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Accord franco-norvégien : vers un exil géologique du CO₂ industriel français

Posté le 28 juillet 2025
par Nicolas LOUIS
dans Environnement

Un accord inédit vient d'être signé entre la France et la Norvège, autorisant l’exportation du CO₂ industriel français vers des sites de stockage géologique offshore norvégiens. Un dispositif présenté comme un levier vers la neutralité carbone, mais qui suscite aussi des interrogations sur ses coûts, sa durabilité et son rôle dans la transition énergétique.

La France et la Norvège ont conclu un accord historique permettant le transport transfrontalier du CO₂ industriel français vers des sites de stockage géologique dans les fonds marins norvégiens. Le texte s’appuie directement sur la ratification, le mois dernier par l’Assemblée nationale, d’un amendement à l’article 6 du Protocole de Londres (2009), autorisant pour la première fois la France à exporter du CO₂ vers un autre État membre à des fins de stockage permanent.

L’objectif affiché est de transporter des millions de tonnes (Mt) de CO₂ vers des sites comme le terminal Northern Lights, dont le volume de stockage géologique total est estimé à près de 80 milliards de tonnes. Détenu à parts égales par TotalEnergies, Equinor et Shell, ce site est déjà doté d’une capacité initiale de 1,5 Mt par an, et celle-ci devrait passer à 5 Mt à partir de 2028. Un second projet prévoit la création d’un réseau de transport sous-marin du CO₂, d’environ 1 000 km, reliant plusieurs ports européens, dont Dunkerque et Zeebrugge, aux infrastructures norvégiennes. Il doit voir le jour d’ici à 2030 et est surnommé CO₂ Highway Europe.

Les autorités françaises défendent cet accord en affirmant qu’il représente un levier essentiel pour l’industrie lourde, telle que celle de la cimenterie, de la sidérurgie et de la chimie, pour lui permettre de progresser vers les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050. La Norvège, forte de son expertise dans la géo-séquestration grâce à ses réservoirs offshore de Sleipner et de Snøhvit, y voit une opportunité de renforcer son rôle de hub européen du stockage de CO₂, tout en créant un marché transfrontalier robuste.

Mais certaines voix discordantes appellent à la vigilance face à cette solution pour limiter le réchauffement climatique. Elles s’appuient pour cela sur l’avis de l’Ademe, qui souligne que la technique de captage et de stockage du carbone (CSC) « doit être considérée comme la dernière étape dans une stratégie de décarbonation. Cette dernière doit en effet commencer par des actions plus matures et performantes telles que l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. » Ceux qui critiquent cet accord redoutent qu’il ne devienne un moyen de retarder des investissements plus ambitieux dans la transition énergétique.

La technique de captage et de stockage du carbone est énergivore

L’Ademe rappelle également que le CSC est un procédé onéreux, dont le coût varie entre 100 et 150 € la tonne, alors que les technologies les moins chères disponibles pour le secteur industriel coûtent entre 20 et 30 € la tonne de CO₂ économisée. On peut citer notamment celle consistant à récupérer la chaleur et qui permet de réduire de plus d’un tiers la consommation de combustible. Un tel écart soulève des questions sur la compétitivité de cette solution de CSC.

Le captage est en effet une étape énergivore et complexe, car le CO₂ n’est pas émis sous une forme pure par les industries, mais est mélangé à d’autres gaz dans les fumées. Il doit donc, dans un premier temps, être extrait via des procédés chimiques ou physiques. Ensuite, ce gaz doit être compressé à haute pression pour être transporté efficacement et injecté dans le sous-sol. Cette compression est, elle aussi, énergivore et nécessite des équipements spécialisés. Le CO₂ peut également être liquéfié pour le transport maritime, augmentant encore les besoins énergétiques et les coûts d’infrastructure.

Si, jusqu’ici, aucune fuite n’a été détectée sur le site de stockage historique de Sleipner, en fonctionnement depuis près de 30 ans, certains expriment leurs réserves quant à la sécurité à long terme des puits géologiques. Même si les risques de faille dans l’étanchéité font l’objet d’une surveillance accrue, il faut noter qu’une très petite fuite, pendant des centaines d’années, pourrait libérer dans l’atmosphère la totalité du CO₂ stocké et ainsi réduire à néant les efforts pour le climat.

Pour l’heure, cet accord franco-norvégien permet à la France de contourner sa faiblesse géologique nationale, tout en s’appuyant sur l’expérience norvégienne. Mais le risque, à terme, est que le CCS devienne un « palliatif de confort », retardant des transformations plus structurelles dans l’industrie. L’enjeu à présent consiste donc à s’assurer que ce dispositif reste un outil parmi d’autres, dans une stratégie de décarbonation véritable et résiliente.


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