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Un monde énergétique en profonde mutation

Posté le 25 octobre 2023
par Stéphane SIGNORET
dans Énergie

Dans un contexte de crise qui rappelle celle des années 70, l’Agence internationale de l’énergie dresse son bilan annuel. Elle souligne comment le système énergétique s’est engagé dans une transformation profonde, qu’il est nécessaire d’accélérer.

Créée en réponse à la crise pétrolière du début des années 70, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) vient de dresser un portrait du système énergétique mondial en pleine évolution. Les prix élevés du pétrole actuellement pourraient faire croire à une similitude du constat qu’elle dressait dans ses jeunes années. Mais la situation que l’AIE vient de révéler dans son World Energy Outlook est bien différente de celle qui prévalait il y a 50 ans, à la fois par le niveau de consommation, par le besoin de réduire le recours aux énergies fossiles dans le cadre des politiques climatiques, et par l’existence de solutions alternatives.

Le constat, d’abord. Par apport à 1973, la consommation d’énergie dans le monde a été multipliée par trois, d’environ 200 à 600 exajoules. La consommation de pétrole est passée d’un peu moins de 60 millions de barils par jour à 100 millions. La production d’électricité est passée de 5 000 à près de 28 000 TWh : à elles seules, les énergies renouvelables d’aujourd’hui produisent plus d’électrons que toute l’électricité consommée il y a 50 ans !

Poids majeur du solaire photovoltaïque

La contrainte du bouleversement climatique s’est imposée entre temps, conduisant les gouvernements à lancer des politiques d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Pour en évaluer la pertinence, l’AIE met à jour trois scénarios tous les ans : un qui reflète les politiques en cours (STEPS – Stated Policies Scenario), un autre qui modélise les objectifs des États (APS – Announced Pledges Scenario) et un dernier donnant la vision des actions à mener pour limiter le réchauffement planétaire moyen à +1,5°C comme indiqué dans l’Accord de Paris (NZE – Net Zero Emissions). Pour la première fois depuis les débuts du World Energy Outlook, l’Agence annonce qu’il y aura un pic de consommation des énergies fossiles d’ici la fin de la décennie. Des changements bien réels le montrent déjà : les ventes de véhicules thermiques sont inférieures à leur niveau d’avant la pandémie de Covid-19 ; les nouvelles installations de centrales électriques au charbon ou au gaz sont moitié moins nombreuses qu’avant ; les ventes de chaudières gaz dans le résidentiel ont baissé et sont maintenant dépassées par la vente de pompes à chaleur dans plusieurs pays d’Europe ou aux États-Unis. Pétrole, gaz et charbon qui comptent depuis longtemps pour 80 % de la consommation mondiale d’énergie verront cette part descendre à 73 % en 2030 selon le STEPS. Cette part atteint même 69 % pour APS ou 62 % dans NZE.

Dans un monde en croissance (+2,6 % par an en moyenne jusqu’en 2050) et avec une population qui va passer de 8 à 9,7 milliards de personnes, le défi est d’amplifier le désinvestissement dans les énergies fossiles. Dans le scénario NZE, cela se traduit par financer dix fois plus de solutions propres dès 2030, avec des niveaux d’investissements globaux entre 4 700 et 5 000 milliards $ par an entre 2030 et 2050.

Pour l’AIE, le chemin à suivre est tout tracé : il faut tripler les capacités d’énergies renouvelables d’ici 2030, porter simultanément la baisse de l’intensité énergétique à 4 % par an (soit deux fois plus qu’actuellement), réduire de 25 % la consommation d’énergies fossiles, et réduire de 75 % les émissions de méthane des installations pétrogazières. La forte électrification envisagée pour la transition va être principalement le fait des énergies renouvelables. En utilisant seulement une fraction de leur potentiel, elles vont contribuer à 80 % des nouveaux moyens de production d’électricité d’ici 2030 (STEPS). Le solaire photovoltaïque compte pour la moitié, grâce à d’importantes capacités des équipementiers qui pourraient presque doubler d’ici la fin de la décennie et atteindre 1 200 GW/an, principalement en Chine.

Dans le scénario STEPS, 500 GW de photovoltaïques sont installés par an en 2030, ce qui oblige déjà à anticiper le renforcement des réseaux électriques, l’ajout de capacités de stockage d’électricité et de mécanisme de modulation de la demande. En passant à 800 GW par an comme l’envisage le scénario NZE, les effets seraient importants : la production d’électricité à partir de charbon baisserait de 20 % en Chine, et celle à partir d’énergies fossiles en Amérique latine, en Afrique, en Asie du Sud-est et au Moyen-Orient baisserait de 25 %. Dans l’éolien, les capacités à installer sont moindres, de l’ordre de 200 GW par an, mais restent conséquentes.

Capacités supplémentaires de solaire photovoltaïque et d’éolien installées dans le monde selon les scénarios de l’AIE. Source : Agence internationale de l’énergie, WEO 2023, page 147.

Grands défis pour l’hydrogène et le CCS

Parmi les nombreux autres aspects soulevés dans le World Energy Outlook, l’AIE évoque les véhicules électriques légers dont la part de marché a déjà triplé en deux ans pour atteindre 14 %, et pourrait flirter avec les 40 % en 2030, voire 60 % dans le cas de NZE. Le marché des pompes à chaleur est en forte croissance et sa part de marché pourrait passer de 10 % à une fourchette de 20-40 % selon les scénarios, soit 2 000 à 3 000 GW thermiques en 2030.

L’hydrogène par électrolyse est aussi examiné, avec des horizons très contrastés : dans le scénario STEPS, 7 millions de tonnes d’hydrogène bas-carbone sont produites en 2030, tandis qu’APS en envisage 25 Mt et NZE près de 70 Mt… Un passage rapide à l’échelle industrielle sera déterminant pour assurer des coûts compétitifs de cet hydrogène. Le défi semble encore plus difficile pour le captage et stockage de carbone (CCS). Les projets annoncés affichent une possibilité de 400 Mt CO2 captés en 2030, soit dix fois plus qu’en 2022. Mais dans la réalité, l’AIE note que seules 115 Mt CO2 seraient à portée de main dans STEPS.

Pour le directeur exécutif de l’AIE, Fatih Birol, on assiste à une transformation de long terme qui doit être accélérée afin de sécuriser notre futur. Même si des investissements perdurent quelques années dans les énergies fossiles, il considère que ce ne sont plus des choix sûrs pour l’avenir, non seulement pour le climat, mais également pour la sécurité d’approvisionnement, comme la crise russo-ukrainienne l’a montré, et comme la crise au Moyen-Orient le fait encore craindre.

 


Crédit image de une : Kindel Media – Pexels

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