Décryptage

La voiture à hydrogène tente de faire de la résistance

Posté le 29 août 2018
par Pierre Thouverez
dans Énergie

Les avantages offerts par la voiture à hydrogène seront-ils suffisants pour qu'elle puisse s'imposer significativement face à la voiture à batterie ?

L’agence Bloomberg New Energy Finance (BNEF) a comparé en septembre 2017 les ventes de voitures électriques à batterie et de voitures à hydrogène à l’échelle mondiale, en partageant un graphique particulièrement informatif à ce sujet. Les secondes sont quasi-inexistantes. La situation pourrait-elle changer dans les années ou décennies à venir ?  Cela semble a priori possible si l’on focalise sur le fait que la voiture à hydrogène a aujourd’hui deux avantages majeurs comparativement à la voiture à batterie: le plein d’hydrogène est réalisable en 5 minutes, et l’autonomie de la Toyota Mirai est d’environ 500 kilomètres.

Mais selon Carlos Ghosn, patron de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, «la technologie liée à l’hydrogène n’est pas accessible dans une phase immédiate car il reste beaucoup de progrès à réaliser en termes de coût et de sécurité. Nous devrons attendre dix ans et plus encore car la force de l’hydrogène se base sur les faiblesses de l’électricité. Or, la prochaine Zoé affichera 600 km d’autonomie !» Même son de cloche du côté de Patrick Pouyanné, PDG du groupe Total, numéro un français de l’énergie:  «Quand on fait les calculs économiques et que l’on regarde la filière hydrogène, on a du mal a se convaincre qu’elle a un horizon à 10 ans. Cela coûte encore très cher. La batterie électrique a aujourd’hui un temps d’avance. Toyota, qui était complètement allé sur l’hydrogène, est d’ailleurs revenu sur l’électrique.»

En outre les systèmes de charge ultra-rapide des batteries se développent peu à peu comme en témoigne la mise en place du réseau Ionity en Europe. Et l’arrivée sur le marché dans la décennie 2020 des batteries à l’état solide (solid-state battery) qui permettent précisément une charge très rapide pourrait porter l’estocade finale aux espoirs des promoteurs de la voiture à hydrogène. Ces batteries de nouvelle génération fonctionnent dès à présent parfaitement au laboratoire, la compétition est mondiale.

Rouler en voiture à hydrogène coûte et coûtera plus cher que de rouler en voiture à batterie. La raison en est simple: il faut consommer trois fois plus d’électricité pour faire un kilomètre avec la première comparativement à la seconde. La voiture à hydrogène est plombée par l’inefficacité intrinsèque de l’ensemble des étapes de transformation énergétique, pour des raisons physiques de base. Cela a bien entendu des conséquences écologiques: il faut trois fois plus d’éoliennes et de panneaux solaires pour alimenter un parc de voitures à hydrogène comparativement à un parc de voitures à batterie. Or la fabrication des éoliennes, des panneaux solaires et des structures associées (dont des transformateurs et des lignes électriques) nécessite de nombreux métaux, dont notamment le cuivre. Il faudrait donc tripler l’activité minière ainsi que la surface consommée par les pars éoliens et solaires, dont l’empreinte paysagère et écologique n’est pas neutre. Si l’hydrogène est produit à partir d’électricité nucléaire, le bilan environnemental n’est pas neutre non plus, notamment du fait de la production de déchets toxiques à très longue durée de vie. En outre la chaîne hydrogène requiert des éléments rares, dont le platine.

Les acteurs français semblent se focaliser sur le marché des véhicules utilitaires. La start-up Symbio, qui compte le CEA parmi ses actionnaires, propose d’augmenter l’autonomie de Renault Kangoo grâce à un prolongateur à hydrogène. Une opération particulièrement coûteuse. Et qui suppose la mise en place d’une infrastructure de charge elle aussi coûteuse. Il faudrait parvenir à délivrer de très gros volumes pour espérer baisser de manière appréciable les coûts. En attendant  les projets, comme celui de la «Zero Emission Valley» en région Rhône-Alpes, ne peuvent être développés qu’avec de très copieuses subventions de l’Europe, de l’état ou des collectivités. Nicolas Hulot, avec son plan hydrogène annoncé en juin, y semble favorable, même si les saupoudrages effectués par les acteurs publics laissent sceptiques de nombreux experts. Le CEA a passé de longues années de R&D à mettre au point la pile à combustible commercialisée par Symbio et rêve qu’elle devienne un succès commercial.

Face à la croissance fulgurante de la voiture électrique à batterie, batterie dont l’essentiel de la production est réalisé en Asie, des acteurs français essayent manifestement de s’accrocher aux branches de l’hydrogène. Une stratégie périlleuse. La voiture à prolongateur hydrogène va-t-elle au final devenir le nouvel EPR ?

L’Asie ayant pris une avance vraiment colossale dans le domaine des batteries classiques, le groupe Total, via sa filiale Saft, veut construire une grande usine de production de batteries solid-state en Europe. S’imposer face à l’Asie, et plus particulièrement la Chine, le Japon et la Corée du sud, va être un âpre combat.

Jean-Gabriel Marie


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