Interview

« Genvia est une filière à part entière » pour la transition écologique

Posté le 24 janvier 2022
par Pierre Thouverez
dans Innovations sectorielles

Genvia est une société conjointe (regroupant notamment le CEA et Schlumberger) de technologie de production d’hydrogène décarboné. La société, concernée par le plan France 2030, a l’ambition de devenir rapidement un outil de la transition énergétique.

Devenir un outil de la transition énergétique, mais également le rester. En effet, l’hydrogène est amené à être l’un des outils importants de la transition énergétique.

Genvia développe des systèmes d’électrolyse haute température permettant de produire, de manière réversible, de l’hydrogène ou de l’électricité. Une technologie unique, adaptée à la production locale d’hydrogène, mais aussi au stockage long.

Florence Lambert, présidente de Genvia, a expliqué à Techniques de l’Ingénieur les technologies développées par la société autour de l’électrolyse, ainsi que l’importance de France 2030 dans la mise en œuvre rapide de l’industrialisation des systèmes innovants développés par Genvia.

Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous revenir sur la genèse de Genvia, qui est une société toute récente, et sur les technologies d’électrolyse que vous développez ?

Florence Lambert : Les choses sont allées très rapidement, puisque Genvia a été créé en mars 2021. Nous développons une technologie d’électrolyse, qui présente des avantages essentiellement de par son fonctionnement à haute température. En fonctionnant à une température comprise entre 700 et 800 degrés, on n’électrolyse plus de l’eau liquide mais de la vapeur. Cela permet de dissocier les molécules d’hydrogène plus facilement et d’obtenir un meilleur rendement, de l’ordre de 15% supérieur aux technologies alternatives que sont les électrolyses alcalines ou PEM.

Depuis quand est développée cette technologie ?

Elle a été développée pendant une quinzaine d’années par le CEA, au départ avec une vision massive d’électrolyse, qui a donné lieu au dépôt d’une quarantaine de brevets.

Florence Lambert, présidente de Genvia. (Crédit photo : Franck Ardito)

Dès le début, l’objectif a été de réaliser de l’électrolyse dans un système haute température. Alors que nos concurrents sur ce marché ont choisi un chemin différent, en partant d’une pile à combustible. Il faut bien comprendre que la problématique de l’étanchéité est un sujet fondamental sur ces technologies d’électrolyse. Chaque électron non collecté fait baisser le rendement global du système. En choisissant d’intégrer le design et l’étanchéité de notre système dans nos prérequis, dès le départ, nous avons pu développer un système ayant une résistance interne plus faible par rapport à nos concurrents. Cela permet au système de fonctionner à une température plus basse que la moyenne, et de fait cela nous permet d’utiliser un revêtement en acier commun et en céramique. Il n’y a pas non plus de catalyseur, ce qui simplifie beaucoup la conception.

De toutes ces innovations découle la création de la société en mars 2021, c’est cela ?

Le CEA a vite compris qu’il disposait là d’une technologie unique, qui plus est multi brevetée, et a donc décidé il y a deux ans de s’orienter vers un processus d’industrialisation de cette technologie. Pour cela, le CEA a sollicité des partenaires, en premier lieu l’entreprise Schlumberger, qui a joué le rôle d’accélérateur en termes d’industrialisation de la technologie, à travers leur usine de Béziers. C’est là qu’immédiatement nous avons pu projeter notre design innovant dans un référentiel industriel, avec sur place toutes les compétences nécessaires pour mener le projet d’industrialisation, du début à la fin. Aussi, l’usine de Béziers fonctionne sur un modèle d’usine 4.0, ce qui nous a permis de bénéficier de compétences sur ce qui se fait de mieux au niveau industriel.

A eux deux le CEA et Schlumberger représentent 80% de l’actionnariat de Genvia. Nous avons également des actionnaires minoritaires, qui sont venus se greffer au projet : la région Occitanie, via l’AREC, et deux autres actionnaires, qui vont représenter le monde des applications : Vicat et Vinci.

Où en est Genvia aujourd’hui ?

Nous avons aujourd’hui un atelier qui fonctionne à Béziers. Nous avons en effet récupéré un bâtiment, centenaire, que nous avons rénové. Il a été inauguré il y a peu, en présence du Président de la République : c’est aujourd’hui un atelier flambant neuf qui nous permet de produire nos premiers stacks, mais pas seulement. Le stack va être connecté dans des modules qui vont intégrer des composants thermiques, fluidiques mais également de l’électronique, de puissance notamment. Nous travaillons donc également à la production de ces modules, qui vont entrer en production dans notre usine dès la fin de cette année, avec la caractéristique de pouvoir produire 200 kilos d’hydrogène par jour, pour nos premiers modules.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Aujourd’hui l’atelier fonctionne, et nous voulons avancer vite. Nous aurons une ligne pilote automatisée dès l’été 2022, avec une capacité de production de 300 stacks par an, ce qui nous permettra de produire quelques megawatts par an.

C’est sur la base de cette ligne pilote que tout va être accéléré. Certains de nos partenaires équipementiers envisagent même de venir s’installer à Béziers pour travailler avec nous, ce qui est un signe fort. Ce qui est important aujourd’hui est de développer un écosystème industriel autour de Genvia : équipementiers, intégrateurs en électronique, électronique de puissance et fluidique. Nous avons quatre ans pour démontrer que notre design, notre usine et nos systèmes, qui vont être développés sur le terrain dès 2023, fonctionnent, avec en point de mire la construction d’une gigafactory sur Béziers. Nous voulons ainsi être en mesure, dès 2030, de fournir un gigawatt d’électrolyseurs sur le sol biterrois. Ainsi que tous les systèmes associés.

Justement, dans quelle mesure le projet de gigafactory entre-t-il dans la stratégie de Genvia ?

Ce projet de gigafactory est fondamental dans notre stratégie, puisque cette usine nous permettra de nous projeter sur notre capacité à produire, tout en ayant une vraie modularité dans la gestion de l’espace et du temps sur les lignes de production.

Au-delà, il y a pour moi deux points fondamentaux pour la réussite de la société que notre usine va soutenir : d’abord, le développement de notre gigafactory nous permettra de travailler en direct avec les équipementiers. Nous travaillons continuellement sur l’amélioration des designs, mais également sur l’optimisation de nos recettes, sur chacun des procédés. C’est quelque chose que nous allons pouvoir désormais faire dans le temps, ce qui est très important. Et pour développer ces pratiques sur le temps long, il faut évidemment nouer des liens solides avec les équipementiers.

Le second point est la digitalisation. Elle permet d’apporter un niveau de traçabilité important, d’harmoniser les flux et de les accélérer. Cette digitalisation doit se faire de manière transversale, sur les cadences, la gestion des données et des flux en particulier.

Quelles applications peut-on imaginer autour des technologies développées par Genvia ?

Nous entendons être un outil de la décarbonation de l’industrie. Et nous voulons prendre le sujet par les deux bouts. Aujourd’hui, les procédés industriels consomment 9 000 tonnes d’hydrogène par an. Cet hydrogène est produit par vaporeformage. Nous voulons proposer une solution permettant de produire localement cet hydrogène, par électrolyse. C’est le premier marché que nous visons. Le second touche à la valorisation du CO2. Nous voulons collecter du CO2 industriel pour le valoriser en carburant de synthèse. De cette façon, nous produisons du CO2 “utile”, pour un usage irremplaçable aujourd’hui, je pense par exemple aux secteurs aéronautique et maritime. En revalorisant ce CO2, nous lui faisons gagner un cycle complet.

L’aspect réversible du processus d’électrolyse peut également donner lieu à de nombreuses applications…

A ce niveau-là, notre système est complètement unique. C’est le fait de pouvoir le faire fonctionner à haute température qui rend notre système totalement réversible. Dans un sens, vous produisez de l’hydrogène, et dans l’autre sens, vous produisez de l’électricité à partir de l’hydrogène. L’efficacité du rendement énergétique est moins bon que pour une batterie au lithium, puisqu’il est de l’ordre de 50% sur un aller-retour. Il devient rentable sur un stockage massif et à longue durée, au-delà de six à sept heures. Notre système pourrait donc se révéler extrêmement pertinent pour accompagner le développement des énergies renouvelables, et disposer de différentes échelles de temps en matière de stockage. Cela ne veut pas dire que les électrolyseurs vont remplacer les batteries, chaque système a ses avantages aujourd’hui. Cela dit, je suis persuadée que les systèmes Genvia peuvent devenir un véritable outil de la transition énergétique.

Il y a également des projets de couplage avec les SMR en développement, n’est-ce pas ?

Les projections sur 2050 laissent entrevoir une France largement décarbonée, avec des champs solaires, de l’éolien offshore et des SMR (en français : PRM, petit réacteur modulable). Nos systèmes pourraient, couplés à des SMR, faire du stockage, et produire de manière optimisée notre carburant.

D’ici-là, les étapes sont nombreuses. C’est pour cela que nous commençons par investir sur l’hydrogène industriel. C’est la première étape. A partir de là, en imaginant une montée en puissance des filières dans les années qui viennent, les systèmes Genvia pourraient être un outil de la politique énergétique du pays en 2050.

Dans quelle mesure le plan France 2030 permet-il à Genvia d’atteindre ses objectifs ?

Aujourd’hui le plus dur reste à faire, et la tâche est immense. Nous avons une technologie très prometteuse, mais elle sort à peine du laboratoire. Il nous faut aujourd’hui faire cette ligne pilote, embaucher, déployer notre technologie chez des clients qui ne sont pas encore prêts aujourd’hui à prendre des risques trop importants… Sans France 2030, le plan industriel que nous venons d’évoquer n’existerait pas, ou alors il serait repoussé de plusieurs années. C’est vraiment fondamental. Selon moi, France 2030 est une opportunité importante, une prise de risque mesurée à travers des partenariats public-privé, qui devrait permettre à l’industrie française de développer des filières industrielles fondamentales pour notre autonomie énergétique et la décarbonation de nos activités. A ce titre, j’explique souvent que pour moi, Genvia est une filière à part entière, qui me rappelle dans une certaine mesure l’époque où la France a voulu développer ses propres réacteurs nucléaires après la seconde guerre mondiale.

Propos recueillis par Pierre Thouverez

Photo de une : Maquette d’un électrolyseur haute température. Crédit image : ©Genvia


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