volontiers les concepts expérimentés en séances de formation et se les approprient en les adaptant pour favoriser le processus de transfert. Les plus anciens des participants par contre, parmi lesquels les 3 experts porteurs des savoirs à transférer, développent une forte résistance. Critique systématique du programme, de la direction, de la DRH, des contenus, de la durée et de la fréquence des séances de travail, etc. Aucun engagement n’est jamais tenu et les anciens n’assistent que très épisodiquement aux séances de travail collectif même lorsque celles-ci avaient été planifiées longtemps à l’avance. Tentative répétée de prise de contrôle du projet par l’expert bureau d’études. Chaque proposition du consultant est savamment contrée et redéfinie. Confrontation compétition entre l’expert R&D et l’un de ses collaborateurs très lourdement diplômé, au sujet de détails opératoires. Posture de suiveur de l’expert commercial qui relève rarement les objections de ses disciples potentiels laissant ainsi passer de précieuses opportunités de transfert d’expérience.

Aucune des rares les actions planifiées par les membres ne sont menées à terme. Chaque opportunité de transfert est soigneusement évitée.

La DG n’apparaît plus du tout après le lancement du programme et la DRH reste sourde aux compte rendus que je lui transmets régulièrement.

Qu’aurait-il fallu faire pour donner plus de chances de réussite à ce projet ?

  1. Le DG aurait dû obliger les experts à se mettre d’accord sur une liste commune
  2. La DRH aurait dû élargir le périmètre et garder la liste des 25 disciples proposés au départ
  3. Constatant l’absence de volonté de collaboration du management, le consultant aurait dû se désengager de ce projet.

N’hésitez pas à nous donner votre avis via le post d’un commentaire dans la zone prévue à cet effet à la suite de l’article .

Par Dino Ragazzo

12 expériences de management réelles

  1. Expérience #1 : « Je ne vaux plus rien »
  2. Expérience #2 : « Je sais ! Je sais ! Du savoir à la compétence »
  3. Expérience#3: « ça ne marche pas« 
  4. Expérience#4 : Managers attention : le succès rend aveugle !
  5. Expérience#5 : Passe-droits, privilèges et courage
  6. Expérience#6 : Justice pour les collaborateurs, solitude pour les managers
  7. Expérience#7 : Le soi du Gestalt consultant comme outil d’observation des processus
  8. Expérience#8 : Perfectionnisme : une coûteuse erreur de management

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