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Préfabrication bois-béton : Timberium et la SATT Sayens plus unies que jamais

Posté le 7 novembre 2025
par Benoît CRÉPIN
dans Innovations sectorielles

Après avoir accompagné la start-up Timberium dans une première étape clé de transfert technologique concrétisée en 2024, la SATT Sayens a annoncé, en septembre dernier, sa prise de participation au capital de la jeune pousse. Un renforcement des liens unissant les deux entités, qui devrait permettre à Timberium de parachever la maturation de sa solution destinée à la construction hors-site mixte bois-béton.

Issue de travaux menés pendant plusieurs années au sein du Laboratoire d’études et de recherche sur le matériau bois (LERMaB[1]), la technologie aujourd’hui portée par Timberium après la signature, fin 2024, d’une licence entre son créateur Sylvain Amroun et la SATT[2] Sayens, repose sur une solution constructive nouvelle : un connecteur mécanique innovant permettant d’assembler de manière optimale des composants en bois et des éléments en béton.

L’innovation permet ainsi la production hors-site industrielle de planchers collaborant bois-béton aux multiples atouts : plus faciles à fabriquer, mais aussi plus rapides à mettre en œuvre, ils offrent un gain de performance qui se traduit par d’importantes économies de matière et d’énergie, réduisant ainsi le coût de la solution, tout en la rendant plus durable. Romain Liège, président de la SATT Sayens, et Sylvain Amroun, P.-D.G. de Timberium, reviennent pour Techniques de l’Ingénieur sur la genèse de ce projet situé au carrefour de la recherche académique et de l’entrepreneuriat. Ils nous dévoilent aussi les perspectives ouvertes par cette récente prise de participation de la SATT Sayens au capital de la jeune pousse strasbourgeoise.

Techniques de l’Ingénieur : Quelles sont, en quelques mots, vos fonctions respectives ?

Spécialiste des questions de propriété industrielle, Romain Liège préside la SATT depuis janvier 2025. © SATT Sayens

Romain Liège : Je préside la SATT Sayens depuis janvier dernier, après avoir occupé d’autres fonctions au sein de la structure depuis mon arrivée en 2017, notamment celles de directeur de la propriété intellectuelle, et de directeur général adjoint.

Ingénieur structure et R&D, spécialiste (et amoureux) du bois, Sylvain Amroun a créé Timberium fin janvier 2024. © SATT Sayens

Sylvain Amroun : Je suis le créateur et dirigeant de Timberium. Je suis issu du monde de la construction bois, dans lequel j’ai fait mes études et mes armes : j’ai travaillé pour de grandes entreprises de charpentes, notamment dans le cadre de la construction de bâtiments pour les JOP de Paris 2024. Après un passage dans une entreprise de gros œuvre béton, j’ai pu monter mon projet d’entreprise à la suite de cela.

Quelles sont justement les origines de la création de Timberium ?

S.A. : J’ai en fait créé deux entités distinctes : un bureau d’ingénierie d’une part – Timberium Ingénierie – mais également Timberium, que j’ai fondée exclusivement dans le but de développer une technologie issue du LERMaB, dont j’avais eu préalablement connaissance [lire plus bas, n.d.l.r.], et qui concerne les planchers mixtes bois-béton…

Le plancher collaborant bois-béton en tant que tel n’est pas un concept nouveau. Le LERMaB a cependant développé une technologie innovante portant sur un aspect clé  : la connexion mécanique entre le bois et le béton. Il s’agit, plus précisément, d’une nouvelle typologie de connecteur. Ces connecteurs sont des éléments linéaires, qui permettent d’éviter les glissements entre le béton et le bois. Leur configuration linéaire et leurs performances supérieures à tout ce qui se fait sur le marché actuellement permettent deux choses : d’une part de limiter fortement le glissement, ce qui permet d’obtenir une connexion quasi soudée avec un ratio de l’ordre de 90 %, contre 30 à 40 % avec des solutions plus traditionnelles, mais aussi, d’autre part, de préfabriquer de manière industrielle les éléments.

Cette technologie permet la préfabrication des éléments et bénéficie ainsi de tous les avantages d’une préfabrication en usine : cadence, baisse des coûts, facilité de mise en œuvre sur chantier, etc.

C’est donc sur la base de cette technologie du LERMaB que j’ai poursuivi un travail de développement interne à Timberium, avec l’objectif d’amener la technologie d’un TRL[3] 3 à un TRL 8. Je mène actuellement le dernier sprint… La maturation produit est achevée. Je m’attelle désormais à son industrialisation et à sa caractérisation mécanique, au travers d’une campagne d’essais. J’espère obtenir le sésame délivré par le CSTB – un ATEx – à l’horizon mi-2026. Ce qui me permettra aussi de multiplier les partenariats avec des spécialistes de la préfabrication.

Qu’est-ce qui distingue votre solution d’autres approches déjà disponibles sur le marché de la préfabrication mixte bois-béton ?

S.A. : Cette solution de plancher collaborant portée par Timberium fait partie de la famille des planchers collaborants bois-béton, et offre des améliorations substantielles tant sur le plan des performances que du prix. Il existe en effet d’autres approches mêlant béton et bois, notamment le béton de bois, ou la dalle béton préfabriquée isolée à l’aide de panneaux de fibres de bois, qui sont cependant très différentes de ce que nous faisons. Il s’agit de solutions essentiellement centrées sur la réduction de l’empreinte carbone et l’intégration de carbone biogénique et non sur l’amélioration des qualités mécaniques des éléments préfabriqués. Notre technologie de plancher collaborant préfabriqué permet, quant à elle, de combiner ces deux avantages. Elle ne se destine pas forcément aux planchers d’une longueur inférieure à cinq mètres, pour lesquels des dalles béton classiques ou des planchers bois sont généralement mis en œuvre, mais plutôt à des planchers d’une portée supérieure. Notre solution est en effet l’une des seules à pouvoir répondre à ce type de cas d’usage à un prix compétitif, et pour des performances adaptées.

La solution développée par Timberium permet de réduire l’empreinte carbone, mais aussi d’améliorer les qualités mécaniques des éléments préfabriqués. © Timberium

L’un des grands intérêts de ce connecteur est qu’il permet de réduire à la fois les quantités de béton, mais aussi de bois mis en œuvre. Le béton armé de faible épaisseur sert de dalle de compression. L’épaisseur de la dalle béton varie en fonction de la résistance au feu souhaitée : de 8 cm pour 60 minutes de résistance, à 10 cm pour 90 minutes de résistance. Cette approche permet donc à la fois de réduire l’empreinte carbone du plancher, tout en lui conférant des propriétés intéressantes, notamment la résistance à l’eau, mais aussi au feu, et ce à la fois en phase chantier – un enjeu fort dans la construction bois – et une fois la construction achevée.

Tout cela avec, en plus, une grande rapidité de mise en œuvre : tous les éléments fabriqués à façon arrivent entièrement préfabriqués sur le chantier, et permettent une cadence de pose de l’ordre de 400 m2 par jour, à deux personnes.

Le modèle de Timberium est unique dans le monde de la mixité bois-béton et repose sur des partenariats industriels avec les acteurs de la préfabrication béton et bois. L’idée est de pouvoir fournir une solution technique équivalente en performance et qualité sur tout le territoire français, puis européen. Nous sommes d’ailleurs à la recherche de partenaires de fabrication bois et béton dans de multiples régions de France afin de répliquer le modèle démarré dans le Grand-Est.

Quelles sont les origines de ce transfert de technologie du LERMaB vers Timberium ? Quel rôle la SATT Sayens a-t-elle joué dans ce processus ?

R.L. : En tant qu’office de transfert de technologies de l’Université de Lorraine, nous avons notamment un rôle de détection des innovations portées par les laboratoires. En 2021, nous avons pris connaissance d’une innovation portée par le LERMaB en discutant avec plusieurs chercheurs de ce laboratoire à l’origine de la technologie aujourd’hui reprise par Timberium. Nous discutions au départ d’une autre technologie, dans le but de la protéger par un brevet, mais en parcourant le laboratoire, nous avons également identifié le prototype de cette technologie de connecteur bois-béton qu’évoquait Sylvain, et nous nous sommes finalement rendu compte qu’elle méritait elle aussi d’être développée, notamment parce qu’elle présentait un potentiel commercial important. Nous n’étions pas venus pour cela au départ, mais avons finalement entrepris de déposer une deuxième demande de brevet, pour cette autre technologie sur laquelle est aujourd’hui l’offre de Timberium.

Cela a abouti à une première déclaration d’invention. Nous avons ensuite déposé une demande de brevet en France, en avril 2021, puis en Europe. La SATT a ainsi joué un premier rôle dans la protection de la propriété intellectuelle de l’Université de Lorraine. Nous avons ensuite commencé à travailler au transfert de cette technologie. C’est à ce moment que Sylvain a pris part à l’aventure… Cela a abouti à la signature, fin 2024, d’un contrat de licence exclusive entre la SATT Sayens et Sylvain. Nous avons ensuite entamé une phase de co-maturation de la technologie avec lui, à partir d’un cahier des charges qu’il a lui-même établi, en lui apportant notamment des financements.

Vous disiez, Sylvain, avoir eu connaissance de la technologie développée par le LERMaB avant même d’envisager la création de Timberium. Pour quelles raisons, et qu’est-ce qui vous a conduit à vous lancer dans son industrialisation ?

S.A. : J’avais en fait déjà travaillé au préalable avec des chercheurs du LERMaB, au début de ma carrière… Je connaissais donc bien les deux inventeurs de cette technologie, qui m’ont informé de leur volonté de la mettre sur le marché, avec l’aide de la SATT Sayens. Maîtrisant déjà les notions d’ingénierie nécessaires pour mener à bien la maturation de cette technologie, j’ai donc décidé de me lancer dans le projet Timberium. J’avais déjà travaillé avec des produits concurrents ; je connaissais déjà bien le marché auquel se destinent ces solutions, et cette expérience m’a fait prendre conscience que la technologie du LERMaB était la plus optimale. Elle permet en effet de répondre à de très nombreuses contraintes, sans pour autant verser dans l’overengineering[4]. Ce qui est d’ailleurs souvent le cas même avec un plancher 100 % bois : pour le rendre résistant au feu, on ajoute un faux plafond ; pour améliorer ses propriétés acoustiques, on ajoute une chape en surface, un faux plafond acoustique… À la fin, cela donne une solution très onéreuse, et compliquée à mettre en œuvre.

La technologie aujourd’hui développée par Timberium s’incarne dans deux solutions complémentaires : des planchers nervurés avec sous-face béton et bois visible et des planchers dalles pleines bois-béton. Ces deux produits permettent d’avoir l’équivalent d’une chape, mais une chape qui travaille. Ce qui change tout : son comportement au feu, à l’eau, ses propriétés acoustiques… et en fait ainsi une solution bien plus pertinente d’un point de vue technico-économique — solution qui se destine d’ailleurs à de très nombreux marchés dans le secteur de la construction, et pas uniquement au domaine de la construction bois : les constructeurs traditionnels sont également nos clients.

Qu’est-ce qui a amené la SATT Sayens à s’engager encore davantage aux côtés de Timberium, en prenant une participation au capital de l’entreprise, comme vous l’avez annoncé conjointement mi-septembre ?

R.L. : Cette prise de participation, que nous avons, en effet, annoncée officiellement le 19 septembre dernier, nous semblait constituer une approche pertinente pour l’ensemble des parties. Nous l’avons fait d’abord et avant tout parce que nous croyons dans le projet Timberium, à la fois dans la technologie de base, et dans le projet porté par Sylvain. Cette prise de participation peut potentiellement aussi amener des fonds d’investissement à s’intéresser au projet… En tant qu’actionnaire, notre implication va d’ailleurs être forte aussi sur ce plan de la recherche de financeurs, ainsi que sur le plan stratégique. Plus forte d’ailleurs qu’avec un schéma plus classique de licence technologique.

La mise en œuvre de la solution sur un premier chantier est prévue l’an prochain.

Vous évoquiez, Sylvain, votre engagement dans un « sprint final ». Où en est précisément, aujourd’hui, le développement de l’offre portée par Timberium ? Quels objectifs de déploiement visez-vous à moyen ou long terme ?

S.A. : La solution a déjà été testée à l’échelle 1 en laboratoire. Sa mise en œuvre sur un premier chantier est prévue en juin 2026, concomitamment à la fin de la campagne d’essais que nous menons. Cela devrait ainsi coïncider avec l’obtention de l’ATEx, que j’évoquais plus tôt. Ce sésame, rattaché à un premier chantier, devrait nous permettre d’essaimer ensuite la solution sur d’autres chantiers dans toute la France. Il nous reste toutefois à faire valoir les intérêts de nos produits, ce que vont m’aider à faire nos partenaires préfabricants. Ce réseau est un point clé de notre modèle économique, et va nous permettre de diffuser la solution plus facilement et plus rapidement en France, mais aussi en Europe à moyen terme, y compris d’ailleurs sur le marché de la construction traditionnelle.

R.L. : Cela peut sembler paradoxal, mais le fait d’avoir d’ores et déjà des concurrents sur le marché est d’ailleurs aussi un moyen de convaincre et de mener un processus de conduite du changement chez les clients potentiels. Timberium arrive sur un marché où les clients ont déjà connaissance d’autres concepts de ce type, et a l’avantage – majeur – d’arriver avec une technologie qui remédie à tous les inconvénients de ses devancières, et qui, en outre, est systématiquement moins chère.

S.A. : À moyen terme, nous espérons, comme je le disais, multiplier les partenariats industriels avec des préfabricants, mais aussi les produits et applicatifs. J’aimerais, à terme, pouvoir proposer trois produits : planchers, murs, et solutions hybrides, à destination notamment des data centers.

Plus largement, quel est votre point de vue sur la dynamique de la filière construction bois — et plus particulièrement de la préfabrication bois ?

S.A. : La filière bois se porte relativement bien au regard de la situation des filières traditionnelles… Quant à la préfabrication, il s’agit d’une filière à développer encore en priorité selon moi. Il existe en effet un gros problème de main-d’œuvre : les ouvriers qualifiés manquent à l’appel sur les chantiers, et le savoir-faire se perd. Personne n’a envie de travailler sous la pluie ou pendant une canicule… Le passage à des solutions industrielles est donc de mon point de vue obligatoire pour parvenir à répondre à la demande.

Elles amènent à la fois du confort de travail au personnel sur les chantiers, et de la performance technique. Au vu des contraintes économiques et du contexte sociétal, une chose est sûre : la préfabrication est pour moi une solution d’avenir.

Reste-t-il malgré tout des freins éventuels au développement de la filière ?

S.A. : Au niveau réglementaire, un flou subsiste autour de la filière bois tout entière. Il porte sur la révision de la réglementation incendie. Un changement est en cours – et devrait se concrétiser d’ici à la mi-2026 – mais les difficultés politiques actuelles font que cela prend du temps. Or, le manque de visibilité sur le plan réglementaire est un frein majeur pour les entreprises du secteur, et a fortiori pour une start-up comme Timberium. On se dirige toutefois vers un resserrement des contraintes, ce qui fait qu’une solution nativement résistante au feu dès la phase chantier comme celle de Timberium devrait finalement avoir une place encore plus importante sur le marché à court terme.


[1] Laboratoire pluridisciplinaire en sciences du bois créé en 1993 au sein de l’Université de Lorraine, qui mène des travaux de recherche et d’innovation au service des transitions écologiques, économiques, énergétiques et industrielles dans les différents usages du bois.

[2] Société d’accélération du transfert de technologie.

[3] Technology readiness level.

[4] Sur-ingénierie.


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