Parmi les solutions pour lutter contre le bouleversement climatique, l’option de la capture et du stockage de CO2 (Carbon Capture and Storage – CCS en anglais) figure de plus en plus à l’agenda. Son développement reste encore très limité, même si une accélération ces dernières années fait dire à l’Agence internationale de l’énergie que 435 Mt/an de CO2 pourraient être captées en 2030, avec une capacité de stockage de 615 Mt/an.
Le CCS n’a pas toujours eu bonne presse à cause de son coût élevé, des conséquences encore incertaines du stockage géologique et surtout de l’excuse qu’il fournit pour continuer de consommer des énergies fossiles. Alors que les puits de carbone naturels (océans, forêts, sols) semblent fragilisés, une autre idée prend donc place : appliquer le CCS aux bioénergies, afin de créer des émissions négatives de gaz à effet de serre. En effet, la biomasse prenant le CO2 dans l’atmosphère, si on stocke ce dernier on réduit d’autant les émissions. On parle ainsi de BECCS (BioEnergy Capture and Storage), voire de BECCUS (U pour utilisation) si le CO2 est intégré dans une activité humaine.
Un CO2 pur à 98 % issu de l’épuration du biogaz
Le gestionnaire du réseau de distribution de gaz GRDF s’intéresse de près à la capture, à l’utilisation et au stockage du CO2 biogénique (aussi appelé bioCO2) issu de la méthanisation. Sa mission de service public prévoit en effet de faciliter l’intégration des gaz renouvelables dans le réseau, ce qui passe par un soutien à l’innovation. « Nous avons ainsi lancé un appel à projets en février 2025 pour aider et accompagner des projets innovants sur les technologies de séquestration, sur la logistique locale du bioCO₂, et sur la valorisation économique du stockage via le crédit carbone » explique Bastien Praz, chargé de développement biométhane chez GRDF.
En valorisant économiquement le bioCO2, les installations de méthanisation amélioreraient leur compétitivité, tout en apportant un nouveau bénéfice environnemental. Et elles ont de quoi faire ! En moyenne, le biogaz produit par méthanisation contient 40 % de CO2. Une fois l’épuration du biogaz effectuée – afin de pouvoir injecter le biométhane dans le réseau de gaz – le CO2 récupéré est pur à 98 %. « Actuellement, une trentaine de sites seulement valorisent leur CO2 biogénique, pour des cultures sous serre, pour des usages alimentaires (brasseries), pour du nettoyage cryogénique, etc. La valorisation dépend des opportunités offertes par l’écosystème local. Il faut trouver des moyens de généraliser l’utilisation et la séquestration du bioCO2, puisqu’on a plus de 700 sites d’injection de biométhane, chacun produisant 1 à 5 kt de CO2 chaque année », détaille Bastien Praz.
Cinq lauréats de l’appel à projets de GRDF
Fin juin, cinq lauréats de l’appel à projets ont été désignés par GRDF. Deux d’entre eux visent une utilisation du bioCO2, sous deux formes différentes. Carborok (marque de Voltigital) propose de minéraliser le CO2 dans des granulats de béton usagés. « Il existe déjà des solutions industrielles de carbonatation, mais ce projet innove par son fonctionnement en continu et par sa recherche d’un modèle économique corrélant les flux de CO2 avec la taille des sites de recyclage des bétons, si possible en évitant la liquéfaction du bioCO2 pour son transport » précise Bastien Praz. L’autre projet, E-Ethylène, concerne la conversion du CO2 en éthylène par électrolyse. Produit à haute valeur ajoutée, l’éthylène sert ensuite à fabriquer plusieurs produits, par exemple des canalisations en polyéthylène haute densité.
Deux autres lauréats travaillent sur la séquestration du bioCO2. Carbon Impact, avec Eosys et l’Université de Lorraine, souhaite réaliser une étude prospective sur des couches géologiques dans la région grand Est, afin d’évaluer leur potentiel pour du stockage et son coût. BioCO2-Dissolved, porté par le BRGM et Naldeo, étudie quant à lui l’inclusion de bioCO2 dans un projet d’injection en aquifère profond par l’intermédiaire de puits géothermiques.
Le dernier lauréat, Rainbow (anciennement Riverse), souhaite élaborer une méthodologie de certification de la séquestration du bioCO2 issu de méthanisation pour l’intégrer au marché carbone dans le cadre européen du CRCF (Carbon Removal Certification Framework). Ce serait un moyen de valoriser financièrement cette solution, afin de consolider le modèle économique de l’injection du biométhane.
Les lauréats de l’appel à projets bénéficieront d’un accompagnement technique et de l’appui institutionnel de GRDF, et se partageront un soutien financier jusqu’à 150 k€. Une dizaine d’autres projets, y compris par des acteurs européens, n’ont pas été retenus « parfois par manque d’innovation, de robustesse ou de réplicabilité. Mais il y a une certaine effervescence sur ce sujet et nous étudierons la possibilité de lancer un deuxième appel, idéalement avec l’Ademe » dévoile Bastien Praz.
L’utilisation ou le stockage du CO2 biogénique pourrait être une composante de la stratégie climat française, en vue d’atteindre la neutralité carbone avant 2050. Le potentiel de bioCO2 disponible en 2050 qui pourrait être séquestré est estimé à 40 Mt en France.
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