Le rapport Draghi, publié en septembre 2024, n’a jamais été autant d’actualité. Ce dernier pointait un retard grandissant de l’Europe, en particulier par rapport aux Etats-Unis et à la Chine, en termes de compétitivité industrielle, sur de nombreux secteurs d’activité. Partant de ce constat étaient préconisées plusieurs pistes. Avec en tout premier lieu la nécessité de stimuler l’innovation pour combler un retard technologique patent dans de nombreux secteurs, comme celui de l’intelligence artificielle, qui apparaît si crucial aujourd’hui. Le rapport Draghi chiffre l’investissement à réaliser en la matière à 800 milliards d’euros. Hasard des chiffres, cette somme correspond à ce que l’Union Européenne compte engager via le plan Rearm Europe, qui doit permettre au vieux continent de développer une industrie de défense performante pour assumer seule sa capacité à répondre à d’éventuelles agressions étrangères.
Le second constat du rapport Draghi est la nécessité d’établir un plan commun pour la décarbonation et la compétitivité de nos activités industrielles. La troisième recommandation concerne le renforcement de la sécurité économique et la réduction des dépendances, pour diminuer la fragilité des chaînes de valeurs industrielles et notamment l’approvisionnement en matières critiques. Un constat que la crise sanitaire a révélé au grand jour.
Si l’UE met en place des réglementations ayant pour objectif d’adjoindre les pays européens à décarboner leurs activités et à renforcer la compétitivité de leurs secteurs industriels de pointe, difficile d’y voir une réelle politique volontariste et encore moins une stratégie commune.
L’Allemagne obligée de miser sur l’Europe ?
Donald Trump est celui, volontairement ou pas, qui va – peut-être – forcer l’Europe à unir ses efforts pour continuer à exister, industriellement et économiquement parlant. Ce dernier a réussi à faire dire à l’Allemagne que la nécessité d’investir dans une industrie de défense performante devait l’emporter, au-delà de l’augmentation du taux d’endettement que ces investissements induiront. Ce qui constitue en soi un véritable tournant de la part de notre voisin. Et un signal pour le continent.
Au-delà de la défense, les efforts, dispersés mais réels, de l’Union Européenne pour développer des filières industrielles performantes autour de technologies comme la mobilité électrique, l’hydrogène, les lanceurs spatiaux, le micro nucléaire, entre autres, ont montré que le continent dispose d’atouts pour être compétitif au niveau international. Mais la guerre commerciale, qui est déjà une réalité entre la Chine et les Etats-Unis oblige le vieux continent à utiliser d’autres leviers : le patriotisme économique, la limitation de la concurrence entre acteurs européens sur des technologies similaires, l’orientation des investissements… Une certaine forme de protectionnisme donc, que la mise en place de standards écologiques différenciants, destinés à faire barrage aux produits étrangers, plus performants, moins chers mais produits de manière moins résiliente pour l’environnement, préfigure.
Il faut donc aller plus loin, et on entend de plus en plus dans les prises de paroles des responsables politiques français et européens la volonté de mettre en place des barrières réglementaires, de pratiquer une politique commerciale plus agressive, et de disposer d’une planification commune sur les filières industrielles stratégiques.
Si l’Europe réagit sous la contrainte et dans l’urgence, la problématique continentale n’en reste pas moins là : comment réussir à se mettre d’accord à 27 ? La crainte actuelle de chaque pays membre, de se voir comme une victime potentielle de la guerre économique et commerciale en cours est peut-être le plus grand moteur pour mutualiser les outils industriels et faire naître une réelle ambition stratégique européenne.
Cet article se trouve dans le dossier :
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