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Reportage

Expérience#3: «ça ne marche pas»

Posté le par Pierre Thouverez dans Entreprises et marchés

Troisième article d'une série qui en comportera 12. A travers le récit d'une expérience de management réelle, nous vous proposons de choisir, en votre âme et conscience, entre trois formules présentant chacune une manière différente de clôturer un problème concret. Aujourd'hui, choix, liberté et responsabilité sont au coeur de cet épisode !

Pour anticiper le prochain départ à la retraite de 3 cadres supérieurs (Bureau d’études, R&D, Commerce) détenteurs de compétences clés de l’entreprise, la Direction Générale de l’établissement français, composé de 500 salariés, d’une grande entreprise internationale de l’énergie me demande de l’accompagner dans la mise en place d’une démarche favorisant le transfert d’expérience. Pour bénéficier des meilleures conditions de transfert, la DRH demande aux trois experts de nommer les dix principaux salariés (les disciples) avec lesquels initier cette démarche. Sans aucune concertation, chaque expert fournit sa propre liste. Ces listes font apparaître 25 collaborateurs au lieu des 10 personnes clés envisagées au départ. Ébahis, perplexes et embarrassés, le tiers de ces « heureux » élus demande ce qui a bien pu leur valoir cette nomination. Ce qui, aux yeux des experts, était considéré comme une marque de distinction, apparaissait, à cette poignée de disciples déconcertés, comme étant une injuste inculpation à des corvées supplémentaires et inutiles.

Informés de cette situation, les experts soulignent, chacun de leur côté et avec des arguments très rationnels, la légitimité de leur liste et maintiennent leurs prescriptions. Ignorant ma proposition, aucun ne juge utile de lancer une concertation ni même de dialoguer avec les « lauréats d’office ».

Devant cette difficulté, et toujours sans aucune concertation, le DRH impose une quatrième liste préférant, à partir des listes précédentes, les personnes ayant des responsabilités managériales et ajoutant d’autres noms pour constituer une liste finale de 10 personnes. Aucun des 3 experts ne manifeste un quelconque sentiment de réprobation. La logique de la DRH semble acceptée.

Au cours des premières séances de travail, les participants ont élaboré une liste de 30 compétences critiques.

Les 3 critères retenus pour classer ces priorités sont :

  1. VAS: Valeur Ajoutée Stratégique de la compétence
  2. RP: Risque de Perte de la compétence
  3. SA: Spécificité (pas possible d’acquérir ce savoir par une autre formation)

Chacun de ces 3 critères a été  examiné  selon sa criticité (échelle 1 à 4 : 1=Négligeable – 2=Modéré – 3=Important – 4=Considérable)

Les participants ont été invités à échanger entre eux à chaque fois qu’un écart supérieur ou égal à 2 points était constaté sur les évaluations individuelles des criticités. Le niveau de criticité final a été établi en faisant la moyenne des évaluations individuelles. Nous n’avons retenu que les projets ayant une criticité supérieure ou égale à 3 (important).

Au fur et à mesure de la mise en place du programme de transfert des compétences critiques, je remarque deux types de comportements. Les plus jeunes des participants, avides de connaissances, développent une attitude constructive, adoptent volontiers les concepts expérimentés en séances de formation et se les approprient en les adaptant pour favoriser le processus de transfert. Les plus anciens des participants par contre, parmi lesquels les 3 experts porteurs des savoirs à transférer, développent une forte résistance. Critique systématique du programme, de la direction, de la DRH, des contenus, de la durée et de la fréquence des séances de travail, etc. Aucun engagement n’est jamais tenu et les anciens n’assistent que très épisodiquement aux séances de travail collectif même lorsque celles-ci avaient été planifiées longtemps à l’avance. Tentative répétée de prise de contrôle du projet par l’expert bureau d’études. Chaque proposition du consultant est savamment contrée et redéfinie. Confrontation compétition entre l’expert R&D et l’un de ses collaborateurs très lourdement diplômé, au sujet de détails opératoires. Posture de suiveur de l’expert commercial qui relève rarement les objections de ses disciples potentiels laissant ainsi passer de précieuses opportunités de transfert d’expérience.

Aucune des rares les actions planifiées par les membres ne sont menées à terme. Chaque opportunité de transfert est soigneusement évitée.

La DG n’apparaît plus du tout après le lancement du programme et la DRH reste sourde aux compte rendus que je lui transmets régulièrement.

Qu’aurait-il fallu faire pour donner plus de chances de réussite à ce projet ?

  1. Le DG aurait dû obliger les experts à se mettre d’accord sur une liste commune
  2. La DRH aurait dû élargir le périmètre et garder la liste des 25 disciples proposés au départ
  3. Constatant l’absence de volonté de collaboration du management, le consultant aurait dû se désengager de ce projet.

N’hésitez pas à nous donner votre avis via le post d’un commentaire dans la zone prévue à cet effet à la suite de l’article .

Par Dino Ragazzo

12 expériences de management réelles

  1. Expérience #1 : « Je ne vaux plus rien »
  2. Expérience #2 : « Je sais ! Je sais ! Du savoir à la compétence »
  3. Expérience#3: « ça ne marche pas« 
  4. Expérience#4 : Managers attention : le succès rend aveugle !
  5. Expérience#5 : Passe-droits, privilèges et courage
  6. Expérience#6 : Justice pour les collaborateurs, solitude pour les managers
  7. Expérience#7 : Le soi du Gestalt consultant comme outil d’observation des processus
  8. Expérience#8 : Perfectionnisme : une coûteuse erreur de management
Pour aller plus loin

Posté le par Pierre Thouverez

Les derniers commentaires

  • je choisirais la solution 2,sauf que au lieu de 25 personnes je maintiendrais les 10 initialement prévues,mais que ces dix personnes soient le choix commun de la DG,la DRH,et les experts manageur(pour leur avis sur la pertinence des postes occupées par le 10 personnes)

  • Il est intéressant de noter que -mis à part les « disciples » – récepteurs présumés des précieux savoirs, tous les autres acteurs sont -souvent non consciemment – en proie à la résistance au changement.
    Le DRH impose sa liste au départ…puis reste sourd à mes fréquentes alertes.
    Le DG lance le projet puis disparait du champ.
    Les Experts – c’est le moins qu’on puisse convenir- ne font pas preuve de motivation à transmettre leurs savoirs. (Ils n’assistent qu’épisodiquement aux réunions de travail planifiées).
    Ce cas de figure se rencontre souvent dans les programmes d’accompagnement du changement: les résistance ne proviennent pas uniquement du côté des collaborateurs. Les donneurs d’ordres jouent également leurs parts de résistances. Ensemble chacun est plus fort… surtout pour que rien ne change. 🙂

  • Pour moi, la solution 2 « La DRH aurait dû élargir le périmètre et garder la liste des 25 disciples proposés au départ » aurait pu permettre d’éviter les fortes résistances de certains participants et notamment des 3 experts.

  • Il semblerait que le problème principal provient d’une forte mésentente entre les 3 experts, et un blocage des experts sur la manière dont cette transmission de savoirs se fera. Pour quelle raison ? Il faudrait pouvoir analyser cette situation afin que ce conflit larvé ne nuise pas à la transmission des savoirs. Je vote donc pour la solution 1, à savoir obliger les experts à se mettre d’accord sur une liste, et sur une stratégie commune, en ayant pour objectif la réussite du transfert des compétences et l’avenir de l’entreprise.

  • Je pense que pour une bonne cohésion et pour obtenir la collaboration de tous la solution 1 aurait été la meilleure.
    En « obligeant » les experts à réduire, en concertation, une liste de 10 personnes, ils auraient pu exclure d’eux-mêmes les personnes qui montraient une résistance, se sentir responsable de leurs choix et créer un véritable esprit d’équipe. Ainsi leur participation aurait été plus active puisque la réussite du projet dépendait de leur décision initiale.

  • Rien de plus frustrant pour des salariés qu e de leur demander leur avis et ne pas en tenir compte lorsqu’il s’agit de mettre en oeuvre un plan d’actions.
    Les experts se sont naturellement sentis exclus du processus de transfert de compétences après qu’ils aient été consultés et que leur avis n’ait pas été pris en compte dans son intégralité.
    Je choisirais la solution N°2 en conservant les 25 experts, quite à réduire les groupes de travail par domaine d’expertise ou ne conserver que ceux qui montrent un réelle motivation (peut-être en grande partie les jeunes).
    La communication est bien entendu à revoir car il aurait fallu une réunion pour expliquer le choix, la démarche de formation en valorisant les personnes sélectionnées par les experts et incluant le DG, la DRH et les experts séance.
    La solution N°3 est la plus simple mais en tant que consultant notre fonction est aussi de trouver les mots justes pour faire adhérer le DG au projet. Hormis le coût engendré par notre mission pour son entreprise, il y aura le coût de la perte de technologie, compétences et connaissance si la synergie entre les experts et ‘sélectionnés’ ne marche pas.
    A considérér également une motivation financière sur le groupe impliqué dans le transfert pour s’assurer de la motivation des experts et des disciples à le réussite de ce projet.


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