Le réchauffement climatique est un phénomène devenu incontestable, grâce aux mesures précises de températures réalisées à la surface du globe et aux nombreuses études scientifiques, notamment rassemblées par les experts du GIEC* (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) depuis 1988. La prise de conscience de ce réchauffement climatique par les pouvoirs publics a mené à une première conférence internationale à Rio en 1992, suivie par des rendez-vous annuels, les COP (Conference Of the Parties) depuis 1995, afin de réfléchir et d’engager les pays vers une limitation de la température moyenne de la surface du globe. Le COP3 à Kyoto (1997) a notamment mené au « Protocole de Kyoto », signé et ratifié par plus de 190 États, dont l’ensemble des pays d’Europe. La COP 21 à Paris en 2016 a mené à de nouveaux engagements sur la limitation du réchauffement global (les accords de Paris).
Le secteur du bâtiment en Europe représente une part non négligeable des émissions de gaz à effet de serre (GES*) de source anthropique : de l’ordre de 40 à 45 % selon les études . Ces GES sont liés à la fois à la construction des bâtiments (extraction des matières premières, transports, transformation, mise en œuvre sur le chantier, maintenance, fin de vie) et à l’usage des bâtiments (chauffage, éclairage, refroidissement, ventilation, eau chaude sanitaire, électroménager). Actuellement, l’usage représenterait environ trois quarts des émissions et la construction un quart . C’est pourquoi les Pouvoirs publics, depuis les années 1990, ont principalement axé les règlementations sur la maîtrise de l’énergie d’usage, via les règlementations thermiques. L’objectif étant de viser la construction de bâtiments à énergie positive dès 2020 : des bâtiment passifs, équipés de systèmes de production d’énergie. Atteindre cet objectif signifie augmenter la quantité de matériaux isolants dans l’enveloppe des bâtiments. La diminution de l’énergie d’usage accompagnée de l’augmentation de la quantité de matériaux dans les parois oriente logiquement de plus en plus l’attention sur les matériaux, leur contenu énergétique et leurs impacts environnementaux. En France, ceci fait l’objet de l’expérimentation E+C– (Bâtiments à Énergie Positive et Réduction Carbone), débutée en novembre 2016.
Les matériaux du bâtiment sont souvent vus comme des « émetteurs de GES », à l’image des matériaux cimentaires et des produits de la sidérurgie. Pour ces secteurs, l’effort écologique consiste à limiter la production de GES liée à leurs produits : optimisation des procédés, filières de combustibles alternatifs, utilisation d’énergies renouvelables, économie circulaire, filières de matières premières à faible impact environnemental.
Les matériaux bio-sourcés*, au contraire, captent du CO2 au cours de leur croissance via la photosynthèse. L’usage de ces matériaux pour la construction pourrait compenser les émissions des autres matériaux à l’échelle d’un bâtiment, voire permettre de considérer les bâtiments comme des puits de carbone. La condition pour cela est que leur gisement soit géré de manière durable, notamment dans le cas du bois d’œuvre ou des matériaux d’isolation issus de bois d’arbre : en terme de bilan carbone, une forêt exploitée est dite durable si la biomasse extraite durant une année est compensée par la biomasse créée durant cette même année. Ceci nécessite de prendre en compte plusieurs facteurs tel que la croissance d’un arbre et donc la période de révolution au sein d’une exploitation forestière qui dure entre quelques dizaines d’années (minimum 20 ans pour certains résineux) et quelques centaines d’années (jusqu’à 300 ans pour certains feuillus). Cependant, la période de croissance d’un arbre doit être mise en vis-à-vis de la durée de vie du bâtiment. Compte-tenu de cette problématique, les matériaux agro-sourcés, qui sont des plantes annuelles, pourraient être considérés comme de meilleurs candidats pour répondre à la demande croissante de matériaux de construction tout en stockant temporairement du carbone. Les principaux matériaux issus de plantes annuelles actuellement utilisés en Europe comme matériaux d’isolation sont les fibres de chanvre et de lin, la chènevotte de chanvre et la paille de blé. Mais d’autres sont actuellement étudiés, parmi lesquels les anas de lin, la moelle et l’écorce de tournesol, le miscanthus, la balle de riz ou le roseau phragmite. Le bois d’arbre quant à lui se destine principalement à quatre types de produits : le bois de structure (poteaux, poutres et ossatures), les revêtements de sols et de parois (parquets, lambris, bardages), les panneaux de particules (sols, contreventements) et la laine de bois (isolation).
L’ensemble de ces produits bio-sourcés* pourrait représenter à moyen terme un volume conséquent de stockage de carbone. Mais ce potentiel de stockage doit être calculé et validé scientifiquement, en réalisant une analyse de cycle de vie complète et en répondant à plusieurs questions importantes :
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quels sont les principaux gaz à effet de serre liés aux matériaux bio-sourcés, quel est leur effet sur le réchauffement climatique et comment est-il calculé et pris en compte actuellement ?
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comment croissent les plantes, quelle est leur constitution, quel est l’ordre de grandeur de leur contenu carbone en fonction de l’espèce et quelles sont les émissions de GES liées à leur cycle de vie ?
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la durée de vie des bâtiments et des produits va directement conditionner le temps de stockage du carbone : quelle durée de vie choisir et quelle est la durée de vie standard actuelle ?
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comment prendre en compte le temps, la cinétique de dissolution des gaz à effet de serre à l’échelle de la planète et le stockage temporaire du carbone dans une analyse de cycle de vie (ACV) ?
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quelle est la contribution potentielle des matériaux de construction bio-sourcés à la réduction des gaz à effet de serre dans l’atmosphère ?