Interview

« Nous nous appuyons énormément sur l’expérience des agriculteurs » pour faire de l’agriculture urbaine

Posté le 19 février 2021
par Pierre Thouverez
dans Environnement

Aeromate est une start-up spécialisée dans la mise en place de projets d’agriculture urbaine. L’entreprise a développé une expertise en termes de conseil, d’architecture, d'installation de potagers, de production, de vente… avec la volonté de proposer une véritable lecture du territoire, pour adapter chaque projet en cohérence avec le contexte local.

Alors que les projets autour de l’agriculture urbaine se multiplient, les contraintes liées à la culture en ville complexifient à l’extrême la mise en place de business models rentables : surfaces de cultures réduites, débouchés commerciaux incertains, luminosité urbaine aléatoire… il convient donc de prendre en compte toutes ces contraintes afin de développer des modèles durables et économiquement performants

Jean-Paul Hebrard est le CEO d’Aeromate, il a accepté de répondre aux questions de Techniques de l’Ingénieur.

Techniques de l’Ingénieur : Aeromate a été fondée en 2015. Qu’est-ce qui vous a amené à développer ce projet qui s’articule autour de l’agriculture urbaine ?

Jean-Paul Hebrard : Avant de créer Aeromate, mes associés et moi avons réfléchi pendant près de dix ans à tout ce qui entoure le développement de modèles d’agriculture urbaine… Nous avons pris le temps d’observer, d’analyser les projets qui se mettaient en place.

Jean-Paul Hebrard est le CEO d’Aeromate.

Il convient également de préciser que les différents associés d’Aeromate exercent d’autres activités professionnelles en parallèle, ce qui nous a permis de prendre le temps nécessaire pour affiner notre projet.

Enfin, Aeromate a un business model construit autour de l’activité de conseil pour aider les acteurs intéressés par l’agriculture urbaine à développer des projets viables et durables. L’aspect quantitatif de la production n’est donc pas forcément la source principale de revenus.

Quelles conclusions avez-vous tirées de cette phase d’observation ?

Le fruit de ces réflexions et de ces observations nous a amené à penser, il y a environ cinq ans, que la tendance était à un développement rapide de l’agriculture urbaine ; ce qui engendrerait une phase chaotique pour les acteurs de ce développement, le temps de mettre au point des business models performants. Aussi, nous pensions que beaucoup d’associations, d’entreprises, allaient se créer autour du concept d’agriculture urbaine, poursuivant une sorte de mythe : celui de l’autonomie alimentaire. Nous projetions alors que la réalité économique rattraperait rapidement la plupart de ces initiatives, les contraintes étant extrêmement fortes, en milieu urbain, pour développer une production agricole de qualité, et compatible avec les moyens économiques de la clientèle potentielle.

Quels choix avez-vous fait pour développer un business model durable pour Aeromate ?

Nous avons pris la décision de ne pas faire de l’agriculture urbaine le cœur de notre business model. Nous nous sommes plutôt positionnés sur une expertise au niveau de la lecture du territoire : nous n’avons pas de modèles préconçus de production et de structure, ou  de techniques à mettre en place. 

Nous nous appuyons énormément, au niveau territorial, sur l’expérience des agriculteurs locaux. Ce sont eux qui connaissent les spécificités des terroirs, des sols, du climat, les différents débouchés potentiels… c’est cette lecture du territoire qui leur permet de mettre en place des modèles agricoles durables dans le temps et économiquement performants. Nous avons exactement la même approche quand quelqu’un nous propose d’investir un lieu pour y développer un projet d’agriculture urbaine.

C’est donc le contexte particulier de chaque projet qui va guider le développement de modèles d’agriculture urbaine ?

Chaque projet a ses spécificités. Prenons l’exemple d’une entreprise qui désire utiliser les toits de ses bâtiments pour y développer un projet d’agriculture urbaine, en faisant appel à nous. Nous allons commencer par évaluer quelle est la surface et la portance du toit. A partir de là, quels sont les types de productions envisageables, pour quel type de public ? C’est cette lecture du territoire qui nous amènera à proposer un projet adapté à l’enjeu local. Cela pourra donc aboutir in fine à la mise en place d’une technique de production spécifique, d’animations pédagogiques, de sensibilisation, de formation à des techniques d’agriculture urbaine… le business model mis en place est donc spécifique au lieu, et à la demande formulée.

A côté de cela, vous avez développé un concept d’agriculture urbaine dans les locaux des entreprises. Vous pouvez nous en parler ?

Nous avons développé une offre que nous appelons “room garden”. Concrètement, nous proposons aux entreprises le concept d’une nouvelle pièce dans leur bâtiment, consacrée à la production végétale. L’idée vient de deux constats : d’abord, la possibilité, pour les collaborateurs de l’entreprise, de profiter d’une pièce avec de la végétation, c’est une demande de plus en plus fréquente, avec des externalités positives en termes de bien-être notamment. Le second constat est l’évolution au niveau des choix de végétaux cultivés pour ce type d’installation : on observe actuellement un glissement en termes de culture, d’une végétalisation stérile vers une végétalisation fertile. Au lieu d’avoir une pièce avec des plantes décoratives, nous proposons une installation avec des productions végétales, ce qui permet de créer un lieu où l’on réunit les notions de nature, de détente et de bien-être.

Un concept comme le “room garden” ne répond à aucun objectif de rendement ?

Ce concept spécifique n’est effectivement pas tourné vers une production intensive, bien sûr. Ce qui est mis en place dépend des demandes du client. 

Au final, on peut distinguer deux grands types d’agriculture urbaine. Nous avons d’abord une agriculture urbaine productiviste, avec la plupart du temps des techniques de cultures étagées : cela permet aux producteurs de s’affranchir des problématiques de logistique et donc de développer une agriculture en ville productive et écologique, grâce aux économies liées au transport des produits agricoles. Un autre atout lié à la culture urbaine est celui de la qualité et de la fraîcheur des produits, qui séduit beaucoup les restaurateurs. En effet, avoir la possibilité de proposer des produits frais, cueillis quelques heures avant de se retrouver dans l’assiette, prêts à être consommés, est imbattable en termes organoleptiques.

Les modèles qui se développent aujourd’hui autour de ce concept sont de plus en plus performants, même si la culture en ville comporte encore de nombreuses contraintes. Une d’entre elles consiste à trouver des lieux urbains le plus possible exposés au soleil, et ils ne sont pas très nombreux.

D’un autre côté, on trouve une agriculture urbaine plus multifonctionnelle, répondant à divers objectifs : architecturaux, bien-être, lien social, pédagogie, formation… notre concept de “room garden” entre dans cette catégorie.

Pensez-vous que l’on peut imaginer, à l’avenir, des concepts d’agriculture urbaine développant des rendements beaucoup plus importants qu’à l’heure actuelle ?

Il y a beaucoup de technologies qui émergent aujourd’hui et qui vont permettre de développer une agriculture en ville performante et productive. Cela va d’ailleurs faire évoluer les pratiques françaises d’agriculture urbaine, pour l’instant très horizontales, vers des modèles extrêmement étagés et intensifiés. Le concept d’Aerofarms par exemple, développé à New-York, et consistant à étager au maximum les cultures, permet d’obtenir des rendements très intéressants. 

Propos recueillis par Pierre Thouverez

Illustration de une : ©Aeromate


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