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Décryptage

L’agriculture urbaine oscille entre innovation technologique et sociale

Posté le par Pierre Thouverez dans Innovations sectorielles

L’agriculture urbaine se professionnalise. La bonne image dont jouit cette activité auprès du grand public, notamment en termes écologiques, a eu pour effet de multiplier les initiatives liées à la culture en milieu urbain. Aujourd’hui, des modèles économiques diversifiés et performants ont permis aux entreprises et aux associations de développer des activités viables autour de l'agriculture urbaine. Avec des externalités positives au niveau social, et qui participent à changer l’image de l’activité agricole auprès du grand public.

L’agriculture urbaine a accompli un tour de force depuis une décennie, en réussissant à s’installer dans les villes, alors que le prix du foncier, dans nombre d’entre elles, est totalement prohibitif si on envisage d’y développer une activité agricole.

Au-delà du phénomène tendanciel, la culture en ville intéresse le grand public, dans le monde entier. La FAO (l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) estime que 800 millions de personnes à travers le monde pratiquent cette activité aujourd’hui.

Les modèles d’exploitations agricoles urbaines qui se sont développés depuis des années ont permis, au prix de nombreuses tentatives infructueuses, de mettre au point des structures économiques viables. La volonté des pouvoirs publics de réserver des espaces en ville pour l’agriculture, ainsi que celle des entreprises, désireuses d’utiliser écologiquement leurs toitures et leurs espaces au sol disponibles, ont permis l’émergence de projets agricoles urbains.

Avec des objectifs différents pour les entreprises et les associations, comme en témoigne Anne-Cécile Daniel-Hacker, coordinatrice nationale de l’AFAUP (association française de l’agriculture urbaine professionnelle) : « Les modèles économiques des entreprises et des associations d’agriculture urbaine diffèrent, car cela ne correspond pas aux mêmes objectifs. Les associations jouent un rôle d’intérêt général, social, de création d’emplois, difficilement quantifiable économiquement. Par exemple, les associations mettant en place des jardins partagés, avec des animateurs sur place, participent à faire baisser localement les incivilités, de part leur présence. C’est un fait observé par les collectivités, qui participe à l’intérêt général. Il faut bien comprendre que l’agriculture urbaine est aussi là pour répondre aux maux de la ville. En plus d’apporter des solutions au monde agricole, son rôle est essentiellement d’apporter des services à la ville : végétalisation, retour de la nature en ville, îlots de natures, oasis comestibles, animation, ateliers, alimentation… au final, l’agriculture urbaine a un rôle important à la fois dans la transition agricole et dans la transition des villes. »

Un rôle multidimensionnel donc, puisque les activités bâties autour de l’agriculture urbaine – production, animation d’ateliers, accueil du public, pédagogie autour de l’environnement, de l’alimentation… – reçoivent un accueil très favorable du public, et participent à la création d’emplois et de lien social.

L’agriculture urbaine, des externalités positives sur le social, l’emploi et la transition des villes

Ce type d’agriculture répond également à une tendance à la relocalisation des activités au niveau territorial. Une tendance qui favorise l’émergence de projets locaux, appuyée par le gouvernement : « Depuis l’année dernière, la créations de structures autour de l’agriculture urbaine explose. Le gouvernement lance de nombreux appels à projets nationaux autour de l’agriculture urbaine, comme ‘quartiers fertiles’ par exemple. Ces appels à projet, dotés d’enveloppes financières importantes, crédibilisent cette activité. Le plan de relance est notamment doté d’un appel à projet pour développer les jardins collectifs », précise Anne-Cécile Daniel-Hacker.

Cette volonté de relocalisation a aussi bénéficié, si l’on peut dire, de l’effet Covid, qui accélère la mutation des villes, et laisse une place plus importante à l’agriculture au sein des villes. “Adapter les plans de culture pour répondre aux demandes de la restauration collective de votre ville ou de votre village par exemple, cela permet de fortement lier l’activité agricole à celle de la ville. Depuis la crise du Covid, on voit de plus en plus ce type de réflexion se mettre en place au niveau local, même si c’est une transformation qui va prendre du temps”, analyse Anne-Cécile Daniel-Hacker.

Si les modèles économiques développés autour de l’agriculture urbaine ont un temps traîné comme un boulet la volonté d’aller vers une autonomie alimentaire des villes, ce qui reste aujourd’hui tout à fait utopique, les temps ont changé. Et ce sont les agriculteurs qui en parlent le mieux, comme le précise Anne-Cécile Daniel-Hacker : « Les agriculteurs ruraux qui visitent des structures d’agriculture urbaine sont souvent méfiants à priori, notamment par rapport aux modèles économiques, qui sont très différents de ceux qu’ils développent dans leur activité. Mais très vite, ils comprennent l’intérêt de l’agriculture urbaine, et notamment en termes d’image. En effet, l’agriculture urbaine véhicule une image positive de l’agriculture, en même temps qu’elle permet de faire de la pédagogie auprès du public, et l’agriculture française a terriblement besoin de cela. »

L’apport du monde associatif

SI beaucoup d’entreprises se lancent aujourd’hui dans des projets d’agriculture urbaine, les modèles associatifs portent aujourd’hui les aspects sociaux, environnementaux et d’insertion autour de cette activité.

Gérard Munier est directeur général chez Le Paysan Urbain. Cette association, qui développe des projets d’agriculture urbaine autour de la production de micro-pousses, réalise la moitié de son chiffre d’affaires grâce à sa production agricole. L’autre moitié est issue du mécénat et de subventions. Si l’association a pour objectif de tendre vers un modèle économique autonome, Gérard Munier insiste sur l’importance du rôle social de l’agriculture urbaine : « Le fonctionnement de notre association est axé autour de trois piliers. Nous associons une activité d’agriculture urbaine, basée sur la production de micro-pousses, cultivées en agroécologie, à une seconde activité de réinsertion : nous ramenons dans le monde du travail de personnes qui en étaient éloignées. La particularité de notre modèle, c’est d’accueillir des personnes qui sont en perte de confiance et d’estime de soi. Cela marche très bien, notamment grâce au fait de cultiver des micro-pousses : leur croissance dure un peu plus d’un mois, donc on peut voir le résultat de son travail rapidement. Cela permet à ces personnes de mener des projets à bien sur le court-terme, c’est important pour reprendre confiance en leurs capacités. La dernière dimension de notre projet consiste à travailler en cohérence avec le territoire sur lequel nous sommes implantés : nous y développons des activités de mixité sociale, de reconnexion à la nature, de la transition des villes également, du compostage… ».

Cette dimension sociale de l’agriculture urbaine, si elle ne s’oppose pas au développement de modèles économiques viables, oblige les associations à innover pour trouver des débouchés diversifiés, comme l’explique Gérard Munier : « Les modèles économiques ne sont pas viables s’ils ne sont basés que sur de la production agricole primaire. Il est indispensable de trouver des revenus complémentaires : certains vont aller vers la transformation, pour monter dans la chaîne de valeur de leur produit. D’autres vont aller vers de la formation, des prestations, de la conception et installation de jardins dans les entreprises, de la pédagogie, de la sensibilisation dans le monde scolaire. C’est le panachage de ces activités qui permet de créer un modèle économique durable. »

On le voit, les entreprises et les associations du secteur de l’agriculture urbaine doivent diversifier leurs activités pour développer des modèles économiques pérennes. Pour les entreprises, cela s’avère indispensable car une production agricole urbaine seule est difficilement rentable, à l’heure actuelle.

Pour les associations, il s’agit de développer des modèles de production efficaces, et qui permettent de créer conjointement des projets d’insertion, créateurs d’emplois et de lien social, positifs pour l’intérêt général. Et pour la transition en cours des villes.

Par Pierre Thouverez

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